La Branche du Piège : Les Pruniers Perdent Leurs Pétales de Feng Yansi

que ta zhi · mei luo fan zhi qian wan pian
Des milliers de pétales tombent des branches fleuries des pruniers,
Pourtant pleines de tendresse, imitant la neige qui tournoie au vent.

Hier soir, les chants et les flûtes se sont trop vite évanouis,
Le réveil n’a fait qu’ajouter une tristesse sans fin.

Depuis la tour, les montagnes printanières sont froides de tous côtés,
Les oies sauvages ont toutes passé,
Le crépuscule se fond dans les brumes, tantôt claires, tantôt épaisses.

Longtemps je me suis tenue à la balustrade, mais personne n’est venu,
Mon mouchoir de soie marine essuie des larmes tandis que je repense à tout.

Poème chinois

「鹊踏枝 · 梅落繁枝千万片」
梅落繁枝千万片,犹自多情,学雪随风转。
昨夜笙歌容易散,酒醒添得愁无限。

楼上春山寒四面,过尽征鸿,暮景烟深浅。
一晌凭栏人不见,鲛绡掩泪思量遍。

冯延巳

Explication du poème

Ce poème, dont la date exacte de composition reste inconnue, semble avoir été écrit pendant la période où Feng Yansi servait sous le règne de Li Jing des Tang du Sud. Fréquentant assidûment la cour impériale, évoluant dans l'entre-deux du pouvoir et des rites, le poète était familier des fastes tout comme de l'inconstance des rencontres et séparations. Adoptant le point de vue féminin pour exprimer une mélancolie contenue, ce poème déploie une série d'images - pruniers en fleurs tombées, festin évanescent, montagnes froides, oies sauvages migratrices, brumes crépusculaires - qui s'enchaînent progressivement, opposant la brièveté des joies partagées à la longueur des séparations, révélant la double réflexion du poète sur les sentiments, la vie et les aléas du destin.

Première strophe : « 梅落繁枝千万片,犹自多情,学雪随风转。昨夜笙歌容易散,酒醒添得愁无限。 »
Méi luò fán zhī qiān wàn piàn, yóu zì duō qíng, xué xuě suí fēng zhuǎn. Zuó yè shēng gē róng yì sàn, jiǔ xǐng tiān dé chóu wú xiàn.

"Les pruniers perdent leurs fleurs par milliers sur les branches touffues,
Comme par excès de sensibilité, imitant la neige qui tournoie au vent.
Hier soir, musiques et chants se sont trop vite évanouis,
Au réveil de l'ivresse, s'ajoute une mélancolie sans limites."

Le poème s'ouvre sur une image visuelle forte avec "milliers de fleurs tombant des branches touffues", créant une scène dynamique à grande échelle. Le prunier, symbole dans la culture chinoise de fierté solitaire et de constance, n'est pas ici qu'une image de pureté : doté de "sensibilité" et "imitant la neige", il acquiert une dimension humaine, révélant à la fois sa grâce aérienne et une nuance de résignation. Cette personnification donne aux fleurs tombantes une coloration émotionnelle, suggérant que les sentiments, bien que beaux, finissent par s'envoler avec le vent.

La transition vers la scène réelle est marquée par un contraste saisissant - la joie fugace contre la solitude sans bornes. Le mot "trop vite" (容易) exprime avec une apparente légèreté la fugacité des plaisirs dans la vie et leur irrémédiable disparition, tandis que "mélancolie sans limites" porte à son comble le sentiment de vide et de perte au sortir de l'ivresse.

Seconde strophe : « 楼上春山寒四面,过尽征鸿,暮景烟深浅。一晌凭栏人不见,鲛绡掩泪思量遍。 »
Lóu shàng chūn shān hán sì miàn, guò jìn zhēng hóng, mù jǐng yān shēn qiǎn. Yī shǎng píng lán rén bú jiàn, jiāo xiāo yǎn lèi sī liang biàn.

"Du pavillon, les montagnes printanières soufflent le froid de toutes parts,
Les oies migratrices ont toutes disparu,
Dans le crépuscule, les brumes s'échelonnent en nuances.
Longtemps j'ai guetté en vain du haut de la balustrade,
Essuyant mes larmes d'un fin tissu de soie, ressassant chaque souvenir."

La seconde strophe passe des scènes intérieures aux lointains paysages, le regard se portant vers les montagnes froides et les brumes du soir. Le printemps devrait être chaud, mais ces montagnes printanières dégagent une froideur qui fait écho aux pruniers en fleurs et au réveil sobre de la première strophe, soulignant la solitude intérieure du personnage. Les oies sauvages migratrices, image classique de la séparation dans la poésie ancienne, symbolisent l'absence de nouvelles et l'attente solitaire.

