Mélancolie de Li Bai

yuan qing
La beauté déroule l’écran de cristal,
Assise dans l’ombre, ses arcs noirs se plissent.
Seules lustrent ses joues les stigmates des pleurs,
Qui sait à quel jaloux songe son cœur blessé ?

Poème chinois

「怨情」
美人卷珠帘,深坐蹙蛾眉。
但见泪痕湿,不知心恨谁?

李白

Explication du poème

Poème représentatif des thèmes de gynécée dans les quatrains pentasyllabiques de Li Bai, sa date exacte de composition est inconnue. Son style concis et suggestif illustre une autre facette de l’art poétique de Li Bai. Contrairement à ses œuvres héroïques et exubérantes, ce poème, d’un trait extrêmement sobre et d’un sens profond et délicat, capture un instant émotionnel classique, montrant l’extraordinaire capacité du poète à saisir la psychologie féminine subtile.

Premier couplet : « 美人卷珠帘,深坐蹙蛾眉。 »
Měirén juǎn zhūlián, shēn zuò cù éméi.
La beauté roule le store de perles,
S’assied au fond, fronce ses sourcils de phalène.

Dès l’ouverture, deux actions successives plongent instantanément le lecteur dans un espace clos et plein de tension. « Rouler le store de perles » est un geste chargé d’attente, peut-être pour regarder au loin, peut-être un acte d’ennui inconscient. Mais l’attente déçue devient « s’asseoir au fond » ; « au fond » évoque à la fois la profondeur du lieu et la profondeur de sa méditation. « Froncer ses sourcils de phalène » extériorise en une expression tangible le chagrin intérieur. Trois images (beauté, store de perles, sourcils de phalène) et trois actions (rouler, s’asseoir, froncer) construisent en dix caractères une scène complète et une ligne narrative claire.

Deuxième couplet : « 但见泪痕湿,不知心恨谁? »
Dàn jiàn lèi hén shī, bù zhī xīn hèn shéi?
On ne voit que la trace humide de ses larmes,
On ignore de qui son cœur s’irrite.

Les deux derniers vers passent de l’action extérieure à une observation plus subtile. « On ne voit que » et « on ignore » forment un contraste ingénieux de la perception. L’observateur (le poète ou le lecteur) peut voir le résultat de l’émotion (trace humide des larmes), mais ne peut en connaître la direction exacte. La question « de qui son cœur s’irrite » est l’âme du poème. « S’irrite contre » (恨) n’est pas une haine pure, mais une émotion complexe née d’un amour extrême devenu ressentiment, d’une attente tournée en agacement. En ne pointant pas directement l’objet de ce « ressentiment » (l’amant parti au loin ? l’amant infidèle ? le destin impitoyable ?), le poème ouvre soudain l’espace émotionnel, pouvant contenir d’innombrables histoires et échos possibles.

Analyse globale

Le charme artistique de ce petit poème réside dans son « immense réserve et sa précise immobilisation ». Tel un peintre accompli, le poète ne capture qu’un instant, le plus riche de potentialités, dans la vague émotionnelle — la déception après avoir roulé le store dans l’attente, la solitude de la longue assise, l’amertume des sourcils froncés dans la méditation, la tristesse des larmes pas encore séchées, et finalement toute cette émotion condensée en un insoluble « ressentiment ». Aucun mot ne dit l’« amertume », mais partout est l’amertume ; aucun mot n’évoque la « nostalgie », mais chaque phrase est nostalgie.

Le poème adopte la progression classique « du mouvement au calme, de l’extérieur à l’intérieur » : de l’action physique (rouler le store), à la posture statique (s’asseoir au fond), puis à l’expression faciale (froncer les sourcils, trace de larmes), pour finalement pointer directement l’intérieur invisible (de qui s’irrite le cœur). Cette écriture qui progresse en profondeur guide le lecteur de l’observateur à celui qui partage l’émotion. La question ouverte du dernier vers élève le poème de la description d’une personne, d’un événement, à une touche profonde d’un état émotionnel humain universel, gagnant ainsi une vitalité artistique qui transcende le temps et l’espace.

Caractéristiques stylistiques

  • Description sobre et puissance du détail : Pure description sobre, sans allusions, sans ornements, seulement quelques verbes (« rouler », « s’asseoir », « froncer », « humide ») et noms (« store de perles », « sourcils de phalène », « trace de larmes ») font surgir le personnage, montrant une expressivité étonnante de « saisir directement ce qu’on voit ».
  • Art de la conclusion à suspense : « On ignore de qui son cœur s’irrite » conclut par une question, laissant en suspens, créant un fort suspense artistique. Cette incertitude stimule davantage l’imagination et la réflexion du lecteur que désigner l’objet, atteignant l’effet de « sans écrire un seul mot, obtenir tout le charme ».
  • Espace clos et diffusion de l’émotion : La scène se limite à l’intérieur du « store de perles », espace étroit, mais le « ressentiment » du personnage, du fait de l’inconnu de son objet, devient sans limites, formant un contraste puissant entre petit espace et grande émotion.
  • Profonde saisie de la psychologie féminine : Li Bai capture avec justesse l’état psychologique complexe entrelacé dans l’amertume de gynécée : « amour – attente – ressentiment – irritation », et le condense en une scène immobile, montrant sa perspicacité profonde de l’aspect délicat des émotions humaines.

Éclairages

Ce poème est comme une petite fenêtre nous laissant entrevoir dans le monde des émotions humaines ces soucis subtils, indicibles et sans lieu où se poser. Il nous dit que les émotions les plus profondes ne sont souvent pas bruyantes, mais silencieuses ; pas claires, mais floues. L’énigme de la beauté « s’irritant contre qui » est peut-être l’expérience que chacun a eue à un moment — une mélancolie inexplicable, une perte sans direction définie, un nœud d’amour et de ressentiment.

Dans notre monde actuel qui recherche l’efficacité et vénère la clarté, ce poème nous rappelle de chérir et de comprendre ces parts des émotions difficiles à nommer, impossibles à attribuer simplement. Il nous enseigne que la vraie empathie ne réside pas toujours dans la résolution des problèmes, mais dans le respect et l’accompagnement de cette complexité et vérité du « on ignore de qui son cœur s’irrite ». Cette profonde représentation et ce respect des recoins subtils de l’humanité sont précisément, au-delà de l’héroïsme, l’autre force touchante de la poésie de Li Bai.

À propos du poète

Li Bai

Li Bai (李白), 701 - 762 apr. Li Bai a porté la poésie chinoise classique, en particulier la poésie romantique, à son apogée et a influencé des générations de lettrés exceptionnels dans le passé et le présent grâce à ses remarquables réalisations.

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