Testament à mes Fils de Lu You

shi er
Je sais qu’après ma mort tout sera bien fini,
Mais le pays perdu n'est pas encore repris.
Quand il est reconquis par notre armée royale.
N’oubliez pas de me dire aux fêtes familiales!

Poème chinois

「示儿」
死去元知万事空,但悲不见九州同。
王师北定中原日,家祭无忘告乃翁!

陆游

Explication du poème

Composé en 1209, ce poème constitue le testament littéraire de Lu You, écrit sur son lit de mort. À plus de quatre-vingts ans, gravement malade et conscient de sa fin imminente, le poète garde néanmoins ses pensées tournées vers le destin de la nation. Cette œuvre, adressée à ses descendants, exprime le vœu ultime que même dans la mort, l'idéal de reconquête des plaines centrales ne soit pas oublié, condensant ainsi une vie entière de passion patriotique.

Premier couplet : « 死去元知万事空,但悲不见九州同。 »
Sǐ qù yuán zhī wànshì kōng, dàn bēi bú jiàn jiǔzhōu tóng.
Je sais qu'après la mort tout devient néant, Mais je m'afflige de ne voir l'unification des Neuf Provinces.

Ces vers s'ouvrent sur une apparente sérénité philosophique face à la mortalité, mais les mots « mais je m'afflige » opèrent un brusque revirement, focalisant l'émotion sur l'amertume de ne pas voir l'unité nationale réalisée. Ce qui déchire le poète, ce n'est pas la mort, mais de quitter ce monde avant la reconquête du territoire, révélant une profondeur affective qui touche au plus intime.

Deuxième couplet : « 王师北定中原日,家祭无忘告乃翁! »
Wáng shī běi dìng zhōngyuán rì, jiājì wú wàng gào nǎi wēng!
*Quand nos troupes reprendront les plaines centrales,
N'oubliez pas, lors des rites ancestraux, d'en informer votre vieux père !*

Malgré la maladie et l'extrême vieillesse, Lu You conserve une foi inébranlable en la reconquête. Ce vers transforme la douleur en exaltation, manifestant une conviction nationale inaltérable. La conclusion « n'oubliez pas d'en informer votre vieux père » introduit une note de tendresse et d'espoir qui émeut profondément.

Lecture globale

D'une authenticité poignante et d'une concision puissante, ce poème saigne chaque mot et émeut à chaque vers. Testament spirituel autant qu'aboutissement d'une vie d'idéaux, il déploie : l'acceptation stoïque de la mort (« Je sais qu'après la mort… »), l'angoisse patriotique (« Mais je m'afflige… »), l'espérance historique (« Quand nos troupes… ») et l'injonction testamentaire (« N'oubliez pas… »). Ce qui en émane, c'est le cœur brûlant d'un vieil homme dont les dernières pensées appartiennent encore à sa patrie. Cette tonalité à la fois pathétique et sublime confère au poème une force artistique extraordinaire.

Spécificités stylistiques

  1. Testament poétique, manifeste patriotique : La forme des dernières volontés sert de véhicule à l'expression politique.
  2. Naturel oratoire, progression dramatique : Sans artifice mais parfaitement structuré, le poème culmine en intensité émotionnelle.
  3. Dialectique douleur/espérance : La mélancolie initiale se transmue en certitude historique.
  4. Langage dépouillé, résonance universelle : La simplicité lexicale contraste avec la profondeur du message.

Éclairages

Ce poème révèle que le véritable patriotisme transcende l'âge, la mort et les intérêts personnels - il s'ancre dans la foi et le sang même d'un peuple. Lu You, au seuil de la mort, reste habité par le destin national, incarnant cet état de « mort-vivant » propre aux grandes consciences historiques. Il nous enseigne que le souci de la patrie et le sens du devoir constituent l'âme immortelle d'une civilisation. En ces vers palpite toujours cette vérité : les nations ne périssent que lorsque meurt en leurs enfants la mémoire des idéaux partagés.

Traducteur de poésie

Xu Yuanchong(许渊冲)

À propos du poète

Lu You

Lu You (陆游), 1125-1210 après J.-C., était un lettré, historien et poète de la dynastie Song, originaire de Shaoxing, dans la province du Zhejiang. Lu You était l'un des poètes les plus prolifiques de Chine, avec environ 9 300 poèmes conservés. Ses poèmes sont connus pour leur magnifique patriotisme, reflétant l'esprit de l'époque où le peuple de la dynastie Song luttait contre l'agression et la capitulation.

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