À mes deux enfants restés au Shandong oriental de Li Bai

ji dong lu er zhi zi
Les mûriers du pays de Wu verdissent déjà ;
Mes vers à soie, pour la troisième fois, font leur somme.
Ma famille demeure au Shandong oriental ;
Qui donc cultive mes champs au nord du mont Tortue ?

Les travaux du printemps sont déjà manqués ;
Mon voyage sur le fleuve est encore incertain.
Le vent du sud emporte mon cœur nostalgique,
Qui vient tomber devant la maison où l’on sert le vin.

À l’est de la maison, un pêcher se dresse ;
Ses branches, dans la brume, semblent caresser le ciel.
C’est moi qui l’ai planté, voilà bientôt trois ans ;
L’arbre a grandi, mais je ne suis pas de retour.

Ma fille, dont le nom est Pingyang,
Cueille des fleurs, s’appuyant contre le tronc ;
Ne me voyant pas, ses larmes coulent comme une source.
Mon fils, appelé Boqin, a l’épaule à la hauteur de sa sœur.

Ils marchent ensemble sous le pêcher en fleurs ;
Qui donc les caresse et les console ?
Cette pensée me trouble profondément ;
Mon foie et mes entrailles se consument de chagrin.

Je déchire la soie pour écrire mes sentiments,
Et les confie aux eaux de la rivière Wenyang.

Poème chinois

「寄东鲁二稚子」
吴地桑叶绿,吴蚕已三眠。
我家寄东鲁,谁种龟阴田?
春事已不及,江行复茫然。
南风吹归心,飞堕酒楼前。
楼东一株桃,枝叶拂青烟。
此树我所种,别来向三年。
桃今与楼齐,我行尚未旋。
娇女字平阳,折花倚桃边。
折花不见我,泪下如流泉。
小儿名伯禽,与姊亦齐肩。
双行桃树下,抚背复谁怜?
念此失次第,肝肠日忧煎。
裂素写远意,因之汶阳川。

李白

Explication du poème

Ce poème fut composé par Li Bai en 744, à une époque où le grand poète de la dynastie Tang, écarté de la cour impériale par des dignitaires influents comme Li Linfu, dut quitter Chang'an pour se rendre à Jinling. Pendant les dernières années du règne de l'empereur Xuanzong des Tang, alors que la situation politique du pays était instable, Li Bai, errant et mélancolique, exprima dans ses poèmes une profonde nostalgie de sa terre natale, de sa famille et surtout de ses enfants. Ce poème est le cri du cœur d'un homme solitaire, chargé de chagrin et de séparation.

Première strophe : « 吴地桑叶绿,吴蚕已三眠。 »
Wú dì sāngyè lǜ, wú cán yǐ sān mián.
Au pays de Wu les feuilles de mûrier verdoyant, Les vers à soie du Wu ont déjà trois fois dormi.

Par une scène naturelle vivante, Li Bai ouvre son poème en dépeignant le paysage printanier du Jiangnan. La verdure des mûriers et les trois sommeils des vers à soie, symboles des cycles agricoles traditionnels, évoquent l'abondance du Jiangnan et l'écoulement des saisons. Ces détails permettent au poète d'exprimer sa profonde nostalgie de la vie natale, autant hommage aux paysages du Wu qu'attachement viscéral au foyer. Les vers à soie symbolisent la vitalité et la fuite du temps, reflétant l'angoisse de Li Bai face à l'éloignement croissant d'avec sa terre natale.

« 我家寄东鲁,谁种龟阴田? »
Wǒ jiā jì dōng lǔ, shuí zhǒng guī yīn tián?
Mon foyer se trouve au Shandong oriental, Qui donc cultive les champs de Guiyin ?

Par cette question, Li Bai exprime son inquiétude et son attachement aux terres natales. « Shandong oriental » désigne la terre natale du poète, et les « champs de Guiyin » évoquent une terre labourée près de la montagne Gui. Cette interrogation traduit l'anxiété du poète face à l'abandon de son foyer, craignant que les champs ne soient plus cultivés, et son doute croissant sur la distance qui le sépare de sa terre natale, révélant son désarroi intérieur et sa soif de vitalité pour les campagnes familiales.

Deuxième strophe : « 春事已不及,江行复茫然。 »
Chūn shì yǐ bù jí, jiāng xíng fù mángrán.
Les labours de printemps déjà hors d'atteinte, Ma navigation fluviale à nouveau sans but.

Ces vers expriment la mélancolie et la confusion du poète. Regrettant d'avoir manqué la saison des semailles, Li Bai erre sans direction précise. « Les labours de printemps déjà hors d'atteinte » souligne l'impuissance face à la rupture avec le pays natal, traduisant l'anxiété du temps qui fuit, tandis que « navigation fluviale à nouveau sans but » peint l'errance solitaire et le vide intérieur.

« 南风吹归心,飞堕酒楼前。 »
Nánfēng chuī guī xīn, fēi duò jiǔlóu qián.
Le vent du sud emporte mon cœur de retour, Volant s'abattre devant la maison de vin.

