Soir de Lune dans le Pavillon du Sud, Pensant au Magistrat Cui de Wang Changling

tong cong di nan zhai wan yue yi shan yin cui shao fu
Étendu dans le pavillon du Sud,
J'ouvre les rideaux : la lune se lève.
Sa clarté tremble sur l'eau et les arbres,
Ondule aux carreaux de ma fenêtre.
Combien de fois, lente, s'est-elle arrondie ou décroissante ?
Pure, elle a vu passer les âges.
Toi, l'homme de vertu, sur les rives du fleuve limpide,
Cette nuit, tu chantes la nostalgie de Yue.
Mille lis nous séparent, qu'importe ?
La brise porte ton parfum d'orchidée jusqu'ici.

Poème chinois

「同从弟南斋玩月忆山阴崔少府」
高卧南斋时,开帷月初吐。
清辉淡水木,演漾在窗户。
苒苒几盈虚,澄澄变今古。
美人清江畔,是夜越吟苦。
千里其如何,微风吹兰杜。

王昌龄

Explication du poème

Ce poème a été composé pendant l'âge d'or de la dynastie Tang, lorsque Wang Changling admirait la lune depuis son studio méridional (Nanzhai). Intitulé « En admirant la lune depuis le studio méridional avec mon jeune cousin et en pensant à l'adjoint du préfet Cui de Shanyin », il exprime la nostalgie du poète alors qu'il se trouve loin de chez lui, ému par le paysage nocturne. À travers sa description poétique du clair de lune, Wang Changling exprime son affection pour son ami tout en méditant sur l'impermanence de la vie et le passage du temps. D'une sensibilité raffinée et d'un langage élégant, ce poème intègre parfaitement le paysage aux émotions, révélant une profondeur subtile. Il s'agit d'une œuvre atypique dans le corpus de Wang Changling, montrant son style doux et délicat, différent de ses poèmes héroïques habituels sur les frontières.

Premier couplet : « 高卧南斋时,开帷月初吐。 »
Gāo wò nán zhāi shí, kāi wéi yuè chū tǔ.
Étendu dans mon studio méridional, j'entrouvre les rideaux : la lune naissante apparaît.
L'expression « yuè chū tǔ » (littéralement "la lune commence à jaillir") personnifie l'astre lunaire, évoquant son émergence progressive comme un souffle vital. Le verbe « tǔ » (吐) crée une image organique et dynamique.

Deuxième couplet : « 清辉淡水木,演漾在窗户。 »
Qīng huī dàn shuǐ mù, yǎn yàng zài chuāng hù.
La clarté pure baigne les eaux et les bois, ondulant devant ma fenêtre.
L'adjectif « qīng » (清) qualifiant la lumière lunaire suggère une pureté cristalline. Le mouvement « yǎn yàng » (演漾) décrit les reflets dansants de la lune sur l'eau, créant un effet visuel hypnotique.

Troisième couplet : « 苒苒几盈虚,澄澄变今古。 »
Rǎn rǎn jǐ yíng xū, chéng chéng biàn jīn gǔ.
Lentement, elle croît et décroît ; immuable, elle traverse les âges.
L'opposition entre « rǎn rǎn » (苒苒, écoulement graduel du temps) et « chéng chéng » (澄澄, clarté immuable) souligne le contraste entre temporalité humaine et permanence cosmique. Les termes « yíng xū » (盈虚) évoquent le cycle lunaire.

Quatrième couplet : « 美人清江畔,是夜越吟苦。 »
Měi rén qīng jiāng pàn, shì yè yuè yín kǔ.
Toi, noble ami, sur les rives de la rivière Qing, tu chantes ce soir la douleur de Yue.
Le terme « měi rén » (美人) désigne ici l'ami par métonymie, évoquant sa vertu. La référence au « yuè yín » (越吟) invoque le chant nostalgique de Zhuang Xi, symbole classique de l'exilé mélancolique.

Cinquième couplet : « 千里其如何,微风吹兰杜。 »
Qiān lǐ qí rú hé, wēi fēng chuī lán dù.
Qu'en est-il à mille lieues ? Le vent léger effleure orchidées et azalées.
La distance « qiān lǐ » (千里) est contrebalancée par la présence symbolique des fleurs « lán dù » (兰杜), métaphores traditionnelles de la noblesse de caractère. Le vent devient vecteur de connexion spirituelle.

Lecture globale

Ce poème utilise la lune comme fil conducteur, développant progressivement les émotions : partant de la contemplation de la lune dans la nuit paisible, il évolue vers l'évocation de la tristesse de l'ami, puis vers la transmission des sentiments à distance, approfondissant constamment la réflexion. Le poète s'imprègne à la fois de la beauté naturelle de la nuit lunaire et garde dans son cœur la pensée de son ami lointain. Les sentiments et le paysage ne font qu'un, la lune servant de pont entre la réalité et la nostalgie, entre le présent et le passé. Le poème contient des réflexions philosophiques sur les vicissitudes de la vie, ainsi qu'une confiance éternelle et un attachement profond envers l'amitié. D'une sincérité émouvante, il possède un pouvoir de suggestion intense.

Spécificités stylistiques

  1. Fusion entre paysage et émotion, expression des sentiments à travers la lune : Le poème entier s'articule autour de la « lune ». Le paysage est décrit avec légèreté et élégance, tandis que les sentiments sont exprimés avec sincérité et émotion. Les sentiments imprègnent le paysage, et le paysage porte les émotions.
  2. Usage subtil d'allusions, profondeur culturelle : L'expression « la douleur de Yue » fait discrètement référence à l'histoire de Zhuang Xi qui se languissait de sa terre natale. L'allusion s'intègre naturellement, sans trace artificielle, enrichissant l'épaisseur émotionnelle et la dimension culturelle.
  3. Langage élégant, rythme mélodieux : Le langage est simple et naturel, sans artifice, mais d'une profondeur suggestive. L'alternance entre vers de quatre et cinq caractères crée des variations rythmiques, produisant une harmonie mélodieuse.

Éclairages

Ce poème nous montre que les œuvres lyriques véritablement touchantes ne reposent pas sur une expression directe, mais sur l'évocation des émotions à travers le paysage et l'implication des réflexions dans le sens. Wang Changling prend le paysage nocturne comme toile de fond pour exprimer subtilement son profond attachement pour son ami et ses réflexions sur la vie, conférant aux mots une légèreté formelle mais une profondeur de sens. Dans l'écriture, nous devrions également apprendre à susciter l'inspiration à partir des objets et à intégrer les émotions dans le paysage, afin d'enrichir les niveaux poétiques et d'approfondir la dimension émotionnelle.

Traducteur de poésie

Patrick Carré

À propos du poète

Wang Chang-ling

Wang Changling (王昌龄) était originaire de Xi'an, Shaanxi, vers 690 - vers 756 de notre ère. Il a été admis au rang de jinshi en 727. Les poèmes de Wang Changling traitent principalement des lieux frontaliers, des amours et des adieux, et il était très connu de son vivant. Il était connu sous le nom de « Sage des sept poèmes », au même titre que Li Bai.

Total
0
Shares
Prev
Aux Pivoines en Buvant de Liu Yuxi
yin jiu kan mu dan

Aux Pivoines en Buvant de Liu Yuxi

Je bois devant les pivoines en fleur, Qu’importe si je m’enivre?

You May Also Like