Herbes parfumées le long du fleuve,
Les saules se reflètent sous le pont suspendu, le long du sentier.
Les oies sauvages rentrent, volant haut,
Les voyageurs s’éloignent comme des nuages, près des montagnes bleues.
Le vent est léger, la brume ténue, la pluie tombe doucement,
De l’autre rive, un cheval hennit — mais où ?
Mes entrailles se tordent neuf fois,
Mes deux joues sont trempées de larmes,
Sous le ciel embrasé par le soleil couchant.
Poème chinois
「酒泉子 · 芳草长川」
芳草长川,柳映危桥桥下路。
归鸿飞,行人云,碧山边。风微烟澹雨萧然,隔岸马嘶何处。
冯延巳
九回肠,双脸泪,夕阳天。
Explication du poème
Ce poème lyrique (ci) de Feng Yansi est un chef-d'œuvre où le paysage devient le miroir des sentiments de séparation. Maître dans l'art d'exprimer des émotions profondes et subtiles à travers des descriptions minutieuses de la nature, Feng Yansi dépeint ici une scène d'adieu et les regrets intérieurs des personnages, tout en révélant avec pudeur et retenue sa propre sensibilité aux douleurs de la séparation et sa solitude intime. Le langage, d'une clarté élégante, et l'atmosphère, d'une beauté mélancolique, témoignent d'une maîtrise artistique exceptionnelle, notamment dans la progression émotionnelle et l'utilisation du paysage comme écho des sentiments.
Première strophe : « 芳草长川,柳映危桥桥下路。归鸿飞,行人云,碧山边。 »
Fāng cǎo cháng chuān, liǔ yìng wēi qiáo qiáo xià lù. Guī hóng fēi, xíng rén yún, bì shān biān.
"Herbes parfumées s'étendent le long du fleuve,
Les saules se reflètent sur le pont élevé, sous lequel le chemin s'enfonce au loin.
Les oies sauvages rentrent en volant,
Les voyageurs s'éloignent comme des nuages,
Au bord des montagnes bleues."
Cette strophe ouvre sur une scène d'adieu, commençant par "herbes parfumées" et "long fleuve" pour esquisser un vaste et paisible paysage printanier de séparation. Ensuite, "les saules se reflètent sur le pont élevé" fait passer la perspective de l'horizontal au vertical, construisant des couches d'images où l'homme et la nature se mêlent. Dans "les oies sauvages rentrent en volant, les voyageurs s'éloignent comme des nuages", la superposition des images des oies et des voyageurs évoque à la fois l'écoulement du temps et la transformation de l'espace, tout en suggèrent que ceux qui partent sont déjà loin, intensifiant le sentiment de solitude du poète. "Au bord des montagnes bleues" regarde au loin sans but, soulignant l'impuissance face à l'univers et la tristesse des affaires humaines. Sans un mot sur les sentiments, toute la strophe en est imprégnée, déployant la scène de séparation pour laisser sourdre lentement la mélancolie intérieure, unissant paysage et émotion dans une retenue touchante.
Seconde strophe : « 风微烟澹雨萧然,隔岸马嘶何处。九回肠,双脸泪,夕阳天。 »
Fēng wēi yān dàn yǔ xiāo rán, gé àn mǎ sī hé chù. Jiǔ huí cháng, shuāng liǎn lèi, xī yáng tiān.
"Une brise légère, une brume claire, une pluie silencieuse,
De l'autre rive, un hennissement de cheval — d'où vient-il ?
Mes entrailles se tordent en neuf détours,
Mes deux joues sont inondées de larmes,
Sous le ciel du couchant."
La seconde strophe passe du paysage à l'émotion, prolongeant les images de pluie de la première strophe avec "une brise légère, une brume claire, une pluie silencieuse" pour créer une atmosphère vaste et froide. Soudain, un "hennissement de cheval de l'autre rive" brise le silence, une dynamique extérieure qui touche en réalité la partie la plus vulnérable du cœur du poète, suscitant espoir et tristesse. "Mes entrailles se tordent en neuf détours" décrit à la fois les chemins sinueux des montagnes et les émotions déchirantes, jouant sur les mots. "Mes deux joues sont inondées de larmes, sous le ciel du couchant" montre directement la tristesse intérieure à travers l'expression extérieure, les larmes et le soleil couchant se reflétant dans une atmosphère mélancolique, l'émotion atteignant son apogée. Toute la strophe part d'un paysage calme, suscite un espoir fugace au son du hennissement, pour retomber dans la déception, triste sans être blessante, mélancolique sans amertume, progressant par couches dans une longueur d'onde émotionnelle.
