Cueilleuse de Mûres : Perdue devant les Fleurs de Feng Yansi

cai sang zi · hua qian shi que you chun lv
Devant les fleurs, j’ai perdu mon compagnon de printemps,
Je cherche seule les parfums.
Tout n’est que désolation,
Même les flûtes et chants me brisent le cœur.

Dans les bois, les papillons jouent,
Derrière les rideaux, les hirondelles vont par deux —
Tous sont en couple.

Comment supporter ces pensées ?
Les arbres verts et les mousses sous le soleil déclinant.

Poème chinois

「采桑子 · 花前失却游春侣」
花前失却游春侣,独自寻芳。
满目悲凉。纵有笙歌亦断肠。
林间戏蝶帘间燕,各自双双。
忍更思量,绿树青苔半夕阳。

冯延巳

Explication du poème

Ce poème lyrique (ci) de Feng Yansi, éminent poète des Tang du Sud, prend pour cadre une excursion printanière pour dépeindre la solitude et la mélancolie après la perte d'un être cher. À travers le regard d'un protagoniste errant seul dans les paysages printaniers, l'œuvre tisse une toile poignante où descriptions scéniques et émotions intimes fusionnent en une vision élégiaque d'une grande authenticité.

Première strophe : « 花前失却游春侣,独自寻芳。满目悲凉。纵有笙歌亦断肠。 »
Huā qián shī què yóu chūn lǚ, dú zì xún fāng. Mǎn mù bēi liáng. Zòng yǒu shēng gē yì duàn cháng.

"Devant les fleurs, j'ai perdu ma compagne d'excursion printanière,
Je cherche seul les parfums.
Un paysage de tristesse à perte de vue.
Même les mélodies de flûte et chants me brisent le cœur."

Cette strophe campe d'emblée la solitude du promeneur. "Perdu ma compagne" révèle le noyau émotionnel - le chagrin de la séparation. "Paysage de tristesse" oppose brutalement la beauté printanière objective et la mélancolie subjective. "Même les mélodies…", par un contraste saisissant, montre comment les joies environnantes (musique, chants) ne font qu'exacerber la douleur, révélant une intensité affective d'autant plus forte qu'elle est contenue.

Seconde strophe : « 林间戏蝶帘间燕,各自双双。忍更思量,绿树青苔半夕阳。 »
Lín jiān xì dié lián jiān yàn, gè zì shuāng shuāng. Rěn gèng sī liang, lǜ shù qīng tái bàn xī yáng.

"Dans les bois, papillons joueurs ; sous les rideaux, hirondelles,
Chacun va par deux.
Comment supporter ces pensées ?
Arbres verts, mousses, et le soleil déclinant à demi."

La strophe approfondit le thème par des images naturelles contrastées. Les papillons et hirondelles "allant par deux" soulignent cruellement l'isolement du poète. "Comment supporter…" traduit l'explosion d'une douleur jusqu'alors refoulée. La conclusion "arbres verts… soleil déclinant" peint un crépuscule printanier où la sérénité apparente ("arbres verts") est minée par la mélancolie ("soleil déclinant"), synthétisant en une image finale toute l'ambiguïté douloureuse du poème.

Lecture globale

Ce poème maîtrise l'art du contraste entre paysages joyeux et sentiments sombres. La première strophe, centrée sur "l'absence de compagne", utilise les plaisirs sensoriels (fleurs, musique) comme repoussoirs à la tristesse. La seconde strophe accentue ce procédé par les images d'animaux en couple, avant de résoudre cette tension dans le calme trompeur d'un crépuscule verdoyant. Sans effusion explicite, le poème suggère par accumulation d'images une douleur d'autant plus profonde qu'elle est mesurée.

Spécificités stylistiques

  • Ironie pastorale : Subversion systématique des topoï printaniers (fleurs, musique, animaux) en vecteurs de mélancolie.
  • Économie narrative : Une progression en deux mouvements (constat de solitude → exacerbation par les couples animaux) suffit à construire un arc émotionnel complet.
  • Imaginaire binaire : Jeu constant sur les oppositions (présence/absence, joie/mélancolie, mouvement/immobilité).
  • Classicisme allusif : Références discrètes aux motifs traditionnels (excursion printanière, crépuscule mélancolique) réinterprétés avec originalité.

Éclairages

Cette œuvre transcende son cadre historique pour parler à toutes les époques de la condition humaine face à la perte. Elle montre comment l'expérience du deuil transforme radicalement notre perception du monde - un printemps objectivement beau devient subjectivement "paysage de tristesse". Le poète nous enseigne aussi l'éloquence du non-dit : c'est par l'accumulation d'images apparemment neutres ("papillons", "arbres verts") que se révèle progressivement une douleur profonde. Une leçon de retenue et de puissance suggestive qui conserve toute sa pertinence dans l'expression contemporaine des émotions.

À propos du poète

Feng Yansi

Feng Yansi (冯延巳 903 - 960), prénom social Zhengzhong, originaire de Guangling (actuelle Yangzhou, Jiangsu), fut un célèbre poète de ci sous les Tang du Sud durant la période des Cinq Dynasties et Dix Royaumes. Nommé Vice-directeur gauche du Département des Affaires d'État (Zuo Puye Tongping Zhangshi), il jouit de la confiance absolue de l'empereur Li Jing. Ses ci tracèrent une nouvelle voie au-delà de la tradition Huajian, influençant directement des maîtres ultérieurs comme Yan Shu et Ouyang Xiu, jouant un rôle pivot dans la transition du ci d'"art des musiciens" vers "expression lettrée des fonctionnaires-érudits".

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