Les montagnes de Nandu, lavées de leur fard de pierre,
Mon habit léger brave le froid matinal.
Une nuit de vent d’est,
Les fleurs de pommier sont tombées —
Je les regarde depuis la fenêtre, rideau levé.
Mais aujourd’hui, le soleil lave tout d’une clarté pure,
Les sentiers du sud réchauffent les selles dorées.
Les jardins où j’errais jadis,
Heureusement épargnés par la pluie,
Sont annoncés par des oiseaux printaniers :
« Tout est calme. »
Poème chinois
「少年游 · 南都石黛扫晴山」
周邦彦
南都石黛扫晴山。衣薄耐朝寒。
一夕东风,海棠花谢,楼上卷帘看。
而今丽日明如洗,南陌暖雕鞍。
旧赏园林,喜无风雨,春鸟报平安。
Explication du poème
Ce ci fut probablement composé par Zhou Bangyan à la fin du printemps, alors qu'il contemplait les paysages ensoleillés du Jiangnan et se remémorait les joies passées des excursions printanières. Prenant pour cadre la capitale méridionale (actuelle Nanjing), le poète saisit avec finesse les scènes naturelles tout en y infusant une méditation discrète sur la fuite du temps. Cette œuvre allie la beauté picturale des descriptions à la profondeur émotionnelle d'une ode au printemps, mêlant observation minutieuse et réflexion existentielle.
Première strophe : « 南都石黛扫晴山。衣薄耐朝寒。一夕东风,海棠花谢,楼上卷帘看。 »
Nán dōu shí dài sǎo qíng shān. Yī báo nài zhāo hán. Yī xī dōng fēng, hǎi táng huā xiè, lóu shàng juǎn lián kàn.
"Dans la capitale du Sud, les montagnes lavées
S'étirent comme un trait de pierre sous le ciel clair.
Vêtu léger, j'endure le froid matinal.
Une nuit de vent d'est,
Et les fleurs de pommier s'effeuillent -
Du haut de ma tour, je soulève le store pour regarder."
L'ouverture dépeint une vue panoramique des montagnes printanières, comparées à un "trait de pierre" (石黛) - image à la fois minérale et calligraphique qui évoque la netteté des contours sous la lumière printanière. Le contraste entre la légèreté des vêtements et la persistance du froid matinal suggère une résistance tranquille aux aléas climatiques comme aux vicissitudes de l'existence. La chute brutale des fleurs de pommier, causée par une seule nuit de vent, devient une métaphore saisissante de la fragilité des beautés éphémères, tandis que le geste de "soulever le store" traduit une contemplation à la fois active et mélancolique.
Deuxième strophe : « 而今丽日明如洗,南陌暖雕鞍。旧赏园林,喜无风雨,春鸟报平安。 »
Ér jīn lì rì míng rú xǐ, nán mò nuǎn diāo ān. Jiù shǎng yuán lín, xǐ wú fēng yǔ, chūn niǎo bào píng ān.
"Aujourd'hui, le soleil radieux
Lave le ciel de sa clarté,
Sur les sentiers méridionaux, les selles ouvragées
Se réchauffent à sa caresse.
Dans les jardins où jadis je me plaisais,
Je me réjouis de l'absence d'orages -
Les oiseaux printaniers annoncent la paix."
La strophe bascule vers une tonalité plus lumineuse, avec un soleil si pur qu'il semble laver le ciel lui-même - image qui fait écho au "trait de pierre" initial, créant une continuité visuelle. Les "selles ouvragées" (雕鞍), détails précieux, évoquent l'élégance des promeneurs tout en soulignant le contraste avec la simplicité du "vêtu léger" précédent. La visite aux anciens jardins devient une réconciliation avec le passé, où l'absence de tempête et le chant des oiseaux forment un présage de sérénité. L'expression "annoncer la paix" (报平安), empruntée au langage des lettres familiales, transforme le gazouillis en message codé, intimement rassurant.
Lecture globale
Ce ci déploie une méditation sur la persistance et la fugacité à travers deux moments printaniers. La première strophe, empreinte de mélancolie, capture l'instant où la nature bascule - les fleurs tombent comme un rideau qui se ferme sur une saison. La seconde strophe célèbre la renaissance de cette même nature, où la lumière "lavée" et les oiseaux messagers semblent offrir une rédemption temporelle. Zhou Bangyan excelle ici dans l'art du contrepoint : le froid matinal contre la chaleur méridionale, l'effeuillement contre la floraison, l'observation solitaire contre la sociabilité des promenades. La structure même du poème, passant de la chute à l'épanouissement, suggère une cyclicité apaisante.
Spécificités stylistiques
- Dialectique des éléments
Le froid/la chaleur, l'obscurité/la lumière, la solitude/la compagnie s'équilibrent en un réseau d'oppositions harmonieuses. - Économie des moyens
Des images simples ("trait de pierre", "store soulevé") concentrent une grande puissance évocatrice. - Intertextualité discrète
L'expression "annoncer la paix" renvoie aux usages épistolaires, ajoutant une touche d'intimité. - Musicalité subtile
Les allitérations en "s" (扫, 衫, 谢) et "m" (陌, 暖, 无) créent une mélopée printanière.
Éclairages
Cette œuvre nous enseigne que la contemplation des rythmes naturels peut apaiser nos tourments temporels. Comme les fleurs qui tombent et renaissent, nos chagrins portent en eux les germes de futures joies. Le poète, en alchimiste des saisons, transforme une simple observation météorologique en une leçon de résilience - regarder le ciel "lavé", c'est peut-être accepter que le temps purifie aussi nos blessures. Dans notre ère d'instantanéité, ce ci rappelle la valeur de ces moments suspendus où, à l'image du poète levant son store, nous pouvons embrasser d'un regard à la fois la perte et la renaissance.
À propos du poète
Zhou Bangyan (周邦彦, 1056 - 1121), originaire de Qiantang (Hangzhou), fut le grand synthétiseur du lyrisme retenu des Song du Nord. Ses poèmes, d'une richesse ornementale et d'une perfection formelle, inventèrent des dizaines de nouveaux tons et mètres. Consacré "couronne des poètes lyriques", il influença profondément Jiang Kui et Wu Wenying, devenant le maître fondateur de l'école du mètre rigoureux.