Dans l'auberge lointaine, les battoirs résonnent,
La cité solitaire sonne le cor peint —
Tout l'automne se déploie dans le vide.
Les hirondelles vers l'est s'envolent sur la mer,
Les oies sauvages du sud se posent sur le sable.
Le vent de Chu, la lune de Yu — comme hier.
Hélas ! Enchaîné par la gloire et le gain,
Hélas ! Retardé par les soucis mondains...
Dommage ! Tant de grâce laissée à l'abandon !
Jadis, j'ai gaspillé des promesses vaines,
Aujourd'hui, j'ai trahi mes rendez-vous d'amour.
À la fin du rêve, après l'ivresse, j'y pense.
Poème chinois
「千秋岁引 · 秋景」
别馆寒砧,孤城画角,一派秋声入寥廓。
东归燕从海上去,南来雁向沙头落。
楚台风,庾楼月,宛如昨。无奈被些名利缚,无奈被它情担阁!可惜风流总闲却!
王安石
当初漫留华表语,而今误我秦楼约。
梦阑时,酒醒后,思量着。
Explication du poème
Ce poème lyrique (ci) composé durant les dernières années de Wang Anshi à Jinling (Nankin) représente l'aboutissement de sa maturation poétique. Après deux mandats en tant que Premier ministre et l'échec de ses réformes, le vieil homme d'État se regarde dans le miroir de l'automne, transformant sa mélancolie politique en une méditation universelle sur la liberté et l'illusion.
Strophe supérieure : « 别馆寒砧,孤城画角,一派秋声入寥廓。东归燕从海上去,南来雁向沙头落。楚台风,庾楼月,宛如昨。 »
Bié guǎn hán zhēn, gū chéng huà jiǎo, yī pài qiū shēng rù liáokuò. Dōng guī yàn cóng hǎi shàng qù, nán lái yàn xiàng shā tóu luò. Chǔ tái fēng, Yǔ lóu yuè, wǎn rú zuó.
"Dans ma résidence d'exil, le marteau froid bat le linge ; La cité solitaire exhale son cor peint - Toute une symphonie automnale envahit le vide infini. Hirondelles vers l'est s'envolent par-dessus la mer ; Oies sauvages du nord se posent sur les bancs de sable. Le vent de la Terrasse Chu, La lune du Pavillon Yu - Tout cela me semble d'hier."
La strophe s'ouvre sur une dissonance sensorielle : le son métallique du battoir (寒砧) et la plainte du cor (画角) tissent une trame sonore mélancolique. La migration des oiseaux (燕去雁来) inscrit cette mélancolie dans les cycles cosmiques. Les allusions aux terrasses Chu et Yu (sites célèbres de la littérature classique) opèrent un glissement du paysage réel au paysage mémoriel, où le passé politique resurgit avec une acuité douloureuse.
Strophe inférieure : « 无奈被些名利缚,无奈被它情担阁!可惜风流总闲却!当初漫留华表语,而今误我秦楼约。梦阑时,酒醒后,思量着。 »
Wúnài bèi xiē míng lì fù, wúnài bèi tā qíng dān gé! Kěxī fēngliú zǒng xián què! Dāngchū màn liú huábiǎo yǔ, érjīn wù wǒ Qín lóu yuē. Mèng lán shí, jiǔ xǐng hòu, sīliang zhe.
"Hélas ! Enchaîné par la gloire et le gain ; Hélas ! Retenu par les affections terrestres ! Toute cette grâce gaspillée en vaines attentes ! Jadis j'ai laissé des mots sur la stèle ornée, Aujourd'hui j'ai manqué mon rendez-vous à la Tour Qin. À la fin du rêve, Après l'ivresse, Je pèse tout cela."
La répétition désespérée de "hélas" (无奈) scande une litanie d'échecs. La "stèle ornée" (华表) fait référence à la légende de Ding Lingwei, fonctionnaire transformé en grue, symbole des promesses politiques non tenues. Le "rendez-vous manqué" (误约) évoque autant les amours négligées que les idéaux trahis. La conclusion sobre - rêve fini, ivresse dissipée - révèle la lucidité cruelle de l'âge, où chaque chose doit être "pesée" (思量) dans la balance du remords.
