Les siècles ont effacé les traces de Chu,
Qui pourrait dire l'essor et le déclin ?
Zheng Xiu, sa grâce frivole, est poussière,
Qu Yuan, ses vers ne font que nous pleurer.
Monts et lacs sont entrés dans l'éternité,
Pluie du soir, nuages du matin : un souffle.
Au pavillon, longtemps je scrute le couchant,
Ma mélancolie oisive, seul mon cœur l'entend.
Poème chinois
「晚望」
曾巩
蛮荆人事几推移,旧国兴亡欲问谁。
郑袖风流今已尽,屈原辞赋世空悲。
深山大泽成千古,暮雨朝云又一时。
落日西楼凭槛久,闲愁唯有此心知。
Explication du poème
Ce poème fut composé au milieu de la dynastie des Song du Nord. Zeng Gong, éminent lettré et homme politique de cette époque, connut de multiples vicissitudes dans sa carrière. Intègre et probe dans l'exercice de ses fonctions, il accordait une grande importance à la bonne gouvernance et à la culture, mais portait aussi en lui une profonde compréhension des cycles historiques et des destinées nationales. Les expressions « affaires des contrées sauvages » et « prospérité et déclin des anciens royaumes » reflètent sa préoccupation mélancolique pour les grands mouvements de l'histoire. À travers les figures historiques de Zheng Xiu et Qu Yuan, le poète exprime ses réflexions angoissées sur les succès et échecs politiques, ainsi que sur la destinée des nations. Ce poème, écrit dans les dernières années de Zeng Gong, dévoile un homme aux prises avec le temps qui fuit et les mutations sociales, habité par une sensibilité historique complexe et des émotions personnelles profondes.
Premier couplet : « 蛮荆人事几推移,旧国兴亡欲问谁。 »
Mán jīng rénshì jǐ tuīyí, jiù guó xīngwáng yù wèn shéi.
Combien ont changé les affaires des contrées sauvages ; À qui demander maintenant de la prospérité et du déclin des anciens royaumes ?
Dès l'ouverture, le poète exhale une nostalgie historique. Contemplant depuis son pavillon les terres ancestrales de Chu, il évoque leur gloire passée et leur décadence, dans un sentiment de profonde désorientation et de mélancolie existentielle.
Deuxième couplet : « 郑袖风流今已尽,屈原辞赋世空悲。 »
Zhèng Xiù fēngliú jīn yǐ jìn, Qū Yuán cífù shì kōng bēi.
L'élégance de Zheng Xiu n'est plus qu'un souvenir ; Les odes de Qu Yuan ne laissent au monde qu'une vaine tristesse.
Ce couplet juxtapose deux figures emblématiques de Chu : Zheng Xiu, symbole de beauté éphémère, et Qu Yuan, incarnation de la loyauté bafouée. Le premier vers évoque la vanité des gloires mondaines, le second l'amertume des idéaux trahis - double métaphore de la fuite inexorable du temps.
Troisième couplet : « 深山大泽成千古,暮雨朝云又一时。 »
Shēnshān dà zé chéng qiāngǔ, mù yǔ zhāo yún yòu yīshí.
Montagnes profondes et grands lacs demeurent éternels ; Pluies du soir et nuages du matin ne sont qu'éphémères.
Par ce contraste entre la permanence des paysages et la fugacité des phénomènes météorologiques, le poète médite sur la brièveté de l'existence face à l'immutabilité de la nature, tout en suggérant une philosophie du changement perpétuel.
Quatrième couplet : « 落日西楼凭槛久,闲愁唯有此心知。 »
Luòrì xī lóu píng kǎn jiǔ, xián chóu wéi yǒu cǐ xīn zhī.
Longtemps appuyé à la balustrade du Pavillon de l'Ouest au soleil couchant ; Seul mon cœur connaît la nature de cette oisive mélancolie.
Ces vers finals peignent un tableau intimiste : le poète solitaire, absorbé dans sa contemplation crépusculaire, porte une mélancolie dont lui seul comprend la véritable essence. La formule « Seul mon cœur connaît » crée une puissante tension lyrique, révélant une émotion contenue mais profonde.
