La mousse envahit la moitié de la cour,
Un sentier blanc serpente près de l'eau.
Qui vient goûter cette paix solitaire ?
Dans les galeries, le printemps se tait,
Pêchers des monts, abricots des ruisseaux -
Pour qui s'épanouir, pour qui se flétrir ?
Poème chinois
「浣溪沙 · 百亩中庭半是苔」
百亩中庭半是苔,门前白道水萦回。
爱闲能有几人来?小院回廊春寂寂,山桃溪杏两三栽。
王安石
为谁零落为谁开?
Explication du poème
Ce poème composé par Wang Anshi vers 1056-1063, à l'aube des réformes Qingli, capture un moment charnière où le futur chancelier mûrissait ses idées novatrices. Le pic Feilaifeng (飞来峰) de Hangzhou devient ici une métaphore politique - l'ascension physique préfigurant l'élévation morale nécessaire pour transformer l'empire.
Premier couplet : « 飞来山上千寻塔,闻说鸡鸣见日升。 »
Fēilái shān shàng qiānxún tǎ, wénshuō jī míng jiàn rì shēng.
"Tour de mille brasses sur la Montagne Volante - On dit qu'au chant du coq, on y voit naître le soleil."
La hauteur vertigineuse (千寻塔 - ~1800m) symbolise l'ambition démesurée. La référence au Xuanzhong Ji (玄中记) transforme le lieu en espace liminal entre mythe et réalité, où le réformateur, tel un guetteur cosmique, perçoit l'aurore des changements avant le commun des mortels.
Deuxième couplet : « 不畏浮云遮望眼,自缘身在最高层。 »
Bú wèi fúyún zhē wàng yǎn, zì yuán shēn zài zuì gāo céng.
"Je ne crains pas les nuages flottants qui voileraient ma vue - Mon regard perce car je trône au plus haut niveau."
Ces vers cristallisent l'idéologie réformatrice. Les "nuages flottants" (浮云), allusion classique aux calomnies (Lunyu VII, 16), représentent l'opposition conservatrice. La "couche suprême" (最高层) n'est pas seulement physique mais intellectuelle - la clairvoyance du visionnaire politique.
Lecture globale
Ce poème en quatrain (七绝), d'une conception élevée et d'une envergure majestueuse, semble décrire l'ascension d'une pagode mais véhicule en réalité des aspirations et une vision du monde, utilisant le paysage comme métaphore philosophique et la tour comme expression des sentiments. À travers la "hauteur vertigineuse" (高) de l'antique pagode aux mille toits, le poète évoque une quête politique transcendant les limites matérielles et les préjugés mondains. La transition centrale, subtilement nourrie d'allusions classiques, culmine avec "se tenir au niveau le plus élevé" (身在最高层), conjuguant élévation rationnelle et fougue confiante. Ces quatre vers heptasyllabiques progressent méthodiquement, formant une structure rigoureuse au message profond : à la fois manifeste politique de Wang Anshi et source intemporelle de réflexion sur la vie et la clairvoyance.
Spécificités stylistiques
- Paysage comme véhicule d'idéal, horizon sublime :
La description de l'ascension de la pagode devient l'expression d'ambitions politiques et de méditations philosophiques, illustrant le style "raison incarnée dans le paysage, volonté révélée par l'action". - Allusions savantes, transfiguration naturelle :
"Le chant du coq voit le soleil se lever" (鸡鸣见日升) puise dans les mythes du Xuánzhōng Jì, mais Wang Anshi l'adapte avec réalisme, renforçant la portée symbolique et la densité littéraire. - Langage concis, architecture rigoureuse :
Les quatre vers s'enchaînent logiquement : de la description concrète du Pic Volant (飞来峰) à l'abstraction des "nuages flottants" (浮云), jusqu'à l'affirmation de la hauteur spirituelle, modèle de progression du concret vers l'idéel. - Profondeur philosophique, résonance universelle :
Les "nuages flottants" symbolisent les obstacles existentiels, le "niveau suprême" la hauteur de pensée - leur opposition enseigne à "dominer sans crainte, se tenir inébranlable", condensé de la vision du poète.
Éclairages
L'existence est semée de ces "nuages" obscurcissant la vue : calomnies, préjugés vulgaires ou entraves des médiocres. Mais qui se place au "niveau le plus élevé", avec une vision ample et une résolution ferme, peut discerner l'essentiel et transcender les tumultes. Ce poème, tout en étant le reflet des réformes de Wang Anshi, sert d'idéal à bien des générations : garder une pensée indépendante et une perspicacité élevée, pour être de ceux qui, voiles dissipés, voient le vrai soleil se lever.
À propos du poète
Wang Anshi (王安石, 1021 - 1086), originaire de Linchuan dans le Jiangxi, fut un éminent homme politique et lettré des Song du Nord. Figure centrale des "Réformes de Xining", son œuvre littéraire reflète tout autant l'acuité réformatrice que la profondeur philosophique de son esprit. Son Recueil de Linchuan, comprenant plus d'un millier de poèmes et écrits en prose, constitue l'expression la plus aboutie de l'esprit des lettrés-fonctionnaires de l'ère Song du Nord.