Lecture globale
Ce ci constitue une œuvre autobiographique typique de la maturité de Wang Anshi, révélant une prise de conscience postérieure aux tumultes politiques : à la fois regret des entraves de la renommée et mélancolie face à l'irréversible fuite du temps. La première strophe dépeint des paysages automnaux extrêmement évocateurs - bruits d'automne, oiseaux migrateurs, brise limpide, clair de lune - chacun saturé de résonances existentielles. La seconde strophe exprime une émotion profonde et raffinée, d'une authenticité non conventionnelle, intégrant une dimension philosophique. La langue, élégamment ferme sous sa douceur apparente, tendre mais tranchante, traduit tout à la fois le regret des illusions perdues et la lucidité d'un "réveil après le rêve".
Particulièrement notable : bien que peuplé d'images évoquant les sentiments amoureux, le poème utilise principalement la technique des "beautés et plantes aromatiques" (美人香草) pour symboliser les vicissitudes personnelles. La "stèle mémoriale" (华表) et le "pavillon Qin" (秦楼) fonctionnent comme allégories, exprimant une réflexion approfondie sur les leurres de la gloire officielle et les impasses de l'existence, révélant ainsi la profondeur du monde poétique et la subtilité de la pensée.
Spécificités stylistiques
- Fusion paysage-émotion, réel et imaginaire entrelacés
Les scènes nocturnes automnales du voyageur s'unissent parfaitement aux sentiments intimes, l'émotion naissant du paysage, le paysage s'animant par l'émotion, créant une atmosphère à la fois sereine et profondément mélancolique. - Allusions savantes, significations stratifiées
"Vent de Chu", "lune du pavillon Yu", "paroles de la stèle", "rendez-vous au pavillon Qin" - ces références classiques, bien qu'érudites, s'intègrent avec naturel, enrichissant le texte de dimensions philosophiques. - Architecture rigoureuse, progression organique
La première strophe peint le paysage, la seconde exprime l'émotion, formant une structure allant de l'extérieur vers l'intérieur, aboutissant au rêve et au vin qui donnent au poème sa résonance circulaire et son intensité contenue. - Simplicité linguistique, profondeur émotionnelle
D'une langue apparemment simple et directe, le texte recèle pourtant de complexes remous intérieurs, chaque étape - de l'abandon des plaisirs à la méditation sobre - portant le poids d'émotions profondes, chaque mot étant chargé de sens.
Éclairages
Ce ci expose avec acuité le dilemme existentiel entre "acquisition et perte", "avancée et retrait", tout en exprimant l'introspection et la libération intérieure du poète après les tourbillons de la carrière politique. Dans la société contemporaine, chacun est confronté, à divers degrés, au piège des "honneurs officiels" ou aux chaînes des "attachements affectifs". Wang Anshi, par son écriture sobre, transcende ces conflits vers une forme de sagesse où raison et émotion s'harmonisent. Le vers "Quand le rêve s'achève, quand le vin se dissipe, vient la méditation" (梦阑时,酒醒后,思量着) agit comme un rappel : après les turbulences mondaines, il importe de retrouver le calme intérieur pour discerner ses véritables aspirations, seule manière de s'éveiller du rêve et d'embrasser une existence plus claire.
À propos du poète
Wang Anshi (王安石, 1021 - 1086), originaire de Linchuan dans le Jiangxi, fut un éminent homme politique et lettré des Song du Nord. Figure centrale des "Réformes de Xining", son œuvre littéraire reflète tout autant l'acuité réformatrice que la profondeur philosophique de son esprit. Son Recueil de Linchuan, comprenant plus d'un millier de poèmes et écrits en prose, constitue l'expression la plus aboutie de l'esprit des lettrés-fonctionnaires de l'ère Song du Nord.