À une Amie Anonyme de Yan Shu

tian xian zi · shui diao shu sheng chi jiu ting
Ô ta voiture parfumée n’est plus en vue;
Je ne vois nulle part les traces de ta nue.
Au clair de lune les poiriers deviennent blancs;
L’étang se ride des chatons de saule au vent.
Que de jours solitaires passés dans l’ivresse!
Au repas froid, je sens d’autant plus de tristesse.
Je voudrais t’envoyer une lettre d'amour;
Les fleuves et les monts nous séparent toujours.

Poème chinois

「无题」
油壁香车不再逢,峡云无迹任西东。
梨花院落溶溶月,柳絮池塘淡淡风。
几日寂寥伤酒后,一番萧索禁烟中。
鱼书欲寄何由达,水远山长处处同。

晏殊

Explication du poème

Ce poème fut composé par Yan Shu sous la dynastie des Song du Nord, alors qu'il cherchait à exprimer ses sentiments personnels en marge de ses responsabilités officielles. Bien que connu comme le "Premier ministre de l'ère de paix", Yan Shu développa un style poétique caractérisé par sa douceur mélancolique et sa réserve élégante. Ce poème, où le paysage devient le miroir de l'âme, décrit la douleur de la séparation amoureuse. S'inspirant visiblement de la tradition des "Poèmes sans titre" de Li Shangyin, il déploie pourtant une atmosphère unique de détachement serein et de grâce subtile.

Premier couplet : « 油壁香车不再逢,峡云无迹任西东。 »
Yóu bì xiāng chē bù zài féng, xiá yún wú jì rèn xī dōng.
Le carrosse parfumé aux panneaux laqués ne repassera plus,
Nuages des gorges, sans traces, s'éparpillent à l'ouest comme à l'est.

Ce couplet exprime les regrets post-séparation. Le "carrosse parfumé" symbolise l'être aimé, tandis que les "nuages des gorges" figurent la nature évanescente de leur relation. Le premier vers constate l'absence définitive, le second utilise une image vaporeuse pour évoquer l'évanouissement de l'amour - un entrelacs de rêve et de réalité, tissé de nostalgie.

Deuxième couplet : « 梨花院落溶溶月,柳絮池塘淡淡风。 »
Lí huā yuàn luò róng róng yuè, liǔ xù chí táng dàn dàn fēng.
Dans la cour, les fleurs de poirier baignent dans une lune liquide,
Sur l'étang, les chatons de saule flottent dans une brise légère.

Transition vers une scène nocturne d'une beauté tranquille. La lune "liquide" et les fleurs suggèrent le poète absorbé dans la solitude printanière. Apparemment descriptive, cette strophe projette en réalité son état d'âme - le vide du paysage reflète le vide intérieur.

Troisième couplet : « 几日寂寥伤酒后,一番萧索禁烟中。 »
Jǐ rì jì liáo shāng jiǔ hòu, yī fān xiāo suǒ jìn yān zhōng.
Combien de jours de solitude après le vin qui blesse ?
Toute une période de désolation durant la fête sans fumée.

Le poète décrit son deuil amoureux - le vin censé apaiser ne fait qu'accentuer la mélancolie. La mention de "la fête sans fumée" (le Qingming, où les feux étaient interdits) ajoute une couche de froideur rituelle à sa tristesse personnelle.

Quatrième couplet : « 鱼书欲寄何由达,水远山长处处同。 »
Yú shū yù jì hé yóu dá, shuǐ yuǎn shān cháng chù chù tóng.
Comment parviendrait la lettre-carpe que je voudrais envoyer ?
Eaux lointaines, monts interminables - partout les mêmes obstacles.

La conclusion utilise l'image classique de la "lettre-carpe" (message amoureux) pour exprimer l'impossibilité de communiquer. Le poème culmine dans cette question rhétorique désespérée, où chaque obstacle géographique devient la métaphore de l'échec relationnel. D'une apparente simplicité, ces vers cachent une douleur absolue, exprimant l'irrémédiable rupture avec une retenue déchirante.

Lecture globale​

Ce poème a pour cœur la mélancolie de la séparation. Depuis l’évocation initiale du « carrosse parfumé qu’on ne croise plus » jusqu’à la phrase poignante « l’eau lointaine, la montagne longue », il déploie progressivement une souffrance amoureuse fusionnée avec les obstacles du réel à travers des images évocatrices. La première moitié peint l’émotion à travers le paysage : fleurs, lune, vent, chatons de saule, chaque élément est chargé de sens, construisant un climat onirique. La seconde bascule vers l’expression directe du sentiment, toujours plus intense. Sans jamais dire explicitement « je te pense » ou « je te regrette », le poète insuffle une émotion profonde dans chaque vers. Son style, épuré et subtil, contraste avec la densité lyrique de Li Shangyin, révélant plutôt une élévation sereine.

​​Spécificités stylistiques​

Bien qu’inspiré par le style des poèmes sans titre de Li Shangyin (poète des Tang), ce texte ne mise pas sur l’accumulation d’allusions, mais sur une élégance simple et raffinée. Sa structure, fluide, utilise habilement les correspondances et les images pour créer une atmosphère. L’expression émotionnelle, pudique, dissimule une douleur profonde dans les paysages et les saisons, fusionnant poésie et méditation. Des motifs naturels comme « la fleur de poirier », « les chatons de saule », « la lune diffuse » ou « la brise légère » tissent une ambiance à la fois vaporeuse et retenue, laissant le lecteur saisir, sous une mélancolie discrète, la puissance du sentiment.

Éclairages

Avec un langage limpide et aérien, ce poème exprime la tristesse de la séparation de manière subtile et profonde. Il nous rappelle que l’émotion véritablement touchante réside moins dans l’effusion directe que dans la suggestion et l’art d’incarner le sentiment dans le paysage. Quand la langue et l’image s’unissent parfaitement, elles éveillent chez le lecteur une résonance plus intime. Yan Shu, à travers des descriptions délicates et une expression épurée, révèle la puissance de la poésie pour traduire les sentiments les plus subtils. Il nous enseigne aussi que face aux déceptions et aux obstacles de la vie, on peut choisir l’expression retenue, ou chercher, dans la grâce, une transcendance esthétique et une sérénité de l’âme.

Traducteur de poésie

Xu Yuanchong(许渊冲)

À propos du poète

Yan Shu (晏殊, 991 - 1055), originaire de Fuzhou (Jiangxi), est considéré comme le maître fondateur de l’école wanyue (élégante et subtile) des ci (poèmes chantés) des Song du Nord. Enfant prodige, il entra dans la fonction publique à quatorze ans. Ses ci, d’une noble élégance, cachent sous des apparences fastueuses des méditations sur l’existence. Ses poèmes brillent également par leur finesse. Il promut des figures comme Fan Zhongyan et Ouyang Xiu, ouvrant la voie à l’« école du Jiangxi » et posant les bases de l’affinement des ci sous les Song.

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