Pour Meng Haoran de Li Bai

zeng meng hao ran
J'aime le Maître Meng,
Dont le style est célèbre en ce monde.
Dans sa jeunesse, il quitta honneurs et titres ;
Cheveux blancs, il repose parmi pins et brumes.

Ivre de clair de lune, en sage il trébuche ;
Captivé par les fleurs, il ignore la cour.
Ces hautes montagnes, comment les contempler ?
Je m'incline seulement devant sa vertu pure.

Poème chinois

「赠孟浩然」
吾爱孟夫子,风流天下闻。
红颜弃轩冕,白首卧松云。
醉月频中圣,迷花不事君。
高山安可仰,徒此揖清芬。

李白

Explication du poème

Ce poème fut probablement composé en 739, après que Li Bai eut rendu visite à Meng Haoran à Xiangyang, ou peut-être l'année suivante comme œuvre d'adieu avant la mort de ce dernier. Meng Haoran, déjà célèbre dans tout l'empire, était resté simple lettré sa vie durant. Son noble esprit érémitique et l'élégance de sa poésie étaient profondément admirés par Li Bai. Cette pièce est une œuvre rare dans la production de Li Bai où, sous la forme rigoureuse du wulü (poème régulier à cinq caractères), il exprime une haute estime pour un poète contemporain. Elle reflète sa compréhension et son admiration pour la stature morale de Meng Haoran, tout en projetant sa propre quête spirituelle de « ne pas se plier, ne pas importuner autrui ».

Premier couplet :« 吾爱孟夫子,风流天下闻。 »
Wú ài Mèng fūzǐ, fēngliú tiānxià wén.
J'aime le Maître Meng,
Son âme libre est connue sous le ciel.

L'ouverture exprime directement l'admiration, sans dissimulation. Le mot « aime » (爱) domine tout le poème, établissant un ton affectueux et solennel. « Âme libre » (风流) ne se réfère pas ici à des intrigues amoureuses, mais à la qualité exceptionnelle de Meng Haoran, unissant renommée poétique, talent, élégance et intégrité. Ce vers élève à l'extrême, de la manière la plus directe, le prestige social et le charme personnel d'un poète sans charge officielle.

Deuxième couplet : « 红颜弃轩冕,白首卧松云。 »
Hóng yán qì xuānmiǎn, bái shǒu wò sōng yún.
Jeune, il dédaigna chars et couronnes ;
Cheveux blancs, il repose parmi pins et nuages.

Ce distique résume avec concision l'idéal de vie de Meng Haoran. « Jeune » (红颜) s'oppose à « cheveux blancs » (白首), délimitant une durée ; « dédaigna chars et couronnes » (弃轩冕) s'oppose à « repose parmi pins et nuages » (卧松云), révélant un choix de vie constant. « Dédaigner » (弃) est puissant, indiquant un choix actif et conscient ; « reposer » (卧) est vivant et évocateur, dépeignant une attitude sereine d'union avec la nature. Ensemble, ces deux vers font apparaître l'image d'un noble ermite ayant refusé toute charge officielle, vivant en liberté hors du monde

Troisième couplet : « 醉月频中圣,迷花不事君。 »
Zuì yuè pín zhòng shèng, mí huā bù shì jūn.
Ivre de lune, souvent touché par le divin vin ;
Épris de fleurs, il ne sert point son prince.

Ce distique dépeint les détails de la vie érémitique de Meng Haoran. « Ivre de lune » (醉月) et « épris de fleurs » (迷花) fusionnent la vie poétique et alcoolisée avec l'appréciation esthétique de la nature, pleine de goût artistique raffiné. « Souvent » (频) montre la constance de cet état ; « ne sert point son prince » (不事君) affirme catégoriquement sa position de vie. Sous la plume de Li Bai, ce choix n'est pas une fuite passive, mais la poursuite active d'une posture de vie plus noble et plus libre.

Quatrième couplet : « 高山安可仰,徒此揖清芬。 »
Gāo shān ān kě yǎng, tú cǐ yī qīng fēn.
Haute montagne, comment pourrais-je la contempler ?
Je ne puis que saluer ici sa pure fragrance.

