Bodhisattva Barbare: Quelques chaumières paisibles au bord de l'eau​​ ​​de Wang Anshi

pu sa man · shu jia mao wu xian lin shui
Quelques chaumières paisibles au bord de l'eau,
Vêtu d'une simple tunique, sous les saules pleureurs.
Les fleurs sont rouges comme l'an passé,
Une brise nocturne les a épanouies.

La jeune lune se couche doucement,
Sobre enfin après une ivresse de midi.
Qu'est-ce qui touche le plus mon cœur ?
Le gazouillis de quelques loriot.

Poème chinois

「菩萨蛮 · 数家茅屋闲临水」
数家茅屋闲临水。单衫短帽垂杨里。
花是去年红,吹开一夜风。

梢梢新月偃。午醉醒来晚。
何物最关情。黄鹂三两声。

王安石

Explication du poème

Composé durant sa retraite à Jiangning, ce poème lyrique (ci) témoigne de l'art consommé de Wang Anshi pour tisser des vers anciens en une tapisserie nouvelle. Sous son apparente simplicité bucolique se cachent les strates d'une mémoire politique en voie d'apaisement, où chaque détail naturel devient le miroir d'une métamorphose intérieure.

Première strophe : « 数家茅屋闲临水。单衫短帽垂杨里。 »
Shù jiā máowū xián lín shuǐ. Dān shān duǎn mào chuí yáng lǐ.
"Quelques chaumières oisives penchées sur l'eau ; Vêtu d'une simple tunique, coiffé d'un petit chapeau, parmi les saules pleureurs."

L'économie de moyens - sept caractères par vers - condense une philosophie : le "penché sur l'eau" (临水) évoque autant l'abandon contemplatif que la position du lettré désormais à l'écart du courant politique. Le costume minimaliste (单衫短帽) est une anti-robe de cour, uniforme délibéré du renoncement.

Deuxième strophe : « 花是去年红,吹开一夜风。 »
Huā shì qùnián hóng, chuī kāi yī yè fēng.
"Les fleurs ont le même rouge que l'an passé, Écloses par le souffle d'une seule nuit de vent."

Le vers opère un télescopage temporel : la permanence des fleurs (去年红) contraste avec la fugacité du vent déclencheur (一夜风). Métaphore voilée des cycles politiques où les mêmes idéaux renaissent sous d'autres formes, malgré l'éphémérité des acteurs.

Troisième strophe : « 梢梢新月偃。午醉醒来晚。 »
Shāo shāo xīn yuè yǎn. Wǔ zuì xǐng lái wǎn.
"Lune nouvelle inclinée sur les cimes ; Ivresse de midi dont on émerge au crépuscule."

La courbure lunaire (新月偃) dessine la trajectoire déclinante d'une existence. L'"ivresse diurne" n'est pas simple paresse mais rituel d'oubli - le temps entre midi et soir mesurant l'épaisseur d'un songe volontaire, espace-temps suspendu entre deux vies.

Quatrième strophe : « 何物最关情?黄鹂三两声。 »
Hé wù zuì guān qíng ? Huánglí sān liǎng shēng.
"Qu'est-ce qui touche encore mon cœur ? Trois ou quatre notes de loriot."

La réponse réduit l'univers affectif à sa plus simple expression ornithologique. Ces "trois ou quatre notes" (三两声), par leur rareté même, deviennent précieuses - ultimes vibrations d'une sensibilité politique désormais à vif, où le chant d'oiseau remplace les débats de cour.

Lecture globale

Ce ci dépeint la vie retirée de Wang Anshi, où apparente quiétude et remous intimes s'entrelacent. En surface, une composition légère évoque "l'oisiveté", "l'ivresse", "la lune" et "les loriots", tissant un paysage printanier d'une élégance discrète, mêlant mouvement et quiétude. Mais à y regarder de près, transparaissent les strates d'une mélancolie nourrie par les expériences politiques, les vicissitudes du destin et le passage inexorable du temps.

Loin des affaires officielles, il ne s'est pourtant jamais totalement détaché du réel. "Oisif au bord de l'eau", son âme reste attentive au chant des loriots ; "ivre s'éveillant tard", il n'est jamais tout à fait soûlé d'indifférence. Ce ton ambigu - "fausse désinvolture masquant une vraie préoccupation", "oisiveté teintée de mélancolie" - donne à l'œuvre cette profondeur sous la limpidité, caractéristique majeure des ci de la maturité de Wang Anshi.

Spécificités stylistiques

  • L'art de l'emprunt réinventé
    Bien que pièce "assemblée", les vers s'unissent ici avec une telle organicité qu'ils semblent nés d'un seul souffle. Wang Anshi maîtrise l'alchimie qui "fait sienne la parole d'autrui", révélant son génie à dompter langue et imaginaire.
  • Paysage-miroir de l'âme
    Fleurs, brise, lune et loriots - chaque élément naturel devient véhicule d'une émotion retenue, exprimant avec pudeur cette sagesse teintée de regrets qui caractérise ses dernières années.
  • Élégance dépouillée, résonances profondes
    D'une langue simple et naturelle, sans fioritures, l'œuvre déploie pourtant de vastes échos. Clarté sans mièvrerie, retenue porteuse de sens : c'est là le style sobre et profond qui singularise les ci de Wang Anshi.

Éclairages

Ce ci nous enseigne que le "retrait du monde" véritable ne se mesure pas à la distance physique du pouvoir, mais à une conversion intime du regard. Après les tempêtes d'une vie d'homme d'État, Wang Anshi nous offre ici le portrait d'un esprit qui, loin de renier ses idéaux ou de s'abîmer dans la nostalgie, transforme l'amertume en poésie et reconstruit son ordre intérieur au contact de la nature. En ces vers réside une leçon : garder sa noblesse dans l'épreuve, cultiver la profondeur dans l'apparente légèreté - telle est la marque d'une existence accomplie.

​À propos du poète​

Wang Anshi

Wang Anshi​​ (王安石, 1021 - 1086), originaire de Linchuan dans le Jiangxi, fut un éminent homme politique et lettré des Song du Nord. Figure centrale des "Réformes de Xining", son œuvre littéraire reflète tout autant l'acuité réformatrice que la profondeur philosophique de son esprit. Son Recueil de Linchuan, comprenant plus d'un millier de poèmes et écrits en prose, constitue l'expression la plus aboutie de l'esprit des lettrés-fonctionnaires de l'ère Song du Nord.

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