Dans la petite cour, la vigne s’enroule à l’est du clair de lune,
Ma taille de danseur se précipite au rythme des tambours héroïques.
Le poème achevé, le pinceau coloré repose,
Je suis pris dans le tourbillon des cheveux défaits et des rires dorés.
Les feuilles d’automne murmurent sous le vent tumultueux,
Le bosquet du soir, chauffé à blanc, laisse filtrer une lumière cristalline.
Si je portais le sceau de Chuzhou à ma ceinture,
On ne manquerait pas de m’appeler "le Vieil Ivre".
Poème chinois
「醉中偶成」
刘过
小院蒲萄月架东,舞腰忙趁鼓声雄。
诗成彩笔分题后,人在金钗财令中。
秋叶冷吟风浩荡,晚林烘透日玲珑。
腰间若佩滁州印,定有人呼作醉翁。
Explication du poème
Ce poème est l'œuvre tardive de Liu Guo, poète des Song du Sud qui, errant dans ses dernières années loin des cercles du pouvoir, portait encore en lui le regret d'ambitions inassouvies. Composé sous l'effet du vin dans cet état d'esprit contradictoire, il exprime avec une désinvolture humoristique des sentiments profonds. Les scènes de "petite cour", "tailles dansantes" et "décrets dorés" dépeignent probablement un banquet où le poète, ivre, nota ces impressions - apparemment insouciantes et joyeuses, mais révélant en réalité son regard critique sur le milieu des puissants. Les images de "feuilles d'automne chantant froid" et de "bois du soir translucides" reflètent quant à elles l'état d'esprit flétri mais détaché du poète. La référence finale au "sceau de Chuzhou" et au "Vieux Ivre", empruntant l'allusion à Ouyang Xiu, montre une reconception de son identité : sans réussite officielle, il trouve néanmoins consolation dans le vin et suffisance dans la poésie. Ainsi, Accompli par Hasard dans l'Ivresse n'est pas qu'un simple poème improvisé, mais un portrait philosophique de vie, portant la confession lucide d'un lettré ivre.
Premier distique : « 小院蒲萄月架东,舞腰忙趁鼓声雄。 »
Xiǎo yuàn pú táo yuè jià dōng, wǔ yāo máng chèn gǔ shēng xióng.
"Dans la petite cour, la vigne sous la lune
À l'est du treillis ;
Les tailles dansantes pressées
Au rythme des tambours puissants."
Ce distique peint une scène animée baignée d'une lumière lunaire voilée. La vigne sous la lune et les danseuses en mouvement créent une atmosphère à la fois dynamique et poétique. "Tambours puissants" contre "tailles pressées" montre la gaieté de la scène tout en suggérant l'ivresse et l'immersion du poète.
Second distique : « 诗成彩笔分题后,人在金钗财令中。 »
Shī chéng cǎi bǐ fēn tí hòu, rén zài jīn chāi cái lìng zhōng.
"Le poème achevé, comme un pinceau coloré
Divisant les inscriptions ;
Mais moi, parmi les épingles dorées
Et les décrets de richesse."
Ici, le contraste est frappant entre la création littéraire ("pinceau coloré") et la réalité mondaine ("épingles dorées", "décrets de richesse"). La vivacité du talent poétique s'oppose aux entraves des cercles du pouvoir, révélant les contradictions intérieures du poète.
Troisième distique : « 秋叶冷吟风浩荡,晚林烘透日玲珑。 »
Qiū yè lěng yín fēng hào dàng, wǎn lín hōng tòu rì líng lóng.
"Feuilles d'automne chantant froid
Dans le vent vaste ;
Bois du soir traversés
Par la lumière translucide."
Transition vers une observation plus calme : le vent d'automne et les feuilles tombantes symbolisent l'impermanence de la vie et la solitude du poète. "Chantant froid" et "vaste" évoquent la rigueur et l'immensité de la saison, tandis que "translucide" montre une beauté délicate mais éphémère, reflétant la sérénité et la mélancolie de l'ivresse.
Quatrième distique : « 腰间若佩滁州印,定有人呼作醉翁。 »
Yāo jiān ruò pèi chú zhōu yìn, dìng yǒu rén hū zuò zuì wēng.
