Le vent frais ne peut tuer sécheresse et chaleur;
Le soleil ailé ne veut quitter la hauteur.
L'homme a peur que l’eau ne tarisse dans le fleuve;
Le ciel ne se soucie pas de ce qu’il ne pleuve.
Le mont Kunlun est couronné de neige en haut;
L’île des Fées baignée dans la fraîcheur de l’eau.
Si je ne peux pas y aller avec tout le monde,
Dois-je jouir seul de la beauté sur les ondes?
Poème chinois
「暑旱苦热」
王令
清风无力屠得热,落日着翅飞上山。
人固已惧江海竭,天岂不惜河汉干?
昆仑之高有积雪,蓬莱之远常遗寒。
不能手提天下往,何忍身去游其间?
Explication du poème
Ce poème fut composé sous la dynastie des Song du Nord et compte parmi les œuvres les plus représentatives de Wang Ling. Au milieu de la période Song du Nord, les troubles politiques, les difficultés du peuple et les catastrophes naturelles fréquentes rendaient la vie misérable. Bien qu'intitulé "Souffrances de la chaleur et de la sécheresse estivales", ce poème va au-delà de la simple description météorologique pour exprimer la profonde sollicitude du poète envers le peuple. Bien que retiré de la vie publique pour enseigner, Wang Ling restait préoccupé par les affaires de l'État et le sort du peuple. Ce poème reflète son souci patriotique et sa volonté de partager les épreuves du peuple, tout en illustrant son style poétique vigoureux, original et puissant.
Premier couplet : « 清风无力屠得热,落日着翅飞上山。 »
Qīngfēng wúlì tú dé rè, luòrì zhuó chì fēi shàng shān.
La brise fraîche, impuissante à "massacrer" la chaleur,
Le soleil couchant, comme ailé, s'envole vers la montagne.
Dès l'ouverture, une imagination audacieuse : le verbe "massacrer" personnifie la chaleur en ennemi à abattre, tandis que le soleil "comme ailé" file rapidement à l'horizon. Cette description hyperbolique et visuelle intensifie la sensation de chaleur accablante.
Deuxième couplet : « 人固已惧江海竭,天岂不惜河汉干? »
Rén gù yǐ jù jiānghǎi jié, tiān qǐ bùxī héhàn gān?
Les hommes craignent déjà l'assèchement des fleuves et mers,
Le Ciel, lui, ne redouterait-il pas la disparition de la Voie lactée ?
Après la description de la chaleur, une question rhétorique colérique et originale qui attribue à la nature des sentiments et une responsabilité morale, exprimant le doute du poète face aux calamités célestes et son indignation devant l'indifférence du destin.
Troisième couplet : « 昆仑之高有积雪,蓬莱之远常遗寒。 »
Kūnlún zhī gāo yǒu jīxuě, Pénglái zhī yuǎn cháng yí hán.
Les hauteurs du Kunlun gardent leurs neiges éternelles,
Le lointain Penglai conserve toujours sa fraîcheur.
Le poète imagine des lieux de fraîcheur : soit au sommet enneigé du Kunlun, soit sur l'île mythique de Penglai, introduisant une dimension fantastique et onirique pour échapper à la fournaise terrestre.
Quatrième couplet : « 不能手提天下往,何忍身去游其间? »
Bùnéng shǒu tí tiānxià wǎng, hérěn shēn qù yóu qí jiān?
Ne pouvant emporter le monde entier vers ces lieux,
Comment oserais-je m'y rendre seul pour en jouir ?
L'émotion culmine ici : le poète passe du désir égoïste (échapper à la chaleur) à un idéal altruiste (partager les souffrances du peuple), exprimant noblement "Comment pourrais-je être au frais alors que le monde brûle ?" - une préoccupation grandiose et profondément émouvante.
Lecture globale
Ce poème saisissant s'ouvre sur une évocation brutale de la canicule estivale, captant d'emblée l'attention par des images fantastiques et un langage d'une puissance visuelle inouïe, recréant avec force une atmosphère de chaleur étouffante. Après avoir peint les ravages naturels de la sécheresse, le poète s'élève vers l'imaginaire, déployant une vision cosmique où la Voie lactée s'assèche et les monts immortels s'embrasent. Sur le plan émotionnel, la "haine de la chaleur accablante" se transmue en "désir de souffrance partagée", pour finalement s'épanouir en une compassion universelle. Cette transition du moi individuel vers le moi collectif confère à l'œuvre une grandeur hors du commun, tout en fougue et en ampleur, incarnant l'esprit à la fois héroïque et compatissant qui caractérise si bien Wang Ling.
Spécificités stylistiques
L'originalité de ce poème réside dans son imagination débridée et l'intensité de son expression émotionnelle. Le poète maîtrise l'art de la personnification et de l'hyperbole, comme en témoignent les vers "La brise impuissante à massacrer la chaleur" ou "Le soleil couchant, ailé, gravit la montagne", qui non seulement renforcent la puissance visuelle mais transmettent avec vivacité l'âpreté de la canicule. Des images comme "le fleuve céleste asséché" ou "tenant l'univers dans sa paume" transportent la souffrance réelle dans le domaine du fantastique, avant de revenir à la réalité avec le constat "Je ne puis y aller seul", tissant ainsi une œuvre poignante où raison et émotion, réel et imaginaire s'entremêlent. Le vocabulaire vigoureux, la concision des phrases et le rythme entraînant révèlent la "force" caractéristique du style de Wang Ling.
Éclairages
Bien que dépeignant une simple vague de chaleur, ce qui rend ce poème véritablement bouleversant est le refus du poète de fuir ou de ne penser qu'à son propre confort. Face aux conditions extrêmes, Wang Ling ne se complaît pas dans des fantasmes de fraîcheur, mais interroge la possibilité même du bonheur solitaire, élevant ainsi sa pensée vers une compassion englobant tout le peuple. L'œuvre nous rappelle que la véritable noblesse ne consiste pas à échapper à la souffrance, mais à garder autrui dans son cœur lorsqu'on y est confronté. À notre époque marquée par les catastrophes naturelles et les crises sociales, un tel message conserve une profonde pertinence.
Traducteur de poésie
Xu Yuanchong(许渊冲)
À propos du poète
Wang Ling (王令, 1032 - 1059), originaire de Yangzhou dans le Jiangsu, fut un poète des Song du Nord. Issu d'un milieu modeste mais d'un talent extraordinaire, il gagna l'admiration de Wang Anshi avant de mourir prématurément à vingt-huit ans. Sa poésie, audacieuse et puissante, regorge d'imagination romantique et d'esprit critique, dans un style proche de Han Yu et Lu Tong mais empreint d'une indignation plus vive. Bien que sa vie fût brève, il laissa dans le paysage poétique des Song une trace unique et brillante.