Lecture globale
Cette œuvre, avec son approche picturale des paysages, dépeint avec finesse les sentiments subtils des adieux printaniers. Presque sans vers directement lyriques, le poème dégage pourtant une intense coloration émotionnelle. La première strophe construit une scène de séparation riche en couches spatiales à travers des images comme "herbes parfumées", "long fleuve", "pont élevé" et "oies sauvages", exprimant une tristesse silencieuse et une réticence à partir. La seconde strophe utilise des images comme le paysage après la pluie, le hennissement d'un cheval et les larmes au couchant pour décrire la solitude après la séparation et la tristesse de l'espoir déçu, révélant les méandres et la profondeur des émotions.
Le poème excelle dans les blancs laissés à l'imagination et les détours sinueux, évitant toute expression directe des sentiments pour déployer progressivement les changements psychologiques du poète à travers la nature, incarnant le style de Feng Yansi, à la fois délicat, profond et ancré dans les choses. Le "hennissement de cheval de l'autre rive" en particulier porte l'émotion du poème à son apogée dans une illusion fugace et une retombée, achevant la progression du rythme émotionnel entre calme et mouvement, constituant le coup de pinceau le plus brillant du poème.
Spécificités stylistiques
- Émotion dans le paysage, paysage dans l'émotion : Sans jamais mentionner directement les sentiments de séparation, le poème utilise des images concrètes comme "herbes parfumées", "oies sauvages", "hennissement" et "soleil couchant" pour faire progresser l'émotion, comme une eau souterraine imprégnant l'ensemble.
- Détails ingénieux, composition rigoureuse : La première strophe construit un espace visuel du proche au lointain, du bas vers le haut ; la seconde strophe fait passer l'émotion du calme au mouvement, puis du mouvement au calme, formant une boucle.
- Structure symétrique, images cohérentes : Les deux strophes se répondent dans les paysages et les émotions, le rythme général est gracieux et harmonieux, la progression émotionnelle fluide et naturelle.
- Langage clair et gracieux, sens profonds : Un diction élégant, une syntaxe équilibrée, exprimant une douleur de séparation avec retenue, incarnant le style caractéristique de l'école gracieuse de Feng Yansi.
Éclairages
Ce poème nous offre non seulement une jouissance esthétique, mais aussi une perspicacité profonde sur la "séparation", cette émotion humaine universelle. À travers des descriptions calmes du paysage et des captures profondes des états d'âme, le poète suscite une empathie transcendant les époques. Dans la société moderne, face aux flux des relations humaines et aux changements de circonstances, nous pouvons encore puiser dans ce poème une force émotionnelle intérieure : même seul sous la pluie et le soleil couchant, cette sincérité, cette inquiétude, ces souvenirs persistent comme les herbes parfumées, inépuisables. C'est un classique qui allie parfaitement la grâce subtile et la méditation philosophique.
À propos du poète
Feng Yansi (冯延巳 903 - 960), prénom social Zhengzhong, originaire de Guangling (actuelle Yangzhou, Jiangsu), fut un célèbre poète de ci sous les Tang du Sud durant la période des Cinq Dynasties et Dix Royaumes. Nommé Vice-directeur gauche du Département des Affaires d'État (Zuo Puye Tongping Zhangshi), il jouit de la confiance absolue de l'empereur Li Jing. Ses ci tracèrent une nouvelle voie au-delà de la tradition Huajian, influençant directement des maîtres ultérieurs comme Yan Shu et Ouyang Xiu, jouant un rôle pivot dans la transition du ci d'"art des musiciens" vers "expression lettrée des fonctionnaires-érudits".