"Si je portais à la ceinture
Le sceau de Chuzhou,
On m'appellerait sans doute
'Le Vieux Ivre'."
Référence à Ouyang Xiu et son personnage du "Vieux Ivre", exprimant avec autodérision qu'en tant que lettré sans fonction officielle, le poète ne peut que se consoler dans le vin. Le "Vieux Ivre" symbolise une transcendance et une insouciance que le poète admire, tout en montrant son mécontentement face à la réalité politique et une attitude d'auto-dérision.
Lecture globale
Poème lyrique à connotations autobiographiques, il déploie couche après couche les observations, réflexions et sentiments du poète, passant des scènes animées à l'introspection, de la création poétique aux méditations sur la vie.
La première moitié décrit des scènes réelles - vigne sous la lune, danseuses et tambours - avec un sens aigu de l'image et de la vie quotidienne. La seconde moitié se tourne vers l'intérieur : après avoir achevé son poème, le poète se retrouve piégé dans la réalité de l'argent et du pouvoir, commençant à examiner les affaires humaines. Le vent d'automne, les feuilles tombantes et les bois du soir créent une atmosphère calme, et l'auto-comparaison au "Vieux Ivre" révèle une aspiration à une vie insouciante et l'incapacité à échapper à la réalité. La ligne "Si je portais le sceau de Chuzhou, on m'appellerait sans doute 'Le Vieux Ivre'" est particulièrement significative : apparemment humoristique, elle cache une joie dans la souffrance, exprimant l'humeur complexe d'un poète sans fonction mais plein d'ambitions, ne pouvant que se comprendre à travers l'ivresse. Cette technique d'utiliser le vin pour noyer les chagrins et de rire à travers les larmes ajoute une profondeur historique au poème.
Spécificités stylistiques
- Scènes et sentiments entrelacés, réel et irréel parallèles
Le poème mêle descriptions minutieuses de scènes devant les yeux et progression des états intérieurs, réalité et état d'esprit entrelacés, structure serrée et émotions fluides. - Allusions classiques et autodérision, élégance et vulgarité fusionnées
"Sceau de Chuzhou" et "Vieux Ivre" viennent d'Ouyang Xiu, mais le poète les intègre à son image, exprimant non seulement du respect mais aussi une légère autodérision, créant un écho émotionnel entre passé et présent. - Langage naturel, rythme vif
Le langage du poème est simple mais rythmé, dépeignant des scènes de vie avec esprit et talent, le rendant mélodieux et plein de charme à la lecture.
Éclairages
Ce poème ne montre pas seulement ce que Liu Guo a vu et pensé dans son ivresse, mais reflète plus profondément l'état d'esprit complexe des lettrés face à la vie réelle. Derrière l'apparence animée et florissante se cache son aspiration à une vie idéale et son impuissance face aux contraintes de la réalité. Comme la ligne "On m'appellerait sans doute 'Le Vieux Ivre'", sous des plaisanteries apparemment humoristiques se cachent l'autodérision et la résignation face aux échecs et aux insatisfactions.
Pour nous aujourd'hui, ce poème rappelle que même au milieu du bruit et des troubles, nous pouvons conserver une part de clarté et d'introspection ; face aux insatisfactions de la vie, nous pouvons aussi apprendre à les dissiper avec un peu d'humour et de détachement. Comme le "Vieux Ivre" sous la plume de Liu Guo, sans sceau officiel, il a encore la poésie, le vin, les pensées et une intégrité transcendante. La vraie liberté réside peut-être dans cette prise de conscience apparemment ivre.
À propos du poète
Liu Guo (刘过 1154 - 1206) , originaire de Taihe dans le Jiangxi, fut un poète ci de l'École Héroïque et Délibérée (haofang pai) sous la dynastie Song du Sud. Bien que demeuré roturier sa vie durant, errant entre fleuves et lacs, il fréquenta des géants littéraires comme Lu You et Xin Qiji. Ses ci débordent de passion héroïque, tandis que sa poésie affiche vigueur et force. Stylistiquement proche de Xin Qiji mais encore plus audacieux, Liu Guo devint une figure centrale parmi les disciples poétiques de Xin.