Bodhisattva Barbare : Serrures d’Or sur Portes Vermillon de Feng Yansi

pu sa man · chen chen zhu hu heng jin suo
Les lourdes portes vermillon sont barrées de serrures dorées,
À travers la mousseline, l’ombre de la lune suit les fleurs passantes.

Les larmes de cire sont sur le point de sécher,
Les pruniers tombés engendrent un froid nocturne.

Une épingle à cheveux en phénix vert repose de travers,
Un rêve parcourt mille lieues vers un paravent parfumé.

Les nuages et la pluie sont déjà désolés,
Au sud du fleuve, les herbes de printemps poussent sans fin.

Poème chinois

「菩萨蛮 · 沉沉朱户横金锁」
沉沉朱户横金锁,纱窗月影随花过。
烛泪欲阑干,落梅生晚寒。
宝钗横翠凤,千里香屏梦。
云雨已荒凉,江南春草长。

冯延巳

Explication du poème

Feng Yansi, maître de la poésie lyrique (ci) des Tang du Sud durant la période troublée des Cinq Dynasties et des Dix Royaumes, excelle dans l'évocation des sentiments intimes féminins. Ce poème, représentatif de son style délicat et raffiné, dépeint une jeune femme en proie à la nostalgie amoureuse lors d'une nuit printanière solitaire. Concentré sur un espace-temps restreint (nuit profonde, chambre close, solitude), il incarne l'idéal esthétique de l'école gracieuse (wanyue) par son intensité émotionnelle et son économie narrative.

Première strophe : « 朱户沉沉横金锁,纱窗月影随花过。烛泪欲阑干,落梅生晚寒。 »
Zhū hù chén chén héng jīn suǒ, shā chuāng yuè yǐng suí huā guò. Zhú lèi yù lán gān, luò méi shēng wǎn hán.

"La porte vermillon, close par un cadenas doré,
Sur la fenêtre de gaze, l'ombre lunaire danse avec les fleurs.
Les pleurs de la bougie ont presque tari,
Les pruniers en fleurs tombent, apportant le froid du soir."

Ces vers ouvrent sur une atmosphère nocturne d'une profonde intimité. "Porte vermillon close" symbolise l'isolement social et affectif de l'héroïne, tandis que "l'ombre lunaire danse avec les fleurs" crée un mouvement poétique révélant à la fois le passage du temps et la contemplation mélancolique. "Pleurs de la bougie", image classique des regrets amoureux, et "pruniers en fleurs tombant" évoquent la fin d'un cycle - celui de la nuit comme celui de la jeunesse et de l'amour. Le "froid du soir" transcende la simple description climatique pour exprimer une solitude existentielle.

Seconde strophe : « 宝钗斜插翠凤翘,千里香屏梦。云雨已荒凉,江南春草长。 »
Bǎo chāi xié chā cuì fèng qiào, qiān lǐ xiāng píng mèng. Yún yǔ yǐ huāng liáng, jiāng nán chūn cǎo zhǎng.

"L'épingle de jade, ornée d'un phénix vert, penche dans ses cheveux,
Derrière le paravent parfumé, son rêve parcourt mille lieues.
Les nuages et la pluie ne sont plus que désolation,
Tandis que poussent les herbes printanières du Jiangnan."

La strophe bascule dans l'onirisme. "Épingle de jade penchée" traduit avec délicatesse l'abandon physique dans le sommeil, tandis que "rêve parcourant mille lieues" sublime l'absence en voyage imaginaire vers l'aimé lointain. "Nuages et pluie", allusion classique aux ébats amoureux, contrastent violemment avec "désolation" pour marquer la fin des joies passées. Enfin, "herbes printanières du Jiangnan" - image récurrente de la mélancolie durable - suggère que la souffrance amoureuse persiste aussi inéluctablement que renaît la nature.

Lecture globale

Ce poème condense en huit vers l'essence du style gracieux : intensité émotionnelle dans la retenue formelle. La progression narrative - de la veille mélancolique au rêve libérateur, puis au réveil désolé - épouse parfaitement la structure classique qi-cheng-zhuan-he (exposition, développement, tournant, conclusion). L'œuvre excelle dans l'art de suggérer plus que décrire : les "pleurs de bougie" disent les larmes non versées, les "herbes du Jiangnan" évoquent des années de regrets.

Spécificités stylistiques

  • Symbolisme organique : Chaque élément (porte, bougie, prunier, herbes) fonctionne à la fois comme description réaliste et métaphore psychologique.
  • Dichotomie structurelle : Opposition entre verticalité (porte, épingle) et horizontalité (rêve voyageur, herbes infinies).
  • Intertextualité subtile : Références discrètes au Chuci ("nuages et pluie") et à la poésie Tang ("herbes du Jiangnan").
  • Économie sensorielle : Privilégie le visuel (ombres, fleurs) et l'olfactif (paravent parfumé) pour évoquer le toucher absent.

Éclairages

Ce poème transcende son cadre historique pour parler à toutes les époques de la condition féminine sous contrainte. La chambre close devient métaphore de l'espace assigné aux femmes, tandis que le rêve "parcourant mille lieues" incarne leur désir d'évasion. La conclusion sur les "herbes printanières" rappelle cruellement que la nature suit son cours indifférente aux drames humains - thème qui résonne avec les interrogations écologiques contemporaines sur la place de l'homme dans le cycle naturel.

L'œuvre enseigne aussi que la plus profonde mélancolie naît souvent de la tension entre beauté et tristesse : les images les plus gracieuses (fleurs, lune, phénix) y deviennent les vecteurs d'une douleur d'autant plus poignante qu'elle est contenue. Une leçon pour notre époque avide d'expressions brutales : parfois, c'est dans le non-dit que réside la plus grande puissance émotionnelle.

À propos du poète

Feng Yansi

Feng Yansi (冯延巳 903 - 960), prénom social Zhengzhong, originaire de Guangling (actuelle Yangzhou, Jiangsu), fut un célèbre poète de ci sous les Tang du Sud durant la période des Cinq Dynasties et Dix Royaumes. Nommé Vice-directeur gauche du Département des Affaires d'État (Zuo Puye Tongping Zhangshi), il jouit de la confiance absolue de l'empereur Li Jing. Ses ci tracèrent une nouvelle voie au-delà de la tradition Huajian, influençant directement des maîtres ultérieurs comme Yan Shu et Ouyang Xiu, jouant un rôle pivot dans la transition du ci d'"art des musiciens" vers "expression lettrée des fonctionnaires-érudits".

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