Rêve de Lü Benzhong

meng · lv ben zhong
Dans mon rêve, j’ai foulé le chemin de Chang’an,
Où les herbes printanières s’étendaient à perte de vue.

À mon réveil, le printemps avait déjà disparu,
Ne laissant qu’un étang paisible sous mes yeux.

Poème chinois

「梦」
梦入长安道,萋萋尽春草。
觉来春已去,一片池塘好。

吕本中

Explication du poème

Ce court poème fut composé par Lü Benzhong dans ses dernières années sous les Song du Sud, à une époque marquée par des guerres incessantes et un pays en ruine. Après une vie d'errance, le cœur lourd de mélancolie, le poète utilise le passage du rêve à la réalité comme fil conducteur pour exprimer une trajectoire émotionnelle allant de l'espoir à la déception, de l'illusion à la lucidité. Chang'an, cette capitale antique symbole de prospérité et d'idéal, apparaît en rêve, incarnant l'aspiration du poète à un âge d'or et à un retour au pays natal. Mais au réveil, le printemps s'est évanoui, ne laissant qu'un étang solitaire, miroir d'un cœur à la fois isolé et serein. Bien que bref, ce poème est riche de sens, mêlant tristesse face au temps qui passe et consolation trouvée dans la quiétude.

Premier distique : « 梦入长安道,萋萋尽春草。 »
Mèng rù cháng ān dào, qī qī jìn chūn cǎo.

"En rêve j'ai foulé la route de Chang'an,
Où s'étendaient à perte de vue d'épaisses herbes printanières."

"La route de Chang'an" symbolise dans la poésie classique les idéaux, la gloire et la prospérité, tandis que "les épaisses herbes printanières" évoquent à la fois la vitalité saisonnière et, par leur densité même, les thèmes de la séparation et de l'écoulement du temps. L'adjectif "épaisses" (萋萋), bien que décrivant une croissance luxuriante, porte en poésie des connotations de déclin et de mélancolie, créant ici une atmosphère où splendeur et tristesse coexistent.

Second distique : « 觉来春已去,一片池塘好。 »
Jué lái chūn yǐ qù, yī piàn chí táng hǎo.

"À mon réveil, le printemps avait disparu,
Ne restait plus qu'un étang d'une pure sérénité."

Le passage du rêve à la réalité opère une transition brutale. "Le printemps avait disparu" suggère avec économie l'évanescence des beaux jours et l'inaccessibilité des idéaux, tandis que "un étang d'une pure sérénité" devient l'unique source de réconfort dans le réel - à la fois contemplation esthétique d'une scène paisible et résignation apaisée face à l'inéluctable.

Lecture globale

Bien que court, ce poème crée par le contraste entre rêve et réalité une puissante chute émotionnelle. L'ouverture "En rêve j'ai foulé la route de Chang'an" plonge d'emblée le lecteur dans un monde d'espoir et de vitalité, tandis que "les épaisses herbes printanières", avec leurs couleurs et leurs parfums, dépeignent l'abondance printanière. Pourtant, l'adjectif "épaisses" porte une double charge culturelle, évoquant tant la luxuriance du Livre des Odes que les thèmes de l'adieu et du déclin, offrant ainsi une double lecture.

Le retour à la réalité avec "À mon réveil, le printemps avait disparu" exprime avec une concision frappante le sentiment d'impermanence, rappelant la fuite du temps et la caducité de la vie. Le vers final "Ne restait plus qu'un étang d'une pure sérénité" clôt l'émotion sur une image apaisée - à la fois résignation devant la réalité et transcendance par la nature, mais aussi ajustement intérieur après les vicissitudes. L'évolution émotionnelle - de la ferveur à la quiétude, de l'attente à l'acceptation - est caractéristique des œuvres tardives de Lü Benzhong.

Spécificités stylistiques

  • Jeu d'opposition entre rêve et éveil : La transition crée une chute émotionnelle qui intensifie l'impact poétique.
  • Symbolisme végétal subtil : "Les épaisses herbes printanières" suggèrent à la fois vitalité et mélancolie, dans une économie de moyens remarquable.
  • Art de la concision et du non-dit : En quatre vers seulement, le poème ouvre un vaste espace à l'imagination du lecteur.
  • Fusion paysage-émotion : Les éléments naturels s'entrelacent étroitement avec la réflexion existentielle, illustrant la beauté épurée propre aux lettrés des Song.

Éclairages

Ce poème nous rappelle la précarité des moments heureux. La vie est un songe, la prospérité comme Chang'an s'évanouit en un clin d'œil ; seule la paix intérieure et l'émerveillement devant la nature offrent une beauté durable. À travers le rêve comme véhicule d'idéaux et l'étang comme métaphore de sérénité, le poète nous enseigne que même lorsque le printemps s'est enfui, on peut encore trouver paix et joie dans la "pure sérénité d'un étang". Cette sagesse trouve une résonance particulière dans notre modernité frénétique.

À propos du poète

Lv Benzhong

Lü Benzhong (吕本中 1084 - 1145), originaire de Shouxian dans l'Anhui, fut un éminent poète et érudit néoconfucéen sous la dynastie Song du Sud. Théoricien clé de l'École poétique du Jiangxi, il formula le concept de « méthode vivante » (huofa), prônant des variations naturelles dans le cadre des règles poétiques établies. Auteur de plus de 1 270 poèmes conservés, sa Généalogie de l'École poétique du Jiangxi (Jiangxi Shishe Zongpai Tu) établit Huang Tingjian comme patriarche du mouvement, influençant profondément la théorie poétique des Song et servant de pont entre l'École Jiangxi et les Quatre Maîtres de la Renaissance Song.

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