A la fête des Lanternes l'année dernière,
Les lampions ont fait le jour d’une nuit printanière.
Au-dessus des saules est montée la pleine lune
Pour le rendez-vous d'amour à la brune.
Ce soir c’est la fête des Lanternes à nouveau;
La lune est encor pleine, les lampions aussi beaux.
Mais n'est pas revenu l'homme de l'an dernier;
Par les larmes mes longues manches sont mouillées.
Poème chinois
「诉衷情 · 眉意」
欧阳修
清晨帘幕卷轻霜,呵手试梅妆。都缘自有离恨,故画作远山长。
思往事,惜流芳,易成伤。拟歌先敛,欲笑还颦,最断人肠。
Explication du poème
Ce poème lyrique (cí) fut composé sous la dynastie des Song du Nord. Œuvre rare d'Ouyang Xiu adoptant le point de vue féminin, il dépeint avec une grâce mélancolique les tourments intimes d'une femme dans son gynécée. Le titre "La Signification des Sourcils" révèle l'image centrale du poème. À travers la description minutieuse d'une femme se maquillant par un froid matin d'hiver, le poète exprime sa douleur amoureuse et sa détresse, reflétant ainsi la condition précaire des femmes et l'incertitude de leurs sentiments. Avec une sensibilité remarquable, Ouyang Xiu rend compte de la souffrance féminine de manière poignante et subtile.
Première strophe : « 清晨帘幕卷轻霜,呵手试梅妆。都缘自有离恨,故画作远山长。 »
Qīngchén liánmù juǎn qīng shuāng, hā shǒu shì méi zhuāng. Dōu yuán zì yǒu lí hèn, gù huà zuò yuǎn shān cháng.
Par un matin glacial, elle écarte les rideaux couverts de givre,
Souffle sur ses doigts engourdis pour tracer un maquillage de prunier.
Toute sa peine d'amour séparé,
Se traduit en ces sourcils longs comme des montagnes lointaines.
La strophe s'ouvre sur un détail quotidien qui introduit l'expression des sentiments. "Les rideaux couverts de givre" (帘幕卷轻霜) crée une atmosphère hivernale et matinale. Le geste de "souffler sur ses doigts" (呵手) révèle la fragilité de la femme, tandis que "le maquillage de prunier" (试梅妆), ornement féminin traditionnel, évoque discrètement la jeunesse et la beauté. Cependant, le vers suivant "toute sa peine d'amour séparé" (都缘自有离恨) dévoile brutalement que ce maquillage n'est pas destiné à une occasion joyeuse, mais trahit au contraire une déception amoureuse. "Les sourcils longs comme des montagnes lointaines" (远山长), métaphore classique pour décrire la forme des sourcils féminins, reflète la mélancolie qui habite son cœur. Le maquillage devient ainsi l'expression de ses sentiments, fusionnant paysage intérieur et extérieur.
Deuxième strophe : « 思往事,惜流芳,易成伤。拟歌先敛,欲笑还颦,最断人肠。 »
Sī wǎngshì, xī liúfāng, yì chéng shāng. Nǐ gē xiān liǎn, yù xiào hái pín, zuì duàn rén cháng.
Elle songe au passé, pleure les parfums fugitifs,
Si promptement transformés en blessures.
S'apprêtant à chanter, elle retient d'abord son souffle,
Esquisse un sourire qui se change en grimace -
Rien n'est plus déchirant que ce spectacle.
Cette strophe plonge dans l'analyse psychologique, passant des expressions extérieures à la douleur intime. "Elle songe au passé, pleure les parfums fugitifs" (思往事,惜流芳) évoque la nostalgie de la jeunesse et la fuite du temps, tandis que "si promptement transformés en blessures" (易成伤), en seulement trois caractères, exprime avec une grande économie de moyens la persistance d'une souffrance tenace. Les trois derniers vers sont particulièrement remarquables, dépeignant avec une grande finesse les efforts vains de la femme pour dissimuler son chagrin sous des apparences joyeuses. Contrainte par sa condition ou par les circonstances à chanter pour vivre, elle doit feindre la gaieté malgré son affliction. Cette tension entre "le sourire qui cache les larmes, le chant qui dissimule la douleur" crée une contradiction émotionnelle d'une puissance pathétique exceptionnelle.
Lecture globale
Ce poème lyrique dépeint, à travers la description d'une scène matinale de maquillage hivernal, les émotions à la fois riches et douloureuses d'une femme, avec une remarquable force lyrique et expressive. Bien que bref, il parvient à explorer en quelques vers multiples dimensions : de l'apparence à la psychologie, de la vie quotidienne au destin, laissant une empreinte profonde. Le poète évite toute expression directe de douleur, préférant suggérer la mélancolie par le "langage des sourcils" - une approche subtile où l'authenticité des sentiments se mêle à la délicate beauté féminine et à l'amertume d'un destin contrarié, constituant ainsi un chef-d'œuvre du style gracieux et retenu (wanyue).
Spécificités stylistiques
L'art de ce poème réside essentiellement dans sa capacité à révéler l'émotion par le détail, à exprimer l'état d'âme par l'image. Des gestes quotidiens comme "soulever le rideau", "réchauffer les mains" ou "essayer un maquillage" deviennent les vecteurs d'une souffrance affective, dépeignant avec discrétion tant les peines de l'héroïne que son histoire amoureuse et son tragique destin. Le poète utilise magistralement la technique de "projection affective sur les objets", transformant par exemple le tracé des sourcils en métaphore du chagrin, ou le maquillage en messager des sentiments. La structure, habilement équilibrée avec ses échos et transitions naturelles, passe progressivement du paysage à l'émotion, puis de l'émotion au portrait psychologique, démontrant une maîtrise consommée.
Éclairages
Ce poème d'Ouyang Xiu ne se contente pas de refléter un aspect du destin féminin sous les Song - il exprime une expérience humaine universelle : la fugacité de la jeunesse, la fragilité des affections, l'impuissance face au destin. Son héroïne, à la fois fragile et contrainte, sensible et désemparée, transcende son époque par une mélancolie intemporelle qui éveille notre compassion. À travers ce portrait, le poète transmet une compassion des plus profondes pour la condition humaine, tout en nous invitant à chérir la jeunesse, à porter attention aux plus vulnérables, et à percevoir la souffrance inhérente à notre nature.
Traducteur de poésie
Xu Yuanchong(许渊冲)
À propos du poète
Ouyang Xiu (欧阳修, 1007 - 1072), originaire de Yongfeng dans le Jiangxi, fut le chef de file des lettres sous les Song du Nord. Reçu docteur des lettres en 1030, il initia la réforme poétique en s'opposant au style Xikun, ouvrant la voie à la nouvelle prose des Song. Ses poèmes, d'une fluidité naturelle, et ses poèmes lyriques, d'une grâce profonde, influencèrent profondément les "Trois Su" (Su Shi, Su Zhe, Su Xun), Zeng Gong et Wang Anshi, jetant ainsi les bases de l'âge d'or littéraire des Song du Nord.