L’ombre d’une rangée de saules s’allonge droit.
Rameau par rameau,
Ils ont verdi la brume au bord de l’eau.
Combien de fois
Je les ai vus caresser les amoureux
Qui s’y disent adieu!
Je monte en haut
Pour regarder ma terre natale
De loin.
Qui me comprend, vagabond dans la capitale?
Au bord du chemin,
D'année en année.
Combien de branches ont été brisées?
Où est la trace de mes jours anciens?
De nouveau
Je bois du vin à la musique
Mélancolique
Dans un banquet d’adieu à la lueur des flambeaux.
Poirier et orme en fleurs
Annoncent l’approche du jour des Morts.
Comme j’ai peur
Du vent si fort
Qui hâte mon bateau
Et chauffe les eaux!
Tournant le tête, je me trouve loin, bien loin
De ma belle dont je me souviens.
Quelle douleur!
Quel crève-cœur!
Je l’ai perdue de vue
Et la rive s’est tue.
Les rayons du soleil couchant
S’étendent loin.
Puis-je oublier le printemps
Où nous nous promenions
Au clair de la lune, la main dans la main,
Où nous écoutions la flûte sur le pont?
Je pense aux jours de joie si brève
Comme un rêve;
Et mes pleurs dérobés
Commencent à couler.
Poème chinois
「兰陵王 · 柳」
柳阴直,烟里丝丝弄碧。
隋堤上、曾见几番,拂水飘绵送行色。
登临望故国,谁识京华倦客?
长亭路,年去岁来,应折柔条过千尺。闲寻旧踪迹,又酒趁哀弦,灯照离席。
梨花榆火催寒食。
愁一箭风快,半篙波暖,回头迢递便数驿,望人在天北。凄恻,恨堆积!
周邦彦
渐别浦萦回,津堠岑寂,斜阳冉冉春无极。
念月榭携手,露桥闻笛。
沉思前事,似梦里,泪暗滴。
Explication du poème
Ce poème lyrique (cí) fut composé à la fin de la dynastie des Song du Nord, alors que Zhou Bangyan quittait la capitale pour une affectation en province. La « Digue des Sui », située au sud de Bianjing (Kaifeng moderne), était un lieu emblématique des adieux où l'on cassait traditionnellement des branches de saule - arbre symbole de séparation dans la poésie classique. Zhou Bangyan utilise ici le saule comme métaphore de son propre départ douloureux, développant progressivement une méditation mélancolique qui compte parmi les chefs-d'œuvre du lyrisme gracieux.
Première strophe : « 柳阴直,烟里丝丝弄碧。隋堤上、曾见几番,拂水飘绵送行色。登临望故国,谁识京华倦客?长亭路,年去岁来,应折柔条过千尺。 »
Liǔ yīn zhí, yān lǐ sīsī nòng bì. Suí dī shàng, céng jiàn jǐ fān, fú shuǐ piāo mián sòng xíng sè. Dēng lín wàng gù guó, shuí shí jīng huá juàn kè ? Cháng tíng lù, nián qù suì lái, yīng zhé róu tiáo guò qiān chǐ
L'ombre des saules s'étend droit,
Dans la brume, chaque brin joue avec son vert.
Sur la digue des Sui, combien de fois
Ai-je vu ces chatons effleurer l'eau, accompagnant les départs ?
Du haut des remparts, je contemple ma terre natale -
Qui comprendra lassitude de cet hôte de la capitale ?
Sur la route des pavillons d'adieu,
D'année en année,
Les branches tendres cassées doivent dépasser mille pieds.
Cette strophe passe du paysage à l'émotion, utilisant le saule comme fil conducteur d'une mélancolie infinie. La beauté des saules cache une tristesse de séparation, tandis que « lassitude de cet hôte » révèle les années d'errance du poète, dans une émotion profonde et retenue.
Deuxième strophe : « 闲寻旧踪迹,又酒趁哀弦,灯照离席。梨花榆火催寒食。愁一箭风快,半篙波暖,回头迢递便数驿,望人在天北。 »
Xián xún jiù zōng jī, yòu jiǔ chèn āi xián, dēng zhào lí xí. Lí huā yú huǒ cuī hán shí. Chóu yī jiàn fēng kuài, bàn gāo bō nuǎn, huí tóu tiáo dì biàn shù yì, wàng rén zài tiān běi.
Errant sur les traces du passé,
Je retrouve vin, mélodies plaintives et lumières des banquets d'adieu.
Fleurs de poirier, feux d'orme - le Qingming approche.
Navré par le vent rapide comme une flèche,
Par les vagues tièdes que fend la perche -
Un regard en arrière : déjà plusieurs relais,
Et celui qui me regarde semble au nord du ciel.
