La Belle Yu : Les Pruniers Paresseux de Lü Benzhong

yu mei ren · mei hua zi shi yu chun lan
Les pruniers, paresseux, ignorent le printemps,
« Ce n’est pas notre faute s’il est en retard ! »

Voyez comme ils fleurissent avant toutes les fleurs,
Pourtant ils clament : « Rien à voir avec le printemps ! »

Sous la lune, dans le vent, ils dansent sans cesse,
Se moquant de ma maigreur semblable à la leur.

Plusieurs fois j’ai traversé la pluie vers la haie clairsemée,
Pour voir déjà des fruits verts sur les branches dénudées.

Poème chinois

「虞美人 · 梅花自是于春懒」
梅花自是于春懒。不是春来晚。
看伊开在众花前。便道与春无分、结因缘。

风前月下频相就。笑我如伊瘦。
几回冲雨过疏篱。已见一番青子、缀残枝。

吕本中

Explication du poème

Ce poème lyrique (ci) fut composé sous la dynastie des Song du Sud, à une époque où les guerres incessantes poussaient les lettrés à se tourner vers la nature pour y trouver réconfort et inspiration. Le prunier, symbole traditionnel de noblesse, de solitude fière et de résistance, était particulièrement vénéré par les poètes Song qui y voyaient un reflet de leurs propres idéaux. Dans cette œuvre, Lü Benzhong utilise le prunier comme miroir de lui-même, dépeignant à la fois la grâce transcendante de la fleur et sa propre posture de solitude et d'austérité. Le poème combine une observation minutieuse du caractère du prunier avec une méditation sur l'attitude face à la vie, créant une fusion intime entre paysage et état d'esprit.

Première strophe : « 梅花自是于春懒。不是春来晚。看伊开在众花前。便道与春无分、结因缘。 »
Méi huā zì shì yú chūn lǎn. Bú shì chūn lái wǎn. Kàn yī kāi zài zhòng huā qián. Biàn dào yǔ chūn wú fèn, jié yīn yuán.

"Le prunier, de nature, se montre paresseux envers le printemps.
Ce n'est pas que le printemps soit en retard.
Voyez comme il fleurit avant toutes les autres fleurs,
Affirmant ainsi qu'il n'a nul besoin du printemps, tout en étant lié à lui par un destin commun."

Cette strophe personnifie le prunier avec une touche d'humour et de profondeur. "Paresseux envers le printemps" suggère une indépendance tranquille, une confiance en soi qui n'a pas besoin de suivre le rythme des saisons. L'image du prunier fleurissant avant les autres fleurs illustre son caractère pionnier et non conformiste. La dernière ligne, avec son apparente contradiction ("nul besoin du printemps" mais "lié à lui"), révèle la complexité des relations entre l'individu et son environnement - une indépendance farouche qui coexiste avec une connexion inévitable.

Seconde strophe : « 风前月下频相就。笑我如伊瘦。几回冲雨过疏篱。已见一番青子、缀残枝。 »
Fēng qián yuè xià pín xiāng jiù. Xiào wǒ rú yī shòu. Jǐ huí chōng yǔ guò shū lí. Yǐ jiàn yī fān qīng zǐ, zhuì cán zhī.

"Sous le vent et la lune, il vient souvent à ma rencontre,
Se moquant de ma maigreur qui ressemble à la sienne.
Plusieurs fois, bravant la pluie, j'ai franchi la haie clairsemée,
Pour découvrir déjà des fruits verts accrochés aux branches dépouillées."

Ici, la relation entre le poète et le prunier atteint une intimité touchante. Les rencontres "sous le vent et la lune" évoquent des moments de communion silencieuse avec la nature. La moquerie affectueuse sur leur maigreur commune crée un lien d'identification profond. La scène finale des "fruits verts accrochés aux branches dépouillées" est particulièrement puissante - après l'épreuve de la pluie (symbole des difficultés de la vie), le prunier, bien que dépouillé de ses fleurs, porte déjà les promesses de nouveaux cycles. Cette image de résilience et de régénération donne au poème une profondeur philosophique.

Lecture globale

Ce poème transforme la contemplation d'un prunier en une méditation sur l'existence. La première strophe campe le caractère indépendant du prunier, sa capacité à suivre son propre rythme sans se soucier des conventions (représentées par le printemps). La seconde strophe approfondit cette relation en montrant comment le poète se reconnaît dans cette fleur solitaire, jusqu'à partager ses épreuves (la pluie) et découvrir en elle une leçon d'espoir (les fruits après l'orage). Le passage des fleurs aux fruits suggère une vision cyclique de la vie où chaque fin porte en elle un nouveau commencement.

Spécificités stylistiques

  • Personnification subtile : Le prunier devient un personnage à part entière, doté d'humour et de sagesse.
  • Dialogue imaginaire : La "conversation" entre le poète et le prunier crée une intimité rare dans la poésie classique.
  • Symbolisme organique : Les fruits verts sur les branches dépouillées fonctionnent à la fois comme image réelle et métaphore riche.
  • Équilibre léger-profond : Le ton semble léger (moqueries, paresse) mais aborde des thèmes existentiels profonds.

Éclairages

Cette œuvre nous invite à repenser notre rapport au temps et aux conventions sociales. Comme le prunier, nous pouvons choisir de ne pas suivre aveuglément les rythmes imposés ("paresseux envers le printemps"), tout en reconnaissant notre lien fondamental avec le monde qui nous entoure ("lié à lui par un destin commun"). Les "fruits verts après la pluie" nous rappellent que les épreuves, loin de nous détruire, préparent souvent les récoltes futures. Dans un monde obsédé par la vitesse et la conformité, ce poème célèbre la valeur de ceux qui, comme le prunier, savent fleurir à leur propre heure et porter des fruits dans l'adversité.

À propos du poète

Lv Benzhong

Lü Benzhong (吕本中 1084 - 1145), originaire de Shouxian dans l'Anhui, fut un éminent poète et érudit néoconfucéen sous la dynastie Song du Sud. Théoricien clé de l'École poétique du Jiangxi, il formula le concept de « méthode vivante » (huofa), prônant des variations naturelles dans le cadre des règles poétiques établies. Auteur de plus de 1 270 poèmes conservés, sa Généalogie de l'École poétique du Jiangxi (Jiangxi Shishe Zongpai Tu) établit Huang Tingjian comme patriarche du mouvement, influençant profondément la théorie poétique des Song et servant de pont entre l'École Jiangxi et les Quatre Maîtres de la Renaissance Song.

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