Pour Perle Verte, Suivante de ma Tante de Cui Jiao

zeng qu bi
Ta beauté enflammait le cœur des seigneurs hauts,
Les larmes aux yeux, tu partais pour le château.
Le lieu où tu allais est profond comme mer.
Dès lors ton maître te serait un étranger.

Poème chinois

「赠去婢」
公子王孙逐后尘,绿珠垂泪滴罗巾。
侯门一入深如海,从此萧郎是路人。

崔郊

Explication du poème

Ce poème de Cui Jiao (poète des Tang) puise son inspiration dans une expérience amoureuse réelle. La légende raconte que le poète, épris d'une servante, vit celle-ci enlevée par un noble pour en faire sa concubine. Rongé de douleur, il lui dédia ces vers. En quatre lignes épurées, le texte dévoile avec pudeur la tragédie des amours contrariées par les conventions féodales et les préjugés de caste, saturé d'une indignation et d'une plainte poignantes.

Premier couplet : « 公子王孙逐后尘,绿珠垂泪滴罗巾。 »
Gōngzǐ wángsūn zhú hòuchén, Lǜzhū chuí lèi dī luójīn.
Princes et nobles se pressent à votre suite, Telle Perle Verte pleurant sur son écharpe de soie.

Le poète esquisse la beauté de la femme par le miroir des « princes et nobles » (公子王孙) empressés. L'image de Perle Verte (绿珠), célèbre concubine martyre de l'Histoire, opère une double allusion : éloge de la grâce féminine et présage funeste. Les larmes tachant l'étoffe deviennent sanglantes métaphores du destin brisé.

Deuxième couplet : « 侯门一入深如海,从此萧郎是路人。 »
Hóu mén yī rù shēn rú hǎi, cóngcǐ Xiāo láng shì lùrén.
Le seuil nobiliaire franchi - abîme sans fond, Dès lors, Xiao Lang n'est plus qu'étranger au chemin.

La comparaison « profonde comme la mer » (深如海) pour décrire les demeures aristocratiques condense toute l'opacité du pouvoir. Le « dès lors » (从此) scelle une rupture temporelle irrémédiable. L'euphémisme « étranger au chemin » (路人), où le poète se désigne par son surnom Xiao Lang, distille une amertume d'autant plus déchirante qu'elle est contenue.

Lecture globale

Bien que bref (quatre vers), ce poème déploie une intensité émotionnelle remarquable, alliant concision et sophistication stylistique. Il peint autant une tragédie amoureuse brisée par l'arbitraire qu'une dénonciation voilée de l'oppression sociale sous les Tang. Le ton feutré (« bouleversement sous calme ») et l'allusion à Perle Verde subliment la plainte en élégie universelle. L'expression « seuil nobiliaire-abîme » (侯门深如海), devenue proverbiale, cristallise l'antagonisme éternel entre désir humain et ordre hiérarchique.

Spécificités stylistiques :

  • Esquisses indirectes et émotion en filigrane : La beauté féminine se devine par l'effet qu'elle produit (poursuite des nobles). La douleur s'exprime par métonymie (larmes sur étoffe) et litote (« étranger au chemin »).
  • Art de l'allusion historique : La référence à Perle Verte (绿珠), concubine poignardée lors d'un coup d'État, enrichit le texte d'une résonance tragique pluriséculaire.
  • Métaphore fulgurante : « Seuil-abîme » condense en cinq caractères l'infranchissable fossé social, devenu archétype littéraire.
  • Quintessence du quatrain régulier : En vingt caractères, le poème déploie une dramaturgie complète (exposition, climax, chute), prouvant la puissance suggestive du wuyanjue (quatrain pentasyllabique).

Éclairages

Ce poème dénonce l'écrasement des sentiments par les hiérarchies féodales, érigeant un plaidoyer intemporel pour la liberté amoureuse. Son actualité réside dans sa mise en garde contre toute aliénation institutionnelle des désirs humains. Il révèle aussi comment la contrainte formelle (brièveté extrême) peut exacerber la force expressive - paradoxe qui fait l'essence même de la poésie classique chinoise. Les larmes de Perle Verte pleurent encore aujourd'hui sur toutes les libertés confisquées.

Traducteur de poésie

Xu Yuanchong(许渊冲)

À propos du poète

Cui Jiao (崔郊), poète de la dynastie Tang, dont les dates de naissance et de mort sont inconnues, est célèbre pour son poème « Pour perle verte, suivante de ma tante » (赠去婢).

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