Développant le thème de la séparation, cette strophe évoque des souvenirs anciens avec une gravité prolongée. Alternant mouvement et immobilité, elle capture avec finesse les fluctuations psychologiques de l'instant des adieux. « Celui qui me regarde semble au nord du ciel » exprime particulièrement l'angoisse de l'éloignement.
Troisième strophe : « 凄恻,恨堆积!渐别浦萦回,津堠岑寂,斜阳冉冉春无极。念月榭携手,露桥闻笛。沉思前事,似梦里,泪暗滴。 »
Qī cè, hèn duī jī ! Jiàn bié pǔ yíng huí, jīn hòu cén jì, xié yáng rǎn rǎn chūn wú jí. Niàn yuè xiè xié shǒu, lù qiáo wén dí. Chén sī qián shì, sì mèng lǐ, lèi àn dī.
Déchirement, haine accumulée !
La rive des adieux serpente,
Le poste fluvial silencieux.
Soleil déclinant, printemps sans limites…
Je me souviens : main dans main au pavillon lunaire,
Sur le pont humide écoutant la flûte.
Repensant ces jours,
Comme un rêve -
Mes larmes coulent en secret.
Cette strophe décrit la solitude après le départ, mêlant souvenirs et réalité dans une émotion croissante. « Mes larmes coulent en secret » marque l'apogée émotionnelle du poème - une douleur exprimée avec retenue mais d'une puissance poignante, caractéristique du style sobre et profond de Zhou Bangyan.
Lecture globale
Ce poème lyrique compte parmi les chefs-d'œuvre tardifs de Zhou Bangyan. D'une construction ingénieuse et progressive, il fusionne paysage et émotion avec une maîtrise artistique consommée. Le poète prend le saule comme fil conducteur pour tisser ensemble adieux présents et souvenirs passés, créant un réseau d'images où le temps et l'espace s'entrelacent. Dès l'ouverture, le vers "L'ombre des saules, droite, parmi les brumes déploie ses fils de jade" déroule comme une peinture, immergeant le lecteur dans l'atmosphère printanière, à la fois tangible et vaporeuse, d'une séparation. Le poème progresse ensuite par strates, passant du "conduire l'autre" au "se blesser soi-même", du regard accompagnant autrui à la remémoration de soi, du réel au rêve évanoui, dans une transition à la fois naturelle et savamment orchestrée.
La force émouvante de ce poème réside dans la profondeur de son émotion et la retenue de son expression. Zhou Bangyan ne crie jamais sa douleur, mais la transmet subtilement à travers des images et des gestes - "casser des rameaux de saule", "gravir la hauteur", "lampe éclairant la natte des adieux", "regarder l'autre au nord du ciel". Les trois derniers vers "Repassant le passé en esprit, comme en rêve, des larmes coulent en silence" condensent toute l'émotion dans une larme furtive, d'une intensité poignante.
Spécificités stylistiques
Ce poème lyrique se distingue par sa structure rigoureuse et sa fusion parfaite entre scène et sentiment. Divisée en trois sections autonomes mais progressives, l'œuvre passe du descriptif au lyrique, du paysage tangible aux songes intérieurs, tissant une trame émotionnelle d'une subtilité envoûtante. Le vocabulaire, d'une grande pictorialité ("l'ombre des saules, droite", "caressant l'eau, dispersant duvet"), frappe par son éclat visuel. La musicalité des vers, typique du style gracieux et retenu, atteint ici la perfection. Mais le génie suprême réside dans l'art de suggérer plus que d'exprimer : la tristesse se devine plus qu'elle ne se dit, faisant de ce poème un joyau du lyrisme émotionnel de Zhou Bangyan.
Éclairages
travers son pinceau minutieux et son émotion profonde, ce poème lyrique révèle l'inéluctable mélancolie des séparations humaines, nous enjoignant à chérir les moments partagés. Les fluctuations sentimentales, la nostalgie du passé, le désespoir face à l'avenir qu'il dépeint reflètent les tourments universels de l'âme. Il nous enseigne que les émotions les plus bouleversantes naissent souvent dans les regards en arrière et les méditations silencieuses. Comme Zhou Bangyan, qui sublime la tristesse dans le paysage et cache le sentiment derrière le rêve, nous apprenons que l'expression la plus puissante est parfois celle qui se tait.
Traducteur de poésie
Xu Yuanchong(许渊冲)
À propos du poète
Zhou Bangyan (周邦彦, 1056 - 1121), originaire de Qiantang (Hangzhou), fut le grand synthétiseur du lyrisme retenu des Song du Nord. Ses poèmes, d'une richesse ornementale et d'une perfection formelle, inventèrent des dizaines de nouveaux tons et mètres. Consacré "couronne des poètes lyriques", il influença profondément Jiang Kui et Wu Wenying, devenant le maître fondateur de l'école du mètre rigoureux.