La lune claire effraie les corbeaux, ils ne peuvent se poser ;
La clepsydre s'épuise, la poulie gémit sur le puits doré.
Réveillée, ses yeux brillent d'un éclat limpide,
Les larmes tombent, rougissant l'oreiller de soie froide.
Main dans la main, le vent glacé disperse nos cheveux.
Hésitant à partir,
Les mots d'adieu sont trop douloureux.
Sur la tour, la Grande Ourse penche au loin,
La rosée glace, elle est partie, les coqs répondent au matin.
Poème chinois
「蝶恋花 · 秋思」
月皎惊乌栖不定,更漏将残,轣辘牵金井。
唤起两眸清炯炯,泪花落枕红绵冷。执手霜风吹鬓影。去意徊徨,别语愁难听。
周邦彦
楼上阑干横斗柄,露寒人远鸡相应。
Explication du poème
Ce ci fut composé sous le règne de Yuanyou (1086-1094) de l'empereur Zhezong des Song, alors que Zhou Bangyan, en voyage loin de chez lui, se préparait à un départ matinal et écrivit cette œuvre pour exprimer ses sentiments. La note "départ matinal" précise le moment et la situation : la nuit d'automne touche à sa fin, le voyageur est éveillé, et l'émotion de la séparation est à son comble. Sans exprimer directement ses sentiments, le poème dépeint avec minutie les scènes et les sons avant et après les adieux, révélant la tristesse du départ. Bien qu'aucun mot ne mentionne explicitement la "mélancolie", chaque vers est imprégné d'émotion, faisant de ce poème un chef-d'œuvre de Zhou Bangyan où paysages et sentiments s'entrelacent avec une structure exquise.
Première strophe : « 月皎惊乌栖不定,更漏将残,轣辘牵金井。唤起两眸清炯炯,泪花落枕红绵冷。 »
Yuè jiǎo jīng wū qī bù dìng, gēng lòu jiāng cán, lì lù qiān jīn jǐng. Huàn qǐ liǎng móu qīng jiǒng jiǒng, lèi huā luò zhěn hóng mián lěng.
"La lune brillante effraie les corbeaux, les empêchant de se percher ;
La clepsydre est sur le point de s'épuiser, la poulie du puits grince.
Elle est réveillée, ses yeux clairs et brillants,
Ses larmes tombent sur l'oreiller de soie rouge, laissant un froid glacial."
Cette strophe capture l'atmosphère d'une nuit d'automne avant la séparation : la "lune brillante", les "corbeaux effrayés" et la "clepsydre presque vide" évoquent le calme et l'inquiétude de l'aube naissante. Les "larmes sur l'oreiller rouge" déplacent la scène vers l'intérieur, dépeignant une femme éveillée toute la nuit, les larmes trempant l'oreiller. L'émotion n'est pas exprimée directement mais transmise à travers des images subtiles, rendant le tout particulièrement poignant.
Deuxième strophe : « 执手霜风吹鬓影。去意徊徨,别语愁难听。楼上阑干横斗柄,露寒人远鸡相应。 »
Zhí shǒu shuāng fēng chuī bìn yǐng. Qù yì huái huáng, bié yǔ chóu nán tīng. Lóu shàng lán gān héng dǒu bǐng, lù hán rén yuǎn jī xiāng yìng.
"Nos mains jointes, le vent glacé souffle sur nos tempes ;
Hésitant à partir, les mots d'adieu sont trop douloureux à entendre.
De la balustrade à l'étage, la Grande Ourse s'incline,
La rosée est froide, la personne s'éloigne, les coqs se répondent."
Cette strophe passe des adieux à la séparation, avec une émotion qui s'intensifie progressivement. "Mains jointes" et "hésitation" capturent l'instant suspendu avant le départ, tandis que "les mots d'adieu sont trop douloureux" exprime l'étouffement des sentiments. "La Grande Ourse s'incline", "la rosée froide" et "les coqs qui se répondent" créent une atmosphère matinale solitaire, concluant le poème avec une résonance durable.
Lecture globale
Ce ci utilise le cadre d'un départ matinal pour exprimer la tristesse de la séparation à travers deux moments charnières : "la nuit avant l'aube" et "l'instant avant l'adieu". Aucune ligne ne mentionne explicitement la "tristesse", mais chaque vers construit une atmosphère mélancolique, à la fois réservée et émouvante. Des corbeaux effrayés par la lune et la clepsydre qui s'épuise, aux mains jointes dans le vent glacé et aux coqs qui appellent à l'aube, le poème mêle actions réelles et flux émotionnels. Bien que les personnages parlent peu, les larmes sur l'oreiller, les mains jointes et les mots inaudibles révèlent une profonde affection dans le silence. La ligne finale, "la rosée est froide, la personne s'éloigne, les coqs se répondent", est particulièrement remarquable, utilisant une perspective lointaine pour laisser l'émotion suspendue entre la lumière de l'aube et le chant des coqs, à la fois éthérée et profondément résonnante.
Spécificités stylistiques
- Structure serrée, transitions fluides : Les deux strophes s'enchaînent naturellement, liant la nuit et l'aube, avant et après la séparation, intégrant la narration dans l'émotion et transférant les sentiments dans le paysage.
- Détails minutieux, émotion dans le paysage : Des éléments comme "la poulie du puits", "les larmes sur l'oreiller" et "le vent soufflant sur les tempes" capturent toute la tristesse de la séparation. Les verbes "réveiller" et "joindre les mains" soulignent l'intimité entre les personnages.
- Utilisation des sons et des images, création d'atmosphère : La lune, les corbeaux, la clepsydre, le puits et les coqs sont des éléments sensoriels concrets qui forment non seulement une image mais renforcent également l'émotion, ajoutant réalisme et puissance émotionnelle.
- Langage réservé, allusions naturelles : Sans ornements excessifs, chaque ligne est concise, le langage est clair et naturel mais riche en émotion, représentant un exemple rare dans l'œuvre de Zhou Bangyan où "la simplicité surpasse la richesse".
Éclairages
Les émotions les plus profondes n'ont souvent pas besoin d'être exprimées directement. Pour transmettre des sentiments, s'appuyer sur des descriptions minutieuses de paysages, d'actions et d'ambiances peut toucher davantage. Comme ce ci, qui utilise la lune matinale, la clepsydre, la poulie du puits et les mains jointes pour dépeindre couche par couche la tristesse de la séparation, permettant aux lecteurs de ressentir le poids de l'affection dans le silence. Dans l'écriture, utiliser le paysage pour refléter l'émotion, combiner réel et imaginaire, et conclure avec une réserve sont des techniques raffinées qui méritent d'être étudiées et apprises.
À propos du poète
Zhou Bangyan (周邦彦, 1056 - 1121), originaire de Qiantang (Hangzhou), fut le grand synthétiseur du lyrisme retenu des Song du Nord. Ses poèmes, d'une richesse ornementale et d'une perfection formelle, inventèrent des dizaines de nouveaux tons et mètres. Consacré "couronne des poètes lyriques", il influença profondément Jiang Kui et Wu Wenying, devenant le maître fondateur de l'école du mètre rigoureux.