La pluie et le vent murmurent comme un automne précoce,
Les corbeaux rentrent, la porte est close, les moines recueillis.
Les nuages épais dévorent l’élégance des mille pics,
Les eaux en crue font rugir les ravins.
La cloche brise le rêve, ne laissant que regrets,
Une lettre arrive, portée par des mains incertaines.
Mon visage carré n’a pas l’étoffe des héros,
Ne m’enviez pas : Ban Chao et ses titres ne sont plus.
Poème chinois
「柳州开元寺夏雨」
吕本中
风雨潇潇似晚秋,鸦归门掩伴僧幽。
云深不见千岩秀,水涨初闻万壑流。
钟唤梦回空怅望,人传书至竟沈浮。
面如田字非吾相,莫羡班超封列侯。
Explication du poème
Ce poème fut composé durant les années Jianyan (1127-1130) du règne de l'empereur Gaozong des Song, alors que Lü Benzhong se réfugiait à Liuzhou pour échapper aux troubles politiques. À cette époque, les troupes Jin envahissaient le sud, le Nord des Song venait de s'effondrer, tandis que le Sud des Song maintenait un pouvoir précaire au Jiangnan. Le pays était en ruine, et Lü Benzhong, errant dans le sud, ressentait profondément la douleur d'une nation déchirée et l'amertume d'une carrière inaccomplie. Dans le temple Kaiyuan de Liuzhou, il utilisa le paysage d'une tempête estivale pour exprimer ses sentiments tumultueux dans ce poème. Commençant par une description de la nature pour aboutir à l'expression des émotions, l'œuvre inscrit les préoccupations du temps dans les montagnes et les eaux.
Premier couplet : « 风雨潇潇似晚秋,鸦归门掩伴僧幽。 »
Fēng yǔ xiāo xiāo sì wǎn qiū, yā guī mén yǎn bàn sēng yōu.
"La pluie et le vent sifflent comme en plein automne tardif,
Les corbeaux regagnent leur nid, la porte close accompagne la quiétude monastique."
Le poète ouvre sur une sensation saisonnière décalée - une tempête estivale évoquant l'automne - reflétant ainsi le climat politique glacial. Corbeaux, porte close et moine recueilli composent une scène de silence, à la fois reflet de l'environnement et projection de l'état d'esprit du poète.
Deuxième couplet : « 云深不见千岩秀,水涨初闻万壑流。 »
Yún shēn bú jiàn qiān yán xiù, shuǐ zhǎng chū wén wàn hè liú.
"Les nuages épais voilent la splendeur des mille pics,
La crue des eaux laisse enfin entendre le flot des dix mille ravins."
Ce couplet élargit la perspective visuelle et auditive. "Nuages épais" et "eaux en crue" créent une sensation d'immensité verticale et horizontale. Le paysage grandiose, obscurci par les nuages, symbolise les ambitions entravées du poète, tandis que "le flot des ravins" représente les bouleversements de l'époque.
Troisième couplet : « 钟唤梦回空怅望,人传书至竟沈浮。 »
Zhōng huàn mèng huí kōng chàng wàng, rén chuán shū zhì jìng chén fú.
"La cloche rappelle du rêve pour ne laisser que regrets et regards vides,
On parle de lettres arrivées, mais je reste ballotté par les flots."
Passant du paysage aux sentiments, "la cloche rappelle du rêve", normalement symbole de paix bouddhique, brise ici cruellement les illusions du poète. Les "lettres" censées apaiser la nostalgie ne font qu'accentuer le sentiment d'errance.
Quatrième couplet : « 面如田字非吾相,莫羡班超封列侯。 »
Miàn rú tián zì fēi wú xiàng, mò xiàn Bān Chāo fēng liè hóu.
"Mon visage carré n'est pas celui d'un favorisé du destin,
N'enviez pas Ban Chao, fait marquis pour ses exploits."
Le finale exprime directement les sentiments, utilisant la physiognomonie et l'allusion historique pour l'autodérision - "visage carré" évoque une honnêteté sans réussite, tandis que "Ban Chao" symbolise les gloires militaires. Cela exprime à la fois le renoncement aux ambitions officielles et le regret des idéaux inaccomplis.