La conclusion ramène l'émotion vers l'intérieur, des vastes paysages extérieurs à l'espace personnel clos. Le mot "ressassant" (遍) transmet une répétition mentale de souvenirs impossibles à exorciser ; "tissu de soie" (鲛绡), détail raffiné, souligne l'identité féminine et la valeur précieuse des larmes, offrant une finale empreinte de mélancolie contenue.

Lecture globale

Le poème tout entier débute par la chute des fleurs de prunier, utilisant le paysage comme métaphore des sentiments, passant des scènes immédiates aux situations réelles, puis du regard porté au loin depuis le pavillon pour revenir au monologue intérieur, formant une structure d'expansion puis de resserrement. Pruniers, musiques de banquet, montagnes froides, oies migratrices, brumes du crépuscule et tissu de soie - ces images s'éclairent mutuellement, traçant une progression émotionnelle : brèves retrouvailles - séparation inévitable - souvenir incessant.

Le génie de Feng Yansi réside dans son refus d'exprimer directement la tristesse de la séparation, préférer laisser les objets et l'atmosphère imprégner l'émotion, permettant au lecteur de ressentir naturellement les fluctuations de l'état d'âme du poète à travers l'évolution des paysages. Contrairement à la richesse ornée de Wen Tingyun de la fin des Tang, le style de Feng tend vers une grâce claire et fluide, tout en cachant une puissance émotionnelle subtilement enchevêtrée.

Spécificités stylistiques

  • Progression émotionnelle stratifiée : Des fleurs qui tombent au banquet qui se dissipe, puis au regard au loin depuis le pavillon pour finir par les larmes essuyées contre la balustrade, l'émotion se concentre progressivement de l'extérieur vers l'intérieur.
  • Images riches et intertextuelles : Pruniers et neige, musiques et vin, montagnes froides et oies sauvages, crépuscule et brumes forment les multiples facettes de réfraction émotionnelle.
  • Usage maîtrisé des contrastes : Montagnes printanières mais froides, banquet dissous laissant place à une tristesse accrue, fleurs abondantes contre séparation - ces oppositions renforcent la tension émotionnelle.
  • Grâce sans perte de force : Langage élégant, sentiments délicats, mais derrière la finesse se cachent les profonds soupirs d'une vie.

Éclairages

Ce poème nous rappelle que beauté et rencontres sont souvent éphémères, tandis que perte et nostalgie persistent longuement. Que ce soit dans la chute des fleurs de prunier ou le ciel vide après le départ des oies, se devine le sentiment d'irréversibilité du flux de la vie. Il invite à réfléchir : dans le temps limité qui nous est imparti, pouvons-nous chérir davantage les personnes et les choses présentes ? Parallèlement, ce poème illustre la puissance de la littérature - à travers des descriptions suggestives de paysages, élever les émotions personnelles en sentiments universels, permettant aux lecteurs mille ans plus tard de retrouver leurs propres états d'âme dans les pruniers tombants et les brumes du soir.

À propos du poète

Feng Yansi

Feng Yansi (冯延巳 903 - 960), prénom social Zhengzhong, originaire de Guangling (actuelle Yangzhou, Jiangsu), fut un célèbre poète de ci sous les Tang du Sud durant la période des Cinq Dynasties et Dix Royaumes. Nommé Vice-directeur gauche du Département des Affaires d'État (Zuo Puye Tongping Zhangshi), il jouit de la confiance absolue de l'empereur Li Jing. Ses ci tracèrent une nouvelle voie au-delà de la tradition Huajian, influençant directement des maîtres ultérieurs comme Yan Shu et Ouyang Xiu, jouant un rôle pivot dans la transition du ci d'"art des musiciens" vers "expression lettrée des fonctionnaires-érudits".

Total
0
Shares
Prev
Ivresse parmi les Fleurs : Neige Claire dans le Jardin avant le Printemps de Feng Yansi
zui hua jian · qing xue xiao yuan chun wei dao

Ivresse parmi les Fleurs : Neige Claire dans le Jardin avant le Printemps de Feng Yansi

Dans le petit jardin, la neige claire précède le printemps,Au bord de l’étang,

Next
Qiwu Qian
Qiwu Qian

Qiwu Qian

Qiwu Qian (綦毋潜 692 - env

You May Also Like