Chaque fois je sens que ce pavillon ouest est le plus paisible,
Oubliant que ma charge est celle des anciens seigneurs.
Un verre de vin, le vent et la lune, libre de tout souci,
Les champs labourés s'étendent à perte de vue, promesse d'automne.
Les oiseaux chantent, éveillant l'âme dans les nuages et l'eau,
Le courant froid lave mes oreilles de son sable de jade.
Mon cœur s'immerge dans les rouleaux jaunes, lecture attentive,
Comme si j'étais au sommet du Pic-aux-Parfums, en méditation.
Poème chinois
「凝香斋」
曾巩
每觉西斋景最幽,不知官是古诸侯。
一尊风月身无事,千里耕桑岁有秋。
云水醒心鸣好鸟,玉沙清耳漱寒流。
沉心细细临黄卷,疑在香炉最上头。
Explication du poème
Ce poème fut composé en 1072 (5ème année de Xining sous l'empereur Shenzong des Song), peu après la nomination de Zeng Gong comme préfet de Qizhou (actuel Jinan, Shandong). À cette époque de stabilité politique et de récoltes abondantes, Zeng Gong, administrateur compétent appliquant une gouvernance simple, trouvait souvent du temps pour se consacrer aux paysages et à la poésie. Le studio Ningxiang (originellement appelé studio ouest), situé au bord du lac Daming à Jinan, était un de ses lieux de prédilection pour sa quiétude et sa beauté, où il aimait étudier et écrire - ce qui inspira ce poème. L'œuvre exprime à la fois la sérénité de vivre entouré de lacs et de montagnes, et la satisfaction d'un gouvernement efficace et d'années prospères, offrant un aperçu de la vie idéale des lettrés-fonctionnaires.
Premier couplet : « 每觉西斋景最幽,不知官是古诸侯。 »
Měi jué xī zhāi jǐng zuì yōu, bù zhī guān shì gǔ zhū hóu.
Chaque fois je trouve le studio ouest d'une quiétude extrême,
J'en oublie ma charge de gouverneur antique.
Dès l'ouverture, le "studio ouest" est présenté comme un lieu où la sérénité ambiante fait oublier les contingences officielles. Cette fusion entre paysage "tranquille" et oubli des fonctions suggère une harmonie spirituelle teintée de zen.
Deuxième couplet : « 一尊风月身无事,千里耕桑岁有秋。 »
Yī zūn fēng yuè shēn wú shì, qiān lǐ gēng sāng suì yǒu qiū.
Une coupe de vin face au vent et à la lune - aucun souci ;
Mille lis de champs cultivés - chaque automne apporte ses moissons.
Ce couplet parfaitement symétrique oppose l'oisiveté personnelle à la prospérité régionale. Le poète, en bon administrateur, jouit d'un loisir studieux grâce à une gouvernance efficace - posant ainsi les bases de l'atmosphère détendue du poème.
Troisième couplet : « 云水醒心鸣好鸟,玉沙清耳漱寒流。 »
Yún shuǐ xǐng xīn míng hǎo niǎo, yù shā qīng ěr shù hán liú.
Nuages et eaux éveillent l'âme, les oiseaux chantent ;
Sable de jade purifie l'ouïe, l'eau froide murmure.
D'une grande vivacité visuelle et auditive, ces vers décrivent comment la nature lave l'esprit ("éveillent l'âme", "purifie l'ouïe"). Les verbes dynamiques ("chantent", "murmure") créent un rythme élégant, incarnant l'esthétique paysagère raffinée des lettrés Song.
Quatrième couplet : « 沉心细细临黄卷,疑在香炉最上头。 »
Chén xīn xì xì lín huáng juàn, yí zài xiāng lú zuì shàng tou.
L'esprit concentré, je scrute les classiques,
Me croyant au sommet du pic de l'Encensoir.
La conclusion lie étude et transcendance. Les "classiques" (litt. "rouleaux jaunes") et la référence au pic de l'Encensoir (symbole de retrait spirituel) montrent une parfaite union entre paysage et élévation intellectuelle, idéal typique des lettrés.
Lecture globale
Le poème s'articule autour du thème "le pavillon occidental offre le plus paisible des paysages". Le premier distique présente une vue d'ensemble, le second évoque l'administration clémente et les loisirs empreints de sérénité. Le troisième distique se concentre sur les couleurs et sons de la nature, révélant une émotion tranquille. Enfin, le distique final bascule vers une "errance spirituelle" parmi les livres, concluant sur l'idée d'étudier pour éclairer ses aspirations et voyager en esprit vers la Voie. À travers cette série de tableaux, Zeng Gong dépeint un idéal de vie lettrée : à la fois engagé dans une gouvernance diligente et capable de se consacrer aux paysages comme à l'étude, trouvant l'harmonie entre action et contemplation, service public et loisir, monde extérieur et soi intérieur. Le poème présente une structure rigoureuse, une érudition subtile, un langage clair, des descriptions picturales et une profondeur émotionnelle remarquable.
Spécificités stylistiques
- Paysage comme miroir de l'âme, fusion parfaite entre scène et sentiment
À travers la description des lacs, montagnes, sources et oiseaux entourant le Pavillon de la Concentration Parfumée, le poète exprime sa sérénité intérieure et sa clarté d'esprit. La transition entre paysage et émotion se fait avec une fluidité naturelle, sans artifice, incarnant l'idéal esthétique caractéristique de la poésie des Song. - Élégance épurée, langue vivante
Des expressions comme "éveiller le cœur", "purifier l'ouïe" ou "se rincer dans le courant froid" s'appuient sur des références classiques tout en employant des verbes d'une vivacité et d'une justesse remarquables. Ces choix animent le poème d'un dynamisme discret, mêlant profondeur méditative et délicatesse ludique, sans jamais tomber dans la vulgarité. - Gouvernance harmonieuse, idéal du lettré
Bien que n'évoquant jamais explicitement les affaires politiques, des vers comme "sur mille lis, cultures prospères chaque automne" suggèrent subtilement que la quiétude du poète découle d'une administration locale compétente. Ceci reflète le modèle confucéen du lettré-fonctionnaire qui, après avoir assuré "l'ordre dans le monde" (治平), peut se retirer pour "errer en esprit" (游心) dans la contemplation.
Éclairages
Ce poème révèle que l'idéal de vie réside dans l'équilibre entre engagement et détachement, action et contemplation. Le poète, sans anxiété carriériste ni vanité titulaire, trouve dans une gouvernance vertueuse le fondement permettant de se ressourcer dans la nature, les livres et la culture de soi. Cette grâce tranquille ne fut pas l'apanage de Zeng Gong seul, mais constitua l'idéal partagé par l'élite intellectuelle des Song. Aujourd'hui encore, cette œuvre nous inspire à cultiver "la paix du corps et la tranquillité de l'esprit", tout en rappelant que l'étude et la sagesse doivent accompagner l'engagement dans le siècle.
À propos du poète
Zeng Gong (曾巩 1019 - 1083), originaire de Nanfeng dans la province du Jiangxi, compte parmi les illustres "Huit Grands Maîtres de la Prose des Tang-Song". Ses écrits se distinguent par leur équilibre classique élégant, célébrés pour leur argumentation rigoureuse et leur artisanat littéraire raffiné. Alors que sa poésie embrassait une subtilité sans artifice, sa prose atteignit ce que les critiques ont qualifié de "quintessence de pureté" - un accomplissement qui, bien que peut-être moins éclatant que celui de ses contemporains comme Su Shi ou Wang Anshi, lui valut une révérence posthume en tant que maître fondateur de "l'École Littéraire Nanfeng".