Derniers Vers sur le Mont de Cuivre de Li Bai

tong guan shan zui hou jue ju
                J’aime les plaisirs du Mont de Cuivre,
Mille ans passés, je n’en veux revenir.
Que mes manches virevoltent au vent
Pour balayer le Mont des Cinq-Pins !

Poème chinois

「铜官山醉后绝句」
我爱铜官乐,千年未拟还。
应须回舞袖,拂尽五松山。

李白

Explication du poème

Ce poème fut composé en 754 alors que Li Bai voyageait dans le district de Nanling de la commanderie de Xuancheng (actuelle région de Tongling, Anhui). Dix ans après son « renvoi avec des présents d'or », le poète quinquagénaire, dont les ambitions étaient contrariées, voyait la fougue libertaire de sa poésie s'intensifier au gré de ses errances entre paysages et tavernes. Ce quatrain est le reflet de cet état d'esprit : il transforme sa déception en un amour absolu pour les monts et eaux et en un refuge spirituel.

Premier couplet : « 我爱铜官乐,千年未拟还。 »
Wǒ ài tóng guān lè, qiānnián wèi nǐ huán.
J'aime la joie du pic de Tongguan, Mille ans durant, je ne pense revenir.

Dès l'ouverture, la confession éclate, sans réserve. « J'aime » domine l'ensemble, d'une ferveur ardente. « Joie du pic de Tongguan » évoque à la fois les délices des paysages et la vie libre entre vin et chants avec des amis. « Mille ans durant, je ne pense revenir » est une hyperbole foudroyante : par sa temporalité absolue (mille ans) et sa détermination sans faille (ne pas penser revenir), elle annonce une rupture définitive avec carrière et gloire mondaine, élevant l'enthousiasme du voyage à un choix spirituel éternel.

Deuxième couplet : « 应须回舞袖,拂尽五松山。 »
Yīng xū huí wǔ xiù, fú jìn wǔ sōng shān.
Je devrais déployer mes manches dansantes, Et effleurer de leur vol tout le mont aux Cinq Pins.

Ce distique transforme la passion en une vision fantastique, pleine de grâce et de mouvement. « Déployer mes manches dansantes » puise dans l'image classique de Li Bai, « ivre, ses manches effleurent soleil et lune », à la fois capture de son ivresse et danse de son âme libre et indomptable. « Effleurer de leur vol tout le mont » est un trait de génie : le poète prend ses manches pour pinceau, le ciel et la terre pour toile ; il veut embrasser, caresser, posséder la montagne entière par sa danse ivre. C'est un amour extrême, une conquête poétique, révélant le sentiment romantique de l'union entre l'homme et la nature.

Lecture globale

La plus grande particularité artistique de ce poème est d'exprimer un sentiment de rupture déterminée avec la posture la plus ardente et positive. Le poète ne dit pas « je déteste Chang'an », mais « j'aime le pic de Tongguan » ; il ne dit pas « je ne retournerai pas », mais « je ne pense revenir ». Il transforme complètement l'échec politique en un hymne enflammé à la nature et à la liberté. En quatre vers brefs, l'émotion est intense, la tension maximale : les deux premiers sont une déclaration franche, comme de l'or jeté à terre ; les deux derniers sont une vision magnifique, comme des manches d'immortel flottant. Derrière ces paroles ivres et extravagantes se cache la solitude d'un poète de génie en décalage avec le monde mondain, et ses efforts pathétiques pour construire un royaume indépendant dans les paysages et le vin.

Spécificités stylistiques

  • Expression extrême de l'émotion : Par des mots limites comme « mille ans », « ne pas penser revenir », « effleurer tout », les sentiments personnels sont poussés à l'extrême, créant un fort impact artistique.
  • Façonnement romantique de l'image de soi : L'image des « manches dansantes » façonne le poète en « immortel banni » dansant ivre et joyeux avec les paysages, d'une grande force visuelle et distinctive.
  • Création d'atmosphère intégrant réel et irréel : Le premier distique exprime directement, « décrivant » ses sentiments ; le second, dansant ivre et effleurant la montagne, « décrit » son attitude. Réel et irréel s'engendrent, construisant ensemble un monde poétique à la fois vrai et onirique.
  • Langage concis et profond : Vingt caractères seulement, mais contenant l'explosion émotionnelle, la déclaration de volonté et l'imagination de l'action, d'une grande densité, montrant la maîtrise de Li Bai comme virtuose de la langue.

Éclairages

Ce poème nous montre une stratégie supérieure de salut spirituel. Quand le monde extérieur (comme la carrière) ferme ses portes, Li Bai ne sombre pas dans l'abattement, mais embrasse un autre monde (nature, poésie et vin) avec une passion plus grande, y affirmant sa valeur, allant jusqu'à déclarer « mille ans durant, je ne pense revenir ». Cela nous inspire que le chemin de la vie n'est jamais unique, que la vraie difficulté n'est peut-être pas « l'impasse » mais « le refus de faire demi-tour ». Face aux goulots d'étranglement et aux échecs, nous devons peut-être apprendre de Li Bai cette audace et cette passion à « ouvrir un autre ciel », retrouvant un point d'appui et un élan vital dans un autre domaine, transformant l'échec en poésie.

À propos du poète

Li Bai

Li Bai (李白), 701 - 762 apr. Li Bai a porté la poésie chinoise classique, en particulier la poésie romantique, à son apogée et a influencé des générations de lettrés exceptionnels dans le passé et le présent grâce à ses remarquables réalisations.

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