La pluie bat les arbres du Sud,
Une nuit a fait éclore mille fleurs.
Les feuilles vertes s’épaississent en ombre,
Sous lesquelles passe le chemin des promeneurs.
Là où je t’ai rencontré,
Le printemps, sans qu’on y pense, décline.
Je lève ma coupe au vent d’est :
« Ne sois pas si pressé de partir ! »
Poème chinois
「伤春怨 · 雨打江南树」
雨打江南树。一夜花开无数。
绿叶渐成阴,下有游人归路。与君相逢处。不道春将暮。
王安石
把酒祝东风,且莫恁、匆匆去。
Explication du poème
À cette époque, bien qu'il ait quitté les affaires politiques, les réflexions de Wang Anshi sur le temps qui passe et les vicissitudes du monde ne cessèrent jamais. Ce ciel de printemps blessé (Shang Chun Yuan), à travers la description des paysages printaniers du Jiangnan et des sentiments de nostalgie saisonnière, révèle la profonde sensibilité du poète face à la fuite de la vie et à l'évanescence des beaux moments. Il exprime à la fois son attachement à la nature et ses méditations existentielles, tout en y cachant un refuge spirituel. À l'instar d'autres œuvres de la même période comme Fierté de pêcheur (Yu Jia Ao) ou Le Fils du Sud (Nan Xiang Zi), ce poème incarne un style tardif alliant sérénité distante et émotion contenue.
Première strophe : « 雨打江南树。一夜花开无数。绿叶渐成阴,下有游人归路。 »
Yǔ dǎ jiāng nán shù. Yī yè huā kāi wú shù. Lǜ yè jiàn chéng yīn, xià yǒu yóu rén guī lù.
"La pluie bat les arbres du Jiangnan.
En une nuit, d'innombrables fleurs s'ouvrent.
Le vert feuillage forme peu à peu l'ombre,
Sous lequel serpente le sentier des promeneurs en retour."
L'ouverture "la pluie bat les arbres" dépeint une pluie printanière fine - non un orage destructeur, mais une ondée bienfaisante qui fait éclore les fleurs, rappelant subtilement le vers de Du Fu "sans bruit, elle nourrit toute chose". Le deuxième vers "d'innombrables fleurs s'ouvrent" montre l'éclat printanier engendré par cette "bonne pluie". Le troisième vers bascule vers la fin du printemps avec "le vert feuillage forme l'ombre", évoquant la transition des fleurs vers les feuilles, de l'éclosion à l'apogée puis au déclin. Le dernier vers "le sentier des promeneurs" est particulièrement ingénieux : il suggère à la fois la fin des excursions printanières et, à travers l'idée de "retour", le tournant saisonnier. Bien que purement descriptifs, ces quatre vers expriment avec pudeur la nostalgie du printemps.
Seconde strophe : « 与君相逢处。不道春将暮。把酒祝东风,且莫恁、匆匆去。 »
Yǔ jūn xiāng féng chù. Bù dào chūn jiāng mù. Bǎ jiǔ zhù dōng fēng, qiě mò nèn, cōng cōng qù.
"Là où je te rencontrai,
Ignorant que le printemps déclinerait.
Je lève ma coupe pour prier le vent d'est :
Ne t'en va pas,
Avec tant de hâte."
La strophe s'ouvre sur une note de regret tendre : "là où je te rencontrai" évoque une rencontre joyeuse, mais "ignorant que le printemps déclinerait" introduit une pointe de mélancolie inattendue. Ce "toi" peut désigner un ami ou personnifier le printemps lui-même, ajoutant à l'émotion une ambiguïté poétique. "Je lève ma coupe pour prier le vent d'est" est un geste antique - non une libation festive, mais un dialogue avec la nature pour exprimer l'attachement au printemps. Le "vent d'est", souvent associé au printemps dans la poésie, se voit imploré de "ne pas partir avec tant de hâte", traduisant la tentative poétique du lettré de retenir la saison. Cette personnification et cette fusion entre paysage et sentiment confèrent à l'émotion une résonance subtile et durable, caractéristique de la beauté élégiaque.
Lecture globale
Ce poème bref, d'une simplicité gracieuse et d'une profondeur feutrée, allie description délicate et émotion contenue. La première strophe déploie des images printanières typiques ("pluie", "fleurs", "feuillage", "promeneurs") pour évoquer l'écoulement du temps ; la seconde passe de la rencontre à la séparation, de la joie discrète à la mélancolie, culminant dans la prière adressée au vent. La structure, passant naturellement du paysage au sentiment, possède une beauté organique.
Contrairement aux poèmes de deuil printanier souvent larmoyants des Song, la nostalgie de Wang Anshi reste mesurée, teintée de douce persuasion et de vœux poétiques. Cette tonalité sereine et pondérée confère à l'œuvre une beauté rationnelle et profonde, typique d'un lettré-gentilhomme.
Spécificités stylistiques
- Références classiques réinventées :
"La pluie bat les arbres" réinterprète des images de Du Fu, mais en faisant de la pluie printanière une force fécondante plutôt que destructrice, intégrant la beauté à la nostalgie. - Structure épurée mais dynamique :
Quatre vers par strophe, alternant paysage et émotion, avec une progression narrative tendue, où chaque mot porte une charge croissante. - Symbolisme naturel :
Pluie, fleurs, ombrage, promeneurs, vent d'est - chaque élément naturel est choisi pour sa portée allégorique, évitant la description superflue. - Langage fluide, émotion retenue :
D'une apparente simplicité, le poème coule comme une eau vive, avec une émotion toujours contenue mais omniprésente.
Éclairages
Ce poème nous enseigne à chérir l'éphémère beauté du présent. Wang Anshi transforme sa nostalgie printanière en une prière poétique au vent, sublimant la mélancolie en élégance. Cette sensibilité, à la fois tendre et résignée, révèle la compréhension profonde qu'avaient les lettrés des cycles naturels et humains. Le "ne t'en va pas" murmuré au vent est aussi un dialogue avec le temps lui-même - une leçon intemporelle sur l'art d'accompagner les saisons de l'existence.
À propos du poète
Wang Anshi (王安石, 1021 - 1086), originaire de Linchuan dans le Jiangxi, fut un éminent homme politique et lettré des Song du Nord. Figure centrale des "Réformes de Xining", son œuvre littéraire reflète tout autant l'acuité réformatrice que la profondeur philosophique de son esprit. Son Recueil de Linchuan, comprenant plus d'un millier de poèmes et écrits en prose, constitue l'expression la plus aboutie de l'esprit des lettrés-fonctionnaires de l'ère Song du Nord.