Au kiosque de Xie, lieu des adieux,
La vue du paysage attriste toujours mon cœur.
Sous la lune claire, les hôtes se sont dispersés ;
La montagne est vide, l’eau verte coule à jamais.
Les fleurs de l’étang reflètent le soleil printanier ;
La nuit, le bambou grince au vent d’automne.
Aujourd’hui comme jadis, le temps se rejoint ;
Je chante à pleine voix, me souvenant de nos errances.
Poème chinois
「谢公亭」
李白
谢亭离别处,风景每生愁。
客散青天月,山空碧水流。
池花春映日,窗竹夜鸣秋。
今古一相接,长歌怀旧游。
Explication du poème
Ce poème fut composé par Li Bai lors de son séjour à Xuancheng. Xie Tiao, poète de la dynastie Qi du Sud, avait été gouverneur de Xuancheng et y avait laissé de nombreux sites et poèmes, dont le pavillon de maître Xie. Li Bai vouait une grande admiration à Xie Tiao, le citant souvent comme un ami intime transcendant les générations. Cette œuvre n'est pas seulement une évocation d'un ancien maître, mais aussi un dialogue spirituel au-delà du temps et de l'espace, ainsi qu'une expression de ses propres sentiments, dans des circonstances similaires (tous deux talents jalousés).
Premier couplet : « 谢亭离别处,风景每生愁。 »
Xiè tíng líbié chù, fēngjǐng měi shēng chóu.
Le pavillon de Xie, lieu des adieux d'antan ; le paysage y éveille toujours la tristesse.
Dès l'ouverture, le ton est mélancolique. « Lieu des adieux » évoque à la fois les scènes de séparation de Xie Tiao et les propres expériences d'errance et de séparation de Li Bai. « Toujours » (每) souligne que cette tristesse n'est pas occasionnelle, mais constante à chaque visite, révélant la superposition de la mémoire historique et de l'état d'âme personnel.
Deuxième couplet : « 客散青天月,山空碧水流。 »
Kè sàn qīngtiān yuè, shān kōng bì shuǐ liú.
Les hôtes dispersés, la lune dans le ciel bleu ; la montagne vide, l'eau verte s'écoule.
Ce distique esquisse avec économie un contraste saisissant entre la nature éternelle et les affaires humaines éphémères. « Hôtes dispersés » et « montagne vide » expriment le néant après la fin des festivités, tandis que « lune dans le ciel bleu » et « eau verte qui s'écoule » sont des témoins immuables, indifférents et éternels. L'image est éthérée et limpide, l'ambiance vaste et lointaine, capturant l'essence de la poésie de paysage claire et subtile de Xie Tiao.
Troisième couplet : « 池花春映日,窗竹夜鸣秋。 »
Chí huā chūn yìng rì, chuāng zhú yè míng qiū.
Fleurs de l'étang, printemps reflétant le soleil ; bambous sous la fenêtre, nuit sonnant l'automne.
Le poète choisit des éléments caractéristiques autour du pavillon, condensant le passage des saisons en vers antithétiques. « Printemps reflétant le soleil » et « nuit sonnant l'automne » dépeignent non seulement la beauté visuelle et auditive, mais insufflent aussi un sentiment d'écoulement du temps dans un espace immobile. Le paysage est beau, mais personne pour l'apprécier ; les fleurs s'épanouissent et se fanent d'elles-mêmes, les bambous résonnent seuls, écrivant la tristesse dans la joie, redoublant le chagrin.
Quatrième couplet : « 今古一相接,长歌怀旧游。 »
Jīngǔ yī xiāngjiē, chánggē huái jiùyóu.
Passé et présent se rejoignent soudain ; je chante longuement, évoquant vos excursions d'antan.
Le distique final est le point culminant du poème, réalisant une élévation émotionnelle. « Passé et présent se rejoignent soudain » est une illumination spirituelle et une affinité d'âme, brisant soudainement les barrières du temps. Cette « rencontre » n'est pas une évocation nostalgique, mais une résonance et une reconnaissance d'âme. « Je chante longuement » est une libération totale de l'émotion, une manifestation de passion, concluant le poème sur une note élevée, laissant retentir un écho vibrant.
Lecture globale
Ce poème illustre parfaitement la structure typique de la poésie nostalgique de Li Bai : un « lieu » (le pavillon de Xie) évoque un « paysage » (montagnes, eaux, lune, soleil), qui touche une « émotion » (tristesse), pour finalement réaliser une sublimation de la « pensée » (rencontre passé-présent). Le langage est frais et naturel, les antithèses équilibrées, l'ambiance passant de la quiétude lointaine à la vastitude grandiose. Le poète ne se contente pas d'évoquer Xie Tiao, mais affirme et exprime ses propres aspirations et caractère à travers l'ombre de Xie, élevant une simple visite nostalgique en un accord solennel de deux grandes âmes au-delà du temps.
Spécificités stylistiques
- Structure artistique entrelaçant temps et espace : Le poème superpose habilement le temps historique (adieux de Xie Tiao) et le temps présent (visite de Li Bai), les reliant par la permanence des éléments naturels (lune, eau, fleurs, bambous), créant une profonde sensation historique.
- Création d'atmosphère où mouvement et immobilité s'engendrent : « Hôtes dispersés », « montagne vide » sont immobiles ; « eau qui s'écoule », « bambous qui résonnent » sont mouvement ; leur combinaison exprime la quiétude de l'environnement tout en insufflant une respiration vitale à l'image.
- Lyricisme profond fusionnant paysage et émotion : Aucun vers n'exprime directement les sentiments, mais chaque mot est chargé d'émotion. Mélancolie, solitude, aspiration, résonance, toutes ces émotions complexes imprègnent la description du paysage, subtilement et puissamment.
- Relèvement et détachement de la conclusion : Contrairement à la fin mélancolique de la poésie nostalgique habituelle, Li Bai conclut par « je chante longuement » et « rencontre », montrant fougue et détachement au sein de la mélancolie, reflétant l'esprit unique des poètes de l'âge d'or des Tang.
Éclairages
Ce poème révèle profondément la signification de l'« ami intime » dans la transmission culturelle. La véritable évocation n'est pas de se complaire dans la tristesse et les regrets des changements, mais d'atteindre une résonance profonde avec les prédécesseurs dans le monde spirituel et d'en tirer de la force. La « rencontre passé-présent » de Li Bai et Xie Tiao nous apprend que les grands esprits et l'art peuvent transcender l'érosion du temps et trouver un écho après mille ans. Cela nous inspire que, sur la voie de la quête de la valeur de la vie, trouver un tel ami spirituel — qu'il soit ancien ou moderne — sera un immense réconfort et une source de force, nous permettant de sentir la présence spirituelle et la continuité de la civilisation dans l'exploration solitaire.
À propos du poète

Li Bai (李白), 701 - 762 apr. Li Bai a porté la poésie chinoise classique, en particulier la poésie romantique, à son apogée et a influencé des générations de lettrés exceptionnels dans le passé et le présent grâce à ses remarquables réalisations.