Le Jardin des Shen II de Lu You

shen yuan er shou ii
En quarante ans tu ne viens pas à mes rêves longs;
On ne trouve au jardin nul chaton de vieux saule.
Bientôt je serai une motte au pied du mont;
Encore je viens chercher ta trace qui s’envole.

Poème chinois

「沈园二首 · 其二」
梦断香消四十年,沈园柳老不吹绵。
此身行作稽山土,犹吊遗踪一法然。

陆游

Explication du poème

Ce poème, composé en 1220, constitue le second volet des Deux poèmes du jardin Shen écrits par Lu You à soixante-quinze ans lors de sa revisitée à ce lieu chargé de mémoire. Quarante années avaient passé depuis sa séparation définitive avec Tang Wan - la bien-aimée disparue, les lieux inchangés, mais le poète toujours prisonnier du ravin émotionnel de son passé. Si le premier poème évoquait souvenirs et regrets, celui-ci exprime plus profondément une fidélité amoureuse indéfectible, transmettant avec une douleur contenue la blessure d'un amour que le temps n'a pu effacer.

Premier couplet : « 梦断香消四十年,沈园柳老不吹绵。 »
Mèng duàn xiāng xiāo sìshí nián, Shěn yuán liǔ lǎo bù chuī mián.
Quarante ans depuis que le rêve se brisa et le parfum s'évanouit ; Les saules du jardin Shen, vieillis, ne dispersent plus leur duvet.

L'ouverture « rêve brisé/parfum évanoui » condense avec une authenticité poignante la disparition de l'aimée et l'interruption des songes du poète, chaque caractère saturé d'une douleur sobre et profonde. « Quarante ans » - approximation chronologique qui accentue l'impression de durée interminable. L'image des « saules vieillis » opère une double projection : comme le jardin, le poète a perdu sa vitalité ; plus de bourgeonnement extérieur, plus d'efflorescence intérieure. Le duvet des saules, jadis semblable à des rêves flottants, appartient désormais au silence des choses révolues.

Deuxième couplet : « 此身行作稽山土,犹吊遗踪一泫然。 »
Cǐ shēn xíng zuò Jīshān tǔ, yóu diào yí zōng yī xuàn rán.
Ce corps bientôt terre du mont Ji ; Pourtant je viens encore, en pleurs, honorer les traces disparues.

Ces vers dépeignent le regard rétrospectif d'un homme face à sa propre mortalité. Le « mont Ji » (actuel Shaoxing, Zhejiang) désigne le lieu de sépulture de Lu You. « Ce corps bientôt terre » révèle une acceptation lucide de la finitude, tandis que « pourtant je viens encore » manifeste la persistance indomptable du sentiment. L'adverbe « encore » (犹) opère comme un pont entre passé et présent, vie et mort, incarnant une fidélité qui défie même le trépas. Les « pleurs » (泫然) finale, légers en apparence, contiennent l'océan d'un amour inachevé, de regrets indicibles et de soupirs contenus.

Lecture globale

Telle une élégie murmurée, ce poème approfondit le premier volet par une gravité plus intense, où l'émotion, bien que plus intériorisée, n'en brûle que plus fort. D'une apparente simplicité et d'une diction limpide, il sature chaque vers d'un amour et d'une nostalgie transcendante. Rêve brisé, parfum évanoui, saules vieillis, mort approchante - la progression accumule une intensité émotionnelle qui culmine dans les « pleurs » finaux, portant le chagrin à son paroxysme. Plus qu'un hommage à Tang Wan, ce poème condense l'essence affective d'une vie - sans regret, sans oubli, sans renoncement.

Spécificités stylistiques

Ce poème incarne le style caractéristique de Lu You : « profondeur affective sous simplicité formelle ». Le langage, dépouillé de tout artifice, frappe droit au cœur. Par la description du paysage et sa projection autobiographique, il réalise une fusion parfaite entre scène et sentiment, présent et passé, vie et mort. Les deux couplets forment un parallélisme naturel au rythme solennel, où chaque mot est pesé - particulièrement « encore » et « pleurs », d'une résonance infinie, révélant la maturité artistique et la puissance affective du poète âgé.

Éclairages

Cette œuvre témoigne que les véritables sentiments ne vieillissent pas et ne se brisent pas devant la mort. La fidélité indéfectible de Lu You envers Tang Wan, traversant les intempéries d'une existence, représente l'une des postures émotionnelles les plus bouleversantes de la poésie chinoise classique. Elle nous enseigne que certaines personnes, certains événements, bien qu'irrémédiablement perdus, méritent d'être portés à jamais ; et que la profondeur du sentiment n'a nul besoin de fracas - silencieuse comme une montagne, elle possède la densité d'un océan.

Traducteur de poésie

Xu Yuanchong(许渊冲)

À propos du poète

Lu You

Lu You (陆游), 1125 - 1210 après J.-C., était un lettré, historien et poète de la dynastie Song, originaire de Shaoxing, dans la province du Zhejiang. Lu You était l'un des poètes les plus prolifiques de Chine, avec environ 9 300 poèmes conservés. Ses poèmes sont connus pour leur magnifique patriotisme, reflétant l'esprit de l'époque où le peuple de la dynastie Song luttait contre l'agression et la capitulation.

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