Le distique final conclut par une métaphore et un symbole, portant l'émotion à son apogée. L'allusion « haute montagne » (高山, évoquant « la haute montagne que l'on contemple » du Livre des Odes) exprime l'admiration extrême pour la vertu de Meng Haoran. « Comment pourrais-je la contempler ? » (安可仰), par sa forme interrogative, renforce le sentiment d'inaccessibilité de cette grandeur. « Saluter sa pure fragrance » (揖清芬) condense l'émotion du poème ; « pure fragrance » (清芬) désigne à la fois la fraîcheur de son style poétique et, métaphoriquement, la noblesse de son caractère. Le poète achève, par le geste respectueux de « saluer » (揖), l'éloge suprême de cet idole spirituelle

Analyse globale

Ce poème est un chef-d'œuvre de rigueur structurelle et d'émotion intense parmi les wulü de Li Bai. Il adopte une structure « général – particulier – général » : le premier distique exprime l'affection et la renommée ; les deuxième et troisième distiques décrivent, par des traits biographiques et des détails de vie, son « retrait » et son « élévation » ; le distique final résume sa vertu montagneuse et lui rend le plus haut hommage. Le poème est empli d'harmonie de contrastes : d'un côté, la passion débordante et directe typique de Li Bai (« J'aime ») ; de l'autre, l'image calme et sereine de Meng Haoran (« repose parmi pins et nuages ») ; d'un côté, les standards de réussite mondaine (chars, couronnes, servir le prince) ; de l'autre, les choix de valeurs célébrés par le poète (les dédaigner, ne pas servir). C'est précisément dans ce contraste et ce choix que Li Bai dresse un modèle idéal de personnalité lettrée.

Caractéristiques stylistiques

  • Art du parallélisme précis et équilibré : Les deux distiques centraux présentent un parallélisme extrêmement rigoureux : « Jeune » / « Cheveux blancs », « dédaigna chars et couronnes » / « repose parmi pins et nuages », « Ivre de lune » / « Épris de fleurs », « souvent touché par le divin vin » / « ne sert point son prince ». Cette perfection formelle permet aussi une caractérisation multidimensionnelle, du temps à l'action, de l'extérieur à l'intérieur, riche de sens.
  • Usage subtil des allusions et des images : « Touché par le divin vin » (中圣) fait allusion à Xu Miao des Wei, avec élégance ; « haute montagne » reprend le Livre des Odes de manière naturelle ; les images des « pins et nuages », de la « pure fragrance » construisent ensemble un monde esthétique noble et détaché.
  • Expression émotionnelle intense et solennelle : Le poème est riche d'émotion, mais son expression est digne et mesurée. Le début est chaleureux, la fin respectueuse, le récit central plein d'admiration, formant un ton sincère de respect sans flatterie, d'admiration sans adulation, montrant le respect de Li Bai pour les véritables sages.

Éclairages

Plus qu'un poème offert à un ami, c'est un « hymne à l'idéal de personnalité ». Il nous montre un jugement de valeur transcendant les époques : le succès et la grandeur d'une personne ne sont pas nécessairement liés aux honneurs et aux richesses. Meng Haoran, par son talent dont « l'âme libre est connue sous le ciel » et sa persévérance à « reposer parmi pins et nuages » jusqu'à ses « cheveux blancs », a gagné le respect suprême de Li Bai et des générations suivantes. Ce poème nous enseigne que dans un système de valeurs pluriel, préserver son indépendance d'esprit, poursuivre la vérité de l'art, garder la paix de l'âme peut également accomplir une vie noble et inspirante. Par ailleurs, la générosité de Li Bai à louer sans réserve les vertes d'autrui est en soi une lueur de personnalité précieuse.

À propos du poète

Li Bai

Li Bai (李白), 701 - 762 apr. Li Bai a porté la poésie chinoise classique, en particulier la poésie romantique, à son apogée et a influencé des générations de lettrés exceptionnels dans le passé et le présent grâce à ses remarquables réalisations.

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