À l’aube elle nettoie le palais avec un plumeau,
Un évantail rond voile son visage beau.
Elle envie le corbeau dont la couleur rayonne
De brilliance solaire que la royauté lui donne.
Poème chinois
「长信怨」
王昌龄
奉帚平明金殿开,且将团扇共徘徊。
玉颜不及寒鸦色,犹带昭阳日影来。
Explication du poème
Ce poème, composé à l'apogée des Tang, appartient au cycle des Cinq Chants d'automne du Palais de la Fidélité Constante de Wang Changling. S'inspirant de l'histoire de Ban Jieyu des Han, il donne voix aux femmes délaissées du gynécée impérial. Ce volet particulier capture, à travers le rituel matinal du balayage et la symbolique de l'éventail rond, la résignation mélancolique des favorites oubliées, avec une retenue toute en nuances.
Premier couplet : « 奉帚平明金殿开,且将团扇共徘徊。 »
Fèng zhǒu píng míng jīn diàn kāi, qiě jiāng tuán shàn gòng pái huái.
A l'aube, le balai en main, j'ouvre les portes dorées,
Et m'accompagne de mon éventail rond en mes errances désœuvrées.
Le poète ouvre sur le trivial quotidien : le palais s'éveille, mais sans promesse de visite impériale. Le « balai rituel » (fèng zhǒu) souligne son statut déchu ; « l'éventail pour compagne » évoque la jeunesse gaspillée, dans une attente vaine. L'adverbe qiě (« faute de mieux ») cristallise la solitude, tandis que l'éventail rond renvoie subtilement au topos de Ban Jieyu - l'éventail d'automne rejeté -, chargeant le vers d'une amertume historique.
Deuxième couplet : « 玉颜不及寒鸦色,犹带昭阳日影来。 »
Yù yán bù jí hán yā sè, yóu dài zhāo yáng rì yǐng lái.
Mon teint de jade vaut moins que le noir du corbeau frissonnant,
Lui qui, venant de Zhaoyang, porte encore la caresse du soleil.
Le contraste violent - la beauté de jade humiliée par un corbeau - exprime l'auto-dénigrement extrême de la favorite. Le « palais Zhaoyang », repaire des favorites en grâce (allusion aux sœurs Zhao des Han), accentue l'amertume : l'oiseau des ténèbres a accès aux lieux interdits à sa splendeur. Wang Changling inverse ici l'imaginaire traditionnel (la blancheur/lumière valorisée), créant une ironie tragique où le symbole d'infamie (le corbeau) devient objet d'envie.
Lecture globale
Le poème adopte le regard intérieur d'une recluse du gynécée. Wang Changling évite tout lyrisme explicite, préférant les gestes ritualisés (balayer, errer) pour révéler l'ennui existentiel. La chute, avec son parallélisme antithétique, produit un choc émotionnel : l'auto-comparaison dégradante à l'oiseau de mauvais augure dévoile une psyché rongée par l'humiliation. L'art réside dans l'économie des moyens - deux scènes, deux objets (balai/éventail, jade/corbeau) - pour condenser toute la tragédie des ombres féminines derrière les murs vermillons.
Spécificités stylistiques
- Dialectique du banal et du sublime : Le balayage matinal (acte servile) contraste avec la métaphore du jade (pureté aristocratique), exposant la dichotomie du statut des favorites.
- Subversion des symboles : Le corbeau, traditionnellement sinistre, devient ici objet de désir par son accès à l'espace interdit.
- Intertextualité cryptée : La référence à Ban Jieyu n'est jamais nommée mais activée par l'éventail, exigeant un lecteur cultivé.
Éclairages
Ce poème transcende son cadre historique pour éclairer la psychologie de l'exclusion. Wang Changling montre comment l'oppression institutionnelle s'intériorise en auto-avilissement. Son génie réside dans l'art de faire parler les objets (un balai, un éventail) pour révéler les strates d'humiliation. Pour tout créateur, c'est une leçon sur la puissance du non-dit : en poésie comme en vie, ce sont parfois les silences les plus lourds qui portent les vérités les plus accablantes.
Traducteur de poésie
Xu Yuanchong
À propos du poète
Wang Changling (王昌龄) était originaire de Xi'an, Shaanxi, vers 690 - vers 756 de notre ère. Il a été admis au rang de jinshi en 727. Les poèmes de Wang Changling traitent principalement des lieux frontaliers, des amours et des adieux, et il était très connu de son vivant. Il était connu sous le nom de « Sage des sept poèmes », au même titre que Li Bai.