De saules et sophoras la ville est entourée,
Au grondement du fleuve ajoute la pluietombée.
Au vent d’automne il n’y a ni chars ni chevaux,
Oh, qui n’est pas nostalgique en montant en haut?
Poème chinois
「登楼」
李端
槐柳萧疏绕郡城,夜添山雨作江声。
秋风南陌无车马,独上高楼故国情。
Explication du poème
Ce poème fut composé par Yang Shi'e après sa disgrâce politique sous les Tang. Exilé en terre étrangère, il gravit un pavillon d'où son regard embrasse le lointain, tandis que vents d'automne et pluies crépusculaires sur une cité désolée reflètent avec art sa solitude et sa mélancolie. En quatre vers où paysage et émotion ne font qu'un, se déploie une atmosphère de profonde tristesse, exprimant les tourments d'un poète balloté par les revers du destin et les caprices d'une carrière officielle brisée.
Premier distique : « 槐柳萧疏绕郡城,夜添山雨作江声。 »
Huái liǔ xiāo shū rào jùn chéng, yè tiān shān yǔ zuò jiāng shēng.
Sophoras et saules clairsemés ceignent la ville préfectorale,
La pluie nocturne des monts se mue en clameur fluviale.
Ce distique ouvre sur une scène où la nature déclinante ("clairsemés" 萧疏) révèle la saison - un automne avancé - et suggère le déclin des affaires humaines. La pluie soudaine dont le bruit torrentiel évoque un fleuve déchaîné intensifie l'atmosphère pesante et solitaire, tout en symbolisant les remous intérieurs du poète.
Deuxième distique : « 秋风南陌无车马,独上高楼故国情。 »
Qiū fēng nán mò wú chē mǎ, dú shàng gāo lóu gù guó qíng.
Vent d'automne sur la route sud, nul attelage ni coursier,
Seul au pavillon élevé, s'éveille l'amour de l'ancien pays.
Ici, le paysage bascule vers l'intime. La route déserte balayée par le vent ("nul attelage" 无车马) souligne la solitude du poète contemplant l'horizon. "Amour de l'ancien pays" (故国情) concentre l'émotion en un regret poignant pour la patrie perdue et les jours révolus, révélant toute l'amertume d'un homme broyé par les vicissitudes du destin.
Lecture globale
Bien que ne comptant que quatre vers, ce poème dépeint avec une grande finesse descriptive la solitude du poète en exil, déchu de ses fonctions officielles. Le premier vers campe le décor extérieur de la ville préfecture, un environnement déserté où l'automne s'installe progressivement, établissant ainsi une tonalité mélancolique. Le second vers évoque le bruit de la pluie nocturne sur les montagnes, semblable au flux des marées, utilisant les sons de la nature pour refléter les remous intérieurs. Le troisième vers introduit la perception humaine, où les images jumelées du "vent d'automne" et de "l'absence de chars et chevaux" intensifient l'atmosphère d'isolement. Le vers final révèle l'émotion - "monter seul" et "nostalgie du pays natal", cinq caractères où le sentiment émerge naturellement du paysage, exprimé avec retenue et profondeur. Le poème entrelace réalité et abstraction, où le paysage engendre l'émotion, constituant un petit chef-d'œuvre où scène et sentiment se fondent harmonieusement dans une structure ingénieuse.
Spécificités stylistiques
Ce poème prend l'ascension d'une tour comme prétexte pour dévoiler, à travers une progression d'images soigneusement agencées, le monde intérieur complexe du poète. Les expressions "saules et sophoras clairsemés" et "pluie nocturne sur les montagnes" créent une atmosphère automnale empreinte de profonde solitude, tandis que "vent d'automne" et "absence de chars et chevaux" renforcent la froideur de l'environnement et son manque de présence humaine. L'apogée est atteinte avec "monter seul dans la haute tour", révélant la mélancolie du poète isolé en terre étrangère, sans espoir de retour. Le langage est concis et dépouillé, la structure rigoureuse, incarnant parfaitement le style des poèmes réguliers de l'époque Tang.
Éclairages
Plus qu'une simple évocation paysagère chargée d'émotion, ce poème recèle une méditation sur les aléas du destin humain et les vicissitudes de l'histoire. En exil, contemplant l'immensité du monde depuis les hauteurs, le poète perçoit non seulement la froideur du changement des saisons, mais aussi la lourdeur des fluctuations de carrière et de la solitude existentielle. Cette œuvre nous rappelle que, que nous soyons dans l'adversité ou la prospérité, nous devrions, comme Yang Shie, faire de la poésie le véhicule de nos aspirations, transformer nos émotions en paysages, et intégrer nos expériences personnelles dans le grand tout de la nature, trouvant ainsi dans la littérature un refuge pour nos sentiments et une issue pour notre esprit.
Traducteur de poésie
Xu Yuanchong(许渊冲)
À propos du poète
Yang Shi'e (羊士谔, ca. 762-822), natif de Luoyang (Henan), poète majeur de la période médiane des Tang, reçu au prestigieux examen impérial (进士) en 785 sous le règne de Dezong. Spécialiste des paysages naturels et des affres bureaucratiques, son style se rapproche de Wei Yingwu tout en développant une tonalité plus austère et solitaire, marquant la scène poétique de son empreinte glaciale et distinctive.