Lecture globale
Ce poème progresse du proche au lointain, du paysage aux sentiments, dépeignant d'abord la quiétude majestueuse d'un temple sous la pluie estivale, puis déversant la douleur de l'errance et des ambitions contrariées. Lü Benzhong excelle à créer une atmosphère de déracinement à travers des sensations saisonnières incongrues (l'été ressemblant à l'automne). L'interaction entre mouvement et immobilité (pluie sifflante contre temple silencieux, nuages épais contre eaux tumultueuses) enrichit la texture du tableau. La conclusion, utilisant des allusions naturelles, sans artifice, mêle autodérision et résignation, exprimant à la fois l'impuissance et la transcendance. Bien que décrivant des scènes immédiates, le poème recèle des inquiétudes nationales et des expériences personnelles, atteignant une parfaite fusion artistique entre paysage et émotion.
Spécificités stylistiques
- Paysage comme prélude à l'émotion, fusion scène-sentiment
L'ouverture "pluie et vent sifflant comme l'automne" donne d'emblée une tonalité mélancolique à la scène estivale, créant une atmosphère monastique froide tout en reflétant la situation précaire du poète fuyant les troubles. Les paysages ne sont pas de simples descriptions, mais des miroirs des émotions, rendant les scènes expressives et les sentiments visuels. - Entrelacement de réel et d'imaginaire, combinaison mouvement-repos
"Corbeaux regagnant leur nid" est une scène statique, "flot des ravins" une scène dynamique - leur interaction crée une riche stratification. Le "non-visuel" comme "nuages voilant les pics" utilise l'invisible pour souligner la densité des nuages, renforçant la sensation d'irréalité. - Entrelacs sons-paysages, immersion accrue
Le poème présente trois couches sonores - pluie, eaux, cloches - superposées à la scène monastique, immergeant le lecteur. "La cloche rappelle du rêve" lie particulièrement l'audition aux changements psychologiques, donnant une qualité tridimensionnelle et immersive à l'image. - Transition émotion-paysage, conclusion puissante
Les troisième et quatrième couplets passent du paysage aux sentiments, le finale utilisant l'allusion à "Ban Chao" pour opposer directement ambitions et réalité, aboutissant à une émotion intense et profonde. - Allusions naturelles, profondeur implicite
La phrase finale "N'enviez pas Ban Chao" emploie une référence historique qui exprime non seulement le renoncement aux gloires officielles, mais aussi les regrets face aux dangers de l'époque et à l'inutilité des talents. L'allusion, intégrée naturellement, fusionne avec le courant émotionnel global.
Éclairages
Ce poème nous enseigne qu'en période d'errance et de bouleversements, nous pouvons utiliser les paysages naturels comme véhicules émotionnels, fusionnant expérience personnelle et atmosphère naturelle pour une expression affective profonde. Le pinceau de Lü Benzhong, bien qu'il ne déverse pas de plaintes explicites, recèle douleur et résignation dans des paysages à la fois paisibles et majestueux, transmettant à la fois l'impuissance des lettrés et une attitude spirituelle transcendante. Cette manière de s'appuyer sur les paysages dans l'adversité et de se consoler par la poésie mérite d'être méditée par les générations futures.
À propos du poète
Lü Benzhong (吕本中 1084 - 1145), originaire de Shouxian dans l'Anhui, fut un éminent poète et érudit néoconfucéen sous la dynastie Song du Sud. Théoricien clé de l'École poétique du Jiangxi, il formula le concept de « méthode vivante » (huofa), prônant des variations naturelles dans le cadre des règles poétiques établies. Auteur de plus de 1 270 poèmes conservés, sa Généalogie de l'École poétique du Jiangxi (Jiangxi Shishe Zongpai Tu) établit Huang Tingjian comme patriarche du mouvement, influençant profondément la théorie poétique des Song et servant de pont entre l'École Jiangxi et les Quatre Maîtres de la Renaissance Song.