Assis comme Fangweng de Liu Guo

fang weng zuo shang
Brouillard des bois, traînant, fraîcheur de l’aube,
Gardenias sauvages à peine éclos, déjà parfumés.
Heureux, les affaires du monde s’éloignent chaque jour,
Étrange, ce cœur qui s’emporte avec l’âge !

Trois coupes de vin d’hiver, vert profond flottant,
Un rouleau de printemps, jaune léger poli.
Pourquoi ne pas se libérer du corps,
Et faire des rivières et lacs un pays d’ivresse ?

Poème chinois

「放翁坐上」
林雾霏霏晓意凉,野栀才放已传香。
幸哉世事日相远,怪底时情老更狂。
腊蚁三杯浮重碧,春膏一幅砑轻黄。
何如放浪形骸外,尽乞江湖作醉乡。

刘过

Explication du poème

Ce poème fut composé à la fin des Song du Sud, une époque où le déclin national pesait lourd sur le cœur des lettrés. Liu Guo, profondément préoccupé par les affaires de l'État mais constamment frustré dans ses ambitions, exprime ici une colère rentrée. Le "Vieux Libertin" (放翁) mentionné dans le titre désigne Xin Qiji, que Liu Guo admirait profondément et visita à maintes reprises. Ce poème fut probablement écrit lors d'une rencontre entre les deux hommes, partageant vin et discussions sur l'état du monde. Il traduit à la fois l'admiration de Liu Guo pour la stature de son ami, et son propre détachement croissant face aux honneurs officiels, lui préférant désormais la liberté des rivières et montagnes.

À travers des descriptions minutieuses de scènes matinales et de méditations sur le temps qui passe, le poème chante surtout l'idéal d'une "retraite dans les lacs et rivières", incarnant l'aspiration des lettrés des Song à une existence libre malgré les turbulences de l'époque.

Premier distique : « 林雾霏霏晓意凉,野栀才放已传香。 »
Lín wù fēi fēi xiǎo yì liáng, yě zhī cái fàng yǐ chuán xiāng.

"Brouillard forestier, bruine matinale,
Fraîcheur de l'aube ;
Gardenias sauvages à peine éclos
Déjà parfument l'air."

Ce distique d'ouverture peint la sérénité d'une forêt matinale à travers trois sensations : visuelle ("brouillard"), tactile ("fraîcheur") et olfactive ("parfum"). "Bruine matinale" (霏霏) capture la texture fine du brouillard tout en situant la scène à l'aube. Les "gardenias sauvages" symbolisent une beauté naturelle, non cultivée, reflétant l'attrait du poète pour une vie simple et authentique.

Second distique : « 幸哉世事日相远,怪底时情老更狂。 »
Xìng zāi shì shì rì xiāng yuǎn, guài dǐ shí qíng lǎo gèng kuáng.

"Heureux ! Les affaires mondaines
S'éloignent jour après jour ;
Déconcertant comment les passions du temps
Deviennent plus folles avec l'âge."

Transition vers une réflexion intérieure. "Heureux !" exprime un soulagement sincère face au détachement progressif des vanités mondaines, tandis que "déconcertant" introduit une critique acerbe des élites vieillissantes toujours avides de gloire et de richesse. Le contraste entre sagesse croissante et folie persistante révèle le dégoût du poète pour les mœurs contemporaines.

Troisième distique : « 腊蚁三杯浮重碧,春膏一幅砑轻黄。 »
Là yǐ sān bēi fú zhòng bì, chūn gāo yī fú yà qīng huáng.

"Fourmi hivernale après trois coupes -
Flottant, lourde de jade ;
Papier de printemps étiré -
Fine transparence jaune."

Ces métaphores complexes opposent deux états : la "fourmi hivernale" alourdie par le vin symbolise l'engourdissement dans les affaires mondaines, tandis que le "papier de printemps" incarne la finesse et la légèreté d'une existence libérée. Le jeu entre pesanteur ("lourde de jade") et délicatesse ("fine transparence") illustre la tension intérieure du poète.

Quatrième distique : « 何如放浪形骸外,尽乞江湖作醉乡。 »
Hé rú fàng làng xíng hái wài, jìn qǐ jiāng hú zuò zuì xiāng.

"Plutôt se libérer
Des entraves corporelles,
Faire des lacs et rivières
La patrie de l'ivresse."

L'apothéose du poème puise dans le taoïsme Zhuangzi ("libérer le corps") pour prôner une existence sans contraintes. "Patrie de l'ivresse" transforme le paysage aquatique en un idéal spirituel, où la liberté prime sur les attaches mondaines. Cette conclusion affirme avec force le choix d'une vie retirée.

Lecture globale

Ce poème progresse avec une logique impeccable : des scènes naturelles aux réflexions philosophiques, du constat sociétal à la résolution personnelle. Les images initiales de brouillard et de fleurs sauvages établissent une esthétique de simplicité rustique. Les distiques médians, oscillant entre soulagement et indignation, révèlent un esprit désabusé par les compromissions politiques. La conclusion, embrassant pleinement la retraite, accomplit cette trajectoire intellectuelle et émotionnelle.

Techniquement, l'œuvre illustre le meilleur de la poésie des Song du Sud : densité conceptuelle, économie verbale, et fusion du personnel et du politique. La référence implicite à Xin Qiji ("Vieux Libertin") ajoute une dimension intertextuelle, situant Liu Guo dans une lignée de lettrés contestataires.

Spécificités stylistiques

  • Dichotomie structurelle
    Alternance entre descriptions objectives (brouillard, fleurs) et subjectives (réflexions, critiques).
  • Métaphores alchimiques
    Transformation des éléments (vin en jade, papier en lumière) pour symboliser l'évolution spirituelle.
  • Rythme binaire
    Chaque distique forme une unité thématique autonome tout en contribuant à la progression d'ensemble.
  • Intertextualité philosophique
    Résonances avec Zhuangzi et la tradition taoïste de la "libération du corps".

Éclairages

Dans notre époque de surstimulation et d'engagements multiples, ce poème offre un antidote précieux. Il rappelle que le détachement n'est pas fuite, mais recentrage ; que la critique sociale peut s'exprimer par le retrait autant que par l'engagement. La "patrie de l'ivresse" n'est pas une évasion alcoolique, mais une métaphore de la liberté intellectuelle - pertinente à l'ère des réseaux sociaux et des opinions formatées.

Pour les créateurs contemporains, l'œuvre démontre comment concilier critique sociale et expression poétique, comment transformer l'indignation en vision artistique. Enfin, elle célèbre cette vérité intemporelle : parfois, le geste le plus radical est de simplement tourner le dos.

À propos du poète

Liu Guo

Liu Guo (刘过 1154 - 1206) , originaire de Taihe dans le Jiangxi, fut un poète ci de l'École Héroïque et Délibérée (haofang pai) sous la dynastie Song du Sud. Bien que demeuré roturier sa vie durant, errant entre fleuves et lacs, il fréquenta des géants littéraires comme Lu You et Xin Qiji. Ses ci débordent de passion héroïque, tandis que sa poésie affiche vigueur et force. Stylistiquement proche de Xin Qiji mais encore plus audacieux, Liu Guo devint une figure centrale parmi les disciples poétiques de Xin.

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