Il vente tous les jours dans le deuxième mois;
J'ai peur que les fleurs ne craignent les derniers froids.
Seul le pommier sauvage montre sa joue rouge;
Soit qu’il pleuve ou qu’il bruine, jamais il ne bouge.
Poème chinois
「春寒」
陈与义
二月巴陵日日风,春寒未了怯园公。
海棠不惜胭脂色,独立蒙蒙细雨中。
Explication du poème
Composé en 1129 (3ème année de l'ère Jianyan des Song du Sud), ce poème naquit dans le chaos de l'invasion jurchen, alors que Chen Yuyi se réfugiait à Baling (actuel Yueyang) dans le Hunan. Logé dans le Pavillon du Gentilhomme du jardin du gouverneur Wang Jie, le poète, confronté à un printemps interminablement froid et pluvieux, trouva dans un pommier sauvage en fleurs une résonance à sa propre solitude. Ce poème transcende la simple description botanique pour devenir un manifeste de l'intégrité en temps d'adversité.
Premier distique : « 二月巴陵日日风,春寒未了怯园公。 »
Èr yuè Bālíng rì rì fēng, chūn hán wèi liǎo qiè yuán gōng.
Février à Baling - vents quotidiens,
Froid printanier persistant qui tourmente le jardinier.
Le poète capte l'âpreté d'un printemps qui refuse l'éclosion. L'expression "tourmente le jardinier" (怯园公) opère un glissement subtil : le souci apparent pour les plantes révèle en réalité l'angoisse existentielle du lettré exilé. Ce vers, saturé d'allitérations en "f" (风/寒/未), restitue acoustiquement la morsure du vent.
Second distique : « 海棠不惜胭脂色,独立蒙蒙细雨中。 »
Hǎitáng bù xī yānzhī sè, dú lì méng méng xì yǔ zhōng.
Le pommier sauvage prodigue son fard carmin,
Dressé seul dans la bruine obstinée.
Ici éclate le paradoxe fondateur : la fleur "prodigue" (不惜) sa beauté précieuse ("fard carmin" 胭脂色 évoquant les cosmétiques de cour) dans l'indifférence générale. L'image de la verticalité ("dressé seul" 独立) contre l'horizontalité de la pluie (细雨) dessine une croix naturelle où s'expose le martyre silencieux de la grâce. Le redoublement "méng méng" (蒙蒙) peint l'opacité d'un monde hostile où persiste pourtant cette tache de lumière rouge.
Lecture globale
Ce poème, « Le Froid Printanier », bien que court avec seulement quatre vers, allie harmonieusement paysage et émotion, déployant une atmosphère profonde. Les deux premiers vers dépeignent une pluie ininterrompue et un froid printanier persistant, évoquant un sentiment d’errance et de précarité existentielle. Les deux derniers se tournent vers le pommier sauvage (海棠), dépeignant, à travers une technique de poésie descriptive, son image noble et intrépide, fleurissant seule malgré le froid. En surface, le poème semble célébrer la nature, mais il exprime en réalité des aspirations personnelles. La posture solitaire de la fleur « se dressant seule dans la bruine fine » incarne l’orgueil inflexible du poète face à l’adversité. Le poème dégage une profonde mélancolie et une noblesse solitaire, avec un langage délicat mais poignant, où l’émotion reste subtilement voilée.
Spécificités stylistiques
Ce poème, à la structure épurée mais chargée d’émotion, suit une progression classique de la poésie descriptive : commencer par évoquer le paysage, puis se tourner vers un élément naturel pour finalement y ancrer des sentiments humains. Son langage, simple mais suggestif, utilise avec finesse la personnification et le symbolisme, donnant au pommier sauvage une vitalité et une dimension spirituelle. Le vers final, « se dressant seule dans la bruine fine », prolonge la résonance du poème, atteignant une perfection tant picturale qu’émotionnelle.
Éclairages
Ce poème nous enseigne que, même dans un monde instable et battu par les tempêtes, il faut préserver sa noblesse et son intégrité. Le pommier sauvage, sans crainte de la pluie glaciale, fier dans sa solitude, devient l’incarnation de l’idéal du poète, symbolisant une résistance inébranlable face à l’adversité. Une telle vertu, en tout temps, mérite d’être chérie et imitée.
Traducteur de poésie
Xu Yuanchong(许渊冲)
À propos du poète
Chen Yuyi (陈与义, 1090 - 1138), originaire de Luoyang dans le Henan, est un poète charnière entre les dynasties des Song du Nord et des Song du Sud. Reçu docteur en 1113, il fut d'abord influencé par Huang Tingjian avant que la catastrophe de Jingkang (1126 - 1127) n'imprègne son œuvre d'une gravité mélancolique. Classé par Fang Hui parmi les "Trois Piliers de l'École poétique du Jiangxi", il sut néanmoins transcender le style austère de ce courant pour annoncer le lyrisme patriotique des Song du Sud.