Sur l'estrade de soie, l'automne tarde à venir,
Dans le pavillon des aiguilles, les regrets abondent.
Le Dragon ailé se hâte vers le jour fatal,
Les pies emplissent le fleuve en désordre.
Pleine d'une joie soudaine, elle se mire au miroir,
Pudique, elle n'ose défaire sa robe de soie.
Qui peut arrêter la nuit dans sa course ?
Demain, elle doublera la trame pour rattraper le temps perdu.
Poème chinois
「牛女」
沈佺期
粉席秋期缓,针楼别怨多。
奔龙争度日,飞鹊乱填河。
失喜先临镜,含羞未解罗。
谁能留夜色,来夕倍还梭。
Explication du poème
Ce poème s'inspire de la légende des Amants de la Voie lactée, où le Bouvier et la Tisserande se retrouvent une nuit par an, le septième jour du septième mois. Cette rencontre éphémère est devenue un thème classique évoquant l'amour, la nostalgie et la séparation. Shen Quanqi, poète de cour du début des Tang, maîtrise la tradition fastueuse de la poésie de cour mais y insuffle une émotion authentique. À travers la complainte céleste, il exprime les sentiments amoureux et les regrets des femmes terrestres, tout en reflétant sa propre mélancolie face à l'inconstance des retrouvailles et la fragilité des passions.
Premier couplet : « 粉席秋期缓,针楼别怨多。 »
Fěn xí qiū qī huǎn, zhēn lóu bié yuàn duō.
Sur le siège de poudre, le rendez-vous d'automne tarde ;
Dans la tour aux aiguilles, s'accumule l'amertume de l'adieu.
Le "siège de poudre" évoque la toilette des dames ; le "rendez-vous d'automne" désigne la nuit de Qixi. L'adverbe "tarde" traduit autant l'impatience que la lenteur du temps subjectif. Sur le ton de la plainte de la Tisserande, le poète crée une symbiose entre l'attente et la séparation.
Deuxième couplet : « 奔龙争度日,飞鹊乱填河。 »
Bēn lóng zhēng dù rì, fēi què luàn tián hé.
Les dragons galopants se pressent vers le soleil couchant ;
Les pies volantes en désordre comblent la rivière.
Cette strophe peint le spectacle céleste de la rencontre. Les verbes "galoper", "se presser", "en désordre" expriment l'urgence et l'agitation du moment. Le monde naturel semble participer à l'émotion humaine, créant un paysage entièrement animé par la passion.
Troisième couplet : « 失喜先临镜,含羞未解罗。 »
Shī xǐ xiān lín jìng, hán xiū wèi jiě luó.
Le cœur serré, elle se présente au miroir ;
Pudique, elle n'a pas encore défait sa robe de soie.
Retour à la psychologie du personnage. "Cœur serré" et "pudique" capturent la complexité émotionnelle de l'attente. Le geste de se mirer et la robe intacte symbolisent l'espoir mêlé d'appréhension, humanisant la déesse par des détails concrets.
Quatrième couplet : « 谁能留夜色,来夕倍还梭。 »
Shuí néng liú yè sè, lái xī bèi huán suō.
Qui peut retenir cette nuit,
Pour qu'au prochain soir la navette ne redouble ?
La conclusion s'ouvre sur une question rhétorique empreinte de mélancolie. "Retenir cette nuit" exprime l'impuissance face au temps. "La navette qui redouble" suggère à la fois la reprise du travail céleste et l'intensification de la douleur séparatrice.
Lecture globale
Le poème, narré à la voix de la Tisserande, déploie une progression émotionnelle maîtrisée :
- Le premier couplet évoque la nostalgie avant les retrouvailles ;
- Le deuxième couplet décrit la frénésie de l'approche du moment ;
- Le troisième couplet peint la pudeur de la rencontre accomplie ;
- Le dernier couplet exprime la douleur de la séparation imminente.
Sa structure, rigoureuse comme un mouvement musical, voit la poésie gagner en profondeur à travers la subtile circulation des émotions. Shen Quanqi ne se contente pas de dépeindre un amour mythologique ; il y intègre les joies et les peines humaines, faisant de l'« amour céleste » le symbole des « sentiments terrestres ».
Il excelle dans l'art du détail évocateur : « le siège de poudre » et « la tour aux aiguilles » dépeignent l'attente et les préparatifs précédant la rencontre ; « le miroir » et « la robe de soie » capturent les sentiments et la retenue à l'instant des retrouvailles ; « la nuit » et « la navette » expriment l'incessante nostalgie postérieure à la séparation. Le poème abonde en verbes – « tarder », « se presser », « en désordre », « se présenter », « défaire », « retenir » – créant un rythme léger sous lequel affleure un fort courant émotionnel, manifestant la musicalité et la tension lyrique caractéristiques de la prosodie des premiers Tang.
Spécificités stylistiques
- Allégorie mythologique : La légende devient le véhicule d'une réflexion sur l'amour humain.
- Paysage émotionnel : La nature et le ciel répondent aux sentiments des personnages.
- Dualité rythmique : Les verbes dynamiques des strophes externes encadrent la stase méditative des strophes centrales.
- Symbolisme concret : Les objets ordinaries (miroir, navette) acquièrent une dimension poétique.
Éclairages
Le poème transforme la brève rencontre annuelle en une méditation sur la nature éphémère de toute union heureuse. La question finale résonne au-delà du mythe : face à l'implacable fuite du temps, que reste-t-il sinon la conscience aiguë de la valeur de l'instant ? Shen Quanqi suggère que la beauté des rencontres humaines réside précisément dans leur fragilité, chaque moment partagé devenant d'autant plus précieux qu'il est voué à prendre fin.
À propos du poète
Shen Quanqi (沈佺期 env. 656-715), prénom social Yunqing, né à Neihuang dans le Henan, fut un important poète du début de la dynastie Tang. Célèbre aux côtés de Song Zhiwen sous l'appellation "Shen-Song", leur œuvre a joué un rôle décisif dans la fixation des règles du vers régulier à cinq caractères (wuyan lüshi) de la poésie tang. Ses poèmes, souvent des compositions de cour ou des méditations inspirées par ses voyages, se caractérisent par une élégance raffinée et une rigueur structurelle. Particulièrement habile dans le vers régulier à sept caractères (qilü), son écriture incarne la transition entre l'héritage des Six Dynasties et l'âge d'or de la Grande Tang. Son apport revêt une importance capitale dans le développement de la poésie à forme fixe (jintishi).