Au-delà de l'évocation historique, ce poème exprime les réflexions de Zeng Gong sur son propre parcours et son époque. Bien que sa carrière fût globalement réussie, il n'en ressentait pas moins la frustration d'idéaux inaccomplis. Sa prétendue « oisive mélancolie » (闲愁) cache en réalité l'angoisse typique du lettré confucéen - souci du pays, lamentation sur les vicissitudes humaines - le tout exprimé avec une retenue et une profondeur qui touchent au sublime.
Lecture globale
Ce poème prend pour point de départ l'ascension d'un pavillon et le regard porté au loin, évoluant de la "contemplation" à la "nostalgie", puis de la "nostalgie" à l'"illumination". Le premier distique embrasse les anciens territoires de Chu, évoquant à travers les vicissitudes historiques le thème des "destinées humaines fluctuantes". Le deuxième distique utilise les figures contrastées de Zheng Xiu (la séductrice) et Qu Yuan (le loyaliste), suggérant comment prospérité et déclin sont liés aux passions humaines. Le troisième distique bascule vers le paysage, opposant "montagnes profondes et marais immenses" aux "pluies du soir et nuages matinaux", créant un contraste entre permanence et éphémère qui approfondit le sentiment de "rise and fall". Le distique final se resserre sur le coin isolé du "pavillon occidental au soleil couchant", capturant dans une introspection silencieuse la solitude qui suit le déclin des affaires mondaines. Le poème progresse méthodiquement, du vaste au minuscule, alliant profondeur historique et sensibilité individuelle, mêlant souci patriotique et mélancolie existentielle. Sa structure rigoureuse mais fluide, son alternance de réel et d'imaginaire, sa fusion de paysage et d'émotion révèlent le style tardif de Zeng Gong - mélancolie teintée de sérénité, sensibilité au temps qui s'équilibre par l'accommodation de soi.
Spécificités stylistiques
- Fusion paysage-émotion, évocation historique
Le poète excelle à faire émerger l'émotion du paysage, utilisant figures historiques et scènes naturelles pour tisser un entrelacs temporel et spatial, créant des contrastes puissants. - Allusions naturelles, signification implicite
Zheng Xiu et Qu Yuan, figures emblématiques de Chu, sont citées non pour érudition mais pour servir l'émotion, enrichissant le poème d'épaisseur historique et affective. - Parallelismes rigoureux, concision linguistique
Les antitheses, notamment "montagnes profondes / marais immenses" face à "pluies du soir / nuages matinaux", opposent ancien et moderne, permanent et éphémère, logeant la philosophie dans le paysage et l'émotion dans les objets.
Éclairages
Ce poème nous rappelle l'impermanence des affaires humaines et la fuite du temps : les beautés fanent tandis que nature et paysages persistent. La lamentation sur la disparition des charmes de Zheng Xiu et l'inutile loyauté de Qu Yuan constitue autant un hommage au passé qu'un miroir du présent. Nous devrions chérir l'instant, accepter émotions et responsabilités dans notre brève existence, cultiver un cœur tranquille et lucide - capable, même dans la solitude, de trouver paix et illumination au sein des mutations cosmiques.
À propos du poète
Zeng Gong (曾巩 1019 - 1083), originaire de Nanfeng dans la province du Jiangxi, compte parmi les illustres "Huit Grands Maîtres de la Prose des Tang-Song". Ses écrits se distinguent par leur équilibre classique élégant, célébrés pour leur argumentation rigoureuse et leur artisanat littéraire raffiné. Alors que sa poésie embrassait une subtilité sans artifice, sa prose atteignit ce que les critiques ont qualifié de "quintessence de pureté" - un accomplissement qui, bien que peut-être moins éclatant que celui de ses contemporains comme Su Shi ou Wang Anshi, lui valut une révérence posthume en tant que maître fondateur de "l'École Littéraire Nanfeng".