Ne dites point qu’après la descente plus d’obstacle n’est,
Cette illusion vous berne, voyageurs, d’une joie trompeuse.
Vous voilà pris au cœur des cercles de dix mille montagnes :
Une montagne libère, une autre barre la route.
Poème chinois
「过松源晨炊漆公店」
杨万里
莫言下岭便无难,赚得行人错喜欢。
政入万山围子里,一山放出一山拦。
Explication du poème
Ce poème fut composé sous l'ère Chunxi (1174-1189) des Song du Sud. À la fin du XIIe siècle, Yang Wanli, en proie aux vicissitudes de sa carrière officielle et aux fluctuations de son état d'esprit, voyageait fréquemment entre les provinces du Jiangxi et du Hunan. Durant ses pérégrinations, il transposait souvent en poésie ses observations et réflexions sur les montagnes escaladées, les rivières traversées et les auberges fréquentées. Le Repas Matinal chez l'Auberge du Lac Qi à Songyuan fut écrit lors d'un passage à Songyuan (actuel Anren dans le Jiangxi), inspiré par une halte fortuite dans une auberge de montagne. À travers la description des difficultés du chemin montagneux, le poète exprime une profonde réflexion sur les circonstances de la vie : les affaires du monde sont comme l'ascension d'une montagne - qu'on monte ou qu'on descende, les obstacles ne disparaissent jamais vraiment.
Premier distique : « 莫言下岭便无难,赚得行人错喜欢。 »
Mò yán xià lǐng biàn wú nán, zhuàn dé xíng rén cuò xǐ huān.
"Ne dites pas que descendre la montagne est sans difficulté,
Cette idée trompe les voyageurs d'une joie illusoire."
Le poète ouvre par une réflexion philosophique, réfutant d'emblée une croyance commune. Il souligne que la descente n'est pas nécessairement plus facile que la montée - une mise en garde existentielle. Le mot "trompe" (赚) capture avec vivacité le décalage psychologique du voyageur, exprimant avec justesse la déception née des fausses attentes.
Second distique : « 政入万山围子里,一山放出一山拦。 »
Zhèng rù wàn shān wéi zǐ lǐ, yī shān fàng chū yī shān lán.
"À peine entré dans l'enceinte des dix mille montagnes,
Une montagne te libère qu'une autre déjà te barre la route."
Le poète personnifie magistralement les montagnes, les dépeignant comme des entités jouant avec le voyageur - tantôt "libérant", tantôt "barrant" le passage. Cette scène illustre non seulement les difficultés du chemin, mais reflète aussi les vicissitudes du parcours de vie, imprégnée d'une profonde sagesse philosophique.
Lecture globale
Bien que ne comptant que quatre vers, ce poème présente une structure claire et un sens profond. Les deux premiers vers, sous forme de réflexion, introduisent la difficulté du chemin et l'illusion du voyageur ; les deux derniers se tournent vers la description, dépeignant vivement les montagnes successives qui obstruent le passage. La fusion de la réflexion et de la description incarne la philosophie dans des images concrètes, offrant une lecture riche en révélations.
Le poème ne se limite pas à l'expérience physique de l'ascension mais véhicule aussi une méditation sur l'existence. L'idée commune selon laquelle "la descente est facile" est démentie par la réalité : de nouveaux obstacles surgissent toujours. Ces revers et répétitions sont à la fois une représentation fidèle des paysages montagneux et une métaphore éloquente du chemin de vie. Avec un ton léger et naturel, le poète énonce une vérité universelle et profonde, éveillant les consciences sans jamais tomber dans l'obscurité.
Spécificités stylistiques
- Ouverture percutante : "Ne dites pas que descendre…" frappe comme un coup de tonnerre, brisant les idées reçues et captivant immédiatement le lecteur.
- Précision lexicale : Le verbe "tromper" (赚) allie humour et vivacité, transmettant tant la duperie que le décalage psychologique.
- Personnification ingénieuse : "Une montagne libère…" donne aux montagnes une intentionnalité, comme si elles jouaient avec le voyageur.
- Philosophie par l'image : Derrière l'ascension se cache une méditation sur l'existence, fusionnant paysage et pensée en une densité conceptuelle remarquable.
- Langage concis et naturel : Sans termes obscurs, utilisant des expressions parlées mais chargées de sens, d'une clarté accessible mais infiniment suggestive.
Éclairages
Ce poème nous enseigne que le chemin de vie n'est jamais linéaire - même lorsqu'une phase semble "descendre" avec succès, de nouvelles difficultés surgissent inévitablement. Il nous met en garde contre les "joies illusoires" nées des suppositions hâtives et nous exhorte à maintenir vigilance et préparation pour affronter des défis toujours renouvelés. À travers l'expérience de l'ascension, le poète projette une philosophie de l'existence, rappelant au monde qu'il faut persévérer sans craindre les difficultés pour progresser dans les montagnes successives de la vie. Yang Wanli, avec sa maîtrise du "style de la Sincérité", transforme une simple scène de voyage en une métaphore universelle, démontrant comment la poésie peut éclairer les vérités les plus profondes de la condition humaine.
À propos du poète
Yang Wanli (杨万里 1127 - 1206), originaire de Jishui dans le Jiangxi, fut un célèbre poète de la dynastie Song du Sud, considéré comme l'un des « Quatre Grands Maîtres de la Restauration » aux côtés de Lu You, Fan Chengda et You Mao. Il obtint le titre de jinshi en 1154 et accéda au poste d'Académicien du Pavillon Baomo. Se libérant des contraintes de l'École poétique du Jiangxi, il créa le style naturel et vivant du « Chengzhai », prônant l'apprentissage de la nature et l'utilisation d'un langage simple mais profond. Sa poésie, souvent inspirée par la vie quotidienne, influença profondément les écoles lyriques ultérieures, en particulier l'école Xingling (Esprit et Sensibilité).