Le vent du sud, tiède et porteur, symbolise ici la nostalgie du pays natal. Personnifiant son désir de retour, Li Bai crée une image poétique où le vent le ramènerait à l'auberge familiale, vers ces souvenirs chaleureux. Cette imagination rend tangible l'urgence du retour tout en soulignant son impossibilité, intensifiant l'expression émotionnelle.

Troisième strophe : « 楼东一株桃,枝叶拂青烟。 »
Lóu dōng yī zhū táo, zhīyè fú qīng yān.
À l'est du pavillon un pêcher unique, Ses branches effleurent la fumée bleutée.
Le pêcher devient le lien symbolique entre le poète et sa terre natale. Planté de sa main, il incarne l'affection profonde liant Li Bai à son foyer et à ses enfants. Sa croissance, baignée de fumée bleutée, peint une scène domestique chaude et vivante, témoin du temps passé et des souvenirs chers.

« 此树我所种,别来向三年。 »
Cǐ shù wǒ suǒ zhǒng, bié lái xiàng sān nián.
Cet arbre, je l'ai planté de mes mains, Voilà bientôt trois ans que je l'ai quitté.
Le poète exprime ainsi les trois années de séparation qui renforcent sa nostalgie. La croissance de l'arbre symbolise l'écoulement du temps, accentuant la distance avec le pays natal.

« 桃今与楼齐,我行尚未旋。 »
Táo jīn yǔ lóu qí, wǒ xíng shàng wèi xuán.
Le pêcher aujourd'hui égale le pavillon, Pourtant mon retour se fait encore attendre.
Par ce contraste entre la croissance de l'arbre et son propre exil, Li Bai révèle son impuissance et sa douleur de l'éloignement, accentuant le regret de l'absence.

Quatrième strophe : « 娇女字平阳,折花倚桃边。 »
Jiāo nǚ zì píngyáng, zhé huā yǐ táo biān.
Ma tendre fille se nomme Pingyang, Cueillant des fleurs, appuyée contre le pêcher.
Dépeignant avec tendresse l'innocence de sa fille jouant près de l'arbre, Li Bai crée une scène familiale touchante. Cette évocation traduit sa profonde affection, particulièrement pour Pingyang, dont la grâce insouciante devient une vive douleur au cœur du père absent.

« 折花不见我,泪下如流泉。 »
Zhè huā bùjiàn wǒ, lèi xià rú liú quán.
Cueillant des fleurs, ne me voyant point, Ses larmes coulent comme une source.
Les larmes de l'enfant illustrent son attachement au père et la tristesse de la séparation. La comparaison des larmes à une source rend l'émotion vive et universellement palpable.

« 小儿名伯禽,与姊亦齐肩。 »
Xiǎo ér míng bó qín, yǔ zǐ yì qí jiān.
Mon jeune fils se nomme Boqin, Déjà à l'épaule de sa sœur aînée.
La croissance des enfants, marquée par leur taille, symbolise la fuite du temps et le regret du père de ne pouvoir y assister.

« 双行桃树下,抚背复谁怜? »
Shuāng xíng táo shù xià, fǔ bèi fù shuí lián?
Tous deux marchant sous le pêcher, Qui donc leur caressera le dos avec tendresse ?
Cette évocation des enfants seuls sous l'arbre exprime l'impuissance et la culpabilité du père absent, incapable de veiller sur leur croissance, émotion profondément émouvante.

Lecture globale

Ce poème caractéristique de la nostalgie de Li Bai allie imagination artistique brillante et émotion authentique. Dépeignant les paysages printaniers du Wu pour évoquer la terre natale et les enfants, le poète utilise la croissance du pêcher pour refléter son exil, et celle des enfants pour souligner son absence à leur éducation. S'y mêlent l'attachement au pays et l'affection familiale, d'une touchante sincérité. Le vent du sud emportant le cœur ou le pêcher grandi sans retour renforcent la puissance émotive, alliant mélancolie, tendresse et poésie.

Spécificités stylistiques

  • Fusion scène-sentiment : Le poète unit paysage printanier du Jiangnan et nostalgie.
  • Imagination ingénieuse : Des images comme « le vent du sud emporte mon cœur » créent un pouvoir évocateur fort.
  • Description délicate : La depiction des enfants, de leurs gestes et émotions, est vivante et touchante.
  • Structure achevée : Le poème progresse harmonieusement de la scène au sentiment et à la nostalgie.

Éclairages

Ce poème révèle la profonde nostalgie d'un exilé pour sa terre et ses enfants, reflétant l'impuissance des lettrés anciens contraints à l'éloignement. Li Bai confie son chagrin à la nature, faisant du pêcher un symbole du temps, rendant son emotion plus poignante. Cette œuvre nous rappelle la valeur des liens familiaux et la mélancolie de l'errance. Dans le monde moderne, malgré les communications facilitées, la séparation reste une constante : ce poème nous exhorte à chérir le temps passé en famille, pour ne pas regretter l'écoulement des ans.

À propos du poète

Li Bai

Li Bai (李白), 701 - 762 apr. Li Bai a porté la poésie chinoise classique, en particulier la poésie romantique, à son apogée et a influencé des générations de lettrés exceptionnels dans le passé et le présent grâce à ses remarquables réalisations.

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