Exil au Sud — pire qu'au Nord ?
Retour vers l'Ouest, oserais-je repartir vers l'Est ?
Cris de singes dans les nuages arborés, lune pâle,
Oreiller d'hôte sur la barque nue, baigné de rosée et de vent.
Cheveux jadis noirs, printemps les a tous blanchis,
Visage hâve, le vin ne le rougit plus.
Ne hais ni la mélancolie ni la maladie,
Laisse-les tenir compagnie à ce vieillard déchu.
Poème chinois
「解舟惠州东桥」
杨万里
南宦宁差北,西归敢再东。
猿声云树月,客枕露船风。
绿发春全白,苍颜酒不红。
莫憎愁与病,留取伴衰翁。
Explication du poème
Ce poème fut composé durant l'exil de Yang Wanli à Huizhou. Sous les Song du Sud, la carrière de Yang Wanli fut semée d'embûches, et ses dernières années furent marquées par un exil dans la région du Lingnan en raison de désaccords politiques. Huizhou, lieu reculé au environnement austère, inspira souvent le poète lors de ses voyages en bateau. Cette œuvre naquit de ses réflexions alors qu'il mouillait près du pont est de Huizhou, mêlant descriptions du voyage et méditations existentielles, révélant la solitude et la sérénité de ses vieux jours.
Premier distique : « 南宦宁差北,西归敢再东。 »
Nán huàn nìng chà běi, xī guī gǎn zài dōng.
"Servir au sud plutôt qu'au nord,
Oserez-vous repartir à l'est après un retour à l'ouest ?"
Dès l'ouverture, "servir au sud" évoque les contraintes de la vie officielle en exil. "Oserez-vous repartir" exprime l'incertitude du destin et l'impossibilité du retour, trahissant les aléas d'une carrière décevante et l'errance sans fin.
Second distique : « 猿声云树月,客枕露船风。 »
Yuán shēng yún shù yuè, kè zhěn lù chuán fēng.
"Cris de gibbons, nuages, arbres et lune,
L'oreille du voyageur sur l'oreiller, rosée et vent du bateau."
Ce distique peint la nuit au mouillage. Les cris de gibbons, le clair de lune voilé, le vent chargé de rosée créent une atmosphère de solitude voyageuse, reflet de l'isolement du poète.
Troisième distique : « 绿发春全白,苍颜酒不红。 »
Lǜ fà chūn quán bái, cāng yán jiǔ bù hóng.
"Cheveux noirs de printemps entièrement blanchis,
Visage pâle que le vin ne rougit plus."
Ici, le poète exprime directement ses sentiments sur le temps qui passe. "Cheveux noirs entièrement blanchis" évoque la rapidité des années, "vin ne rougit plus" la réalité du vieillissement, dévoilant des regrets sur la fuite de la vie et une mélancolie profonde.
Quatrième distique : « 莫憎愁与病,留取伴衰翁。 »
Mò zēng chóu yǔ bìng, liú qǔ bàn shuāi wēng.
"Ne haïssez ni chagrin ni maladie,
Gardez-les pour tenir compagnie au vieillard déclinant."
La conclusion bascule vers l'apaisement intérieur. Passant des lamentations à l'acception, elle révèle une résignation teintée de sérénité, illustrant la sagesse du poète cherchant l'équilibre spirituel face aux épreuves existentielles.
Lecture globale
Cette œuvre typique des regrets de l'exil officiel prend le mouillage nocturne comme point de départ pour évoquer l'errance professionnelle et le déclin physique. Les deux premiers distiques dépeignent les difficultés du voyage et les scènes nocturnes, associant cris de gibbons, clair de lune, vent et rosée à la solitude du voyageur ; les deux derniers expriment les sentiments personnels, déplorant la fuite des années et les outrages de l'âge.
Le charme artistique du poème réside dans l'émotion au cœur du paysage, la raison au cœur du sentiment. Le poète ne se plaint pas directement mais intègre naturellement son état d'âme au décor nocturne, créant une profondeur suggestive. La conclusion "Ne haïssez ni chagrin ni maladie" ajoute une dimension philosophique : puisque souffrances et maladies sont inévitables, mieux vaut les accepter comme compagnes de vie. Cette attitude transcendante et sereine ajoute une touche de paix à la mélancolie.
Spécificités stylistiques
- Fusion paysage-sentiment
Cris de gibbons, clair de lune, vent et rosée ne sont pas de simples descriptions naturelles mais le miroir de la solitude intérieure du poète, unissant paysage et émotion. - Langage simple et naturel
Des mots directs et sincères, comme "cheveux noirs entièrement blanchis, visage pâle que le vin ne rougit plus", sans fioritures mais d'une grande puissance émotive. - Vaste dans le petit, profond et suggestif
Une simple scène de mouillage nocturne évoque l'errance et le vieillissement, le poème progresse du particulier à l'universel. - Transition significative, riche en philosophie
Les trois premiers distiques expriment les peines de l'errance et du déclin, le dernier bascule vers l'auto-apaisement, créant une transition émotionnelle porteuse d'une sagesse sereine.
Éclairages
Ce poème nous enseigne que l'errance et la vieillesse sont inévitables - plutôt que de les maudire, il faut trouver la paix intérieure face à l'adversité. Comme le dit le poète, chagrin et maladie sont aussi des compagnons de l'existence. Les accepter permet de vivre avec sérénité. La sagesse que révèlent les poèmes de la vieillesse de Yang Wanli reste pertinente aujourd'hui : dans l'impermanence de la vie, apprendre à faire la paix avec soi-même est la véritable sérénité.
À propos du poète
Yang Wanli (杨万里 1127 - 1206), originaire de Jishui dans le Jiangxi, fut un célèbre poète de la dynastie Song du Sud, considéré comme l'un des « Quatre Grands Maîtres de la Restauration » aux côtés de Lu You, Fan Chengda et You Mao. Il obtint le titre de jinshi en 1154 et accéda au poste d'Académicien du Pavillon Baomo. Se libérant des contraintes de l'École poétique du Jiangxi, il créa le style naturel et vivant du « Chengzhai », prônant l'apprentissage de la nature et l'utilisation d'un langage simple mais profond. Sa poésie, souvent inspirée par la vie quotidienne, influença profondément les écoles lyriques ultérieures, en particulier l'école Xingling (Esprit et Sensibilité).