Je traverse les bas-fonds du mont Wu,
Je grappe l’antique terrasse Yangtai.
Au ciel, les nuages aux couleurs vives se dissipent ;
Sur terre, la brise pure vient de loin.
La Déesse est partie depuis longtemps,
Où est le Roi de Xiang, à présent ?
La licence et la débauche ont conduit à leur chute,
Bûcherons et pâtres ne peuvent que se lamenter en vain.
Poème chinois
「古风 · 我行巫山渚」
我行巫山渚,寻登古阳台。
天空彩云灭,地远清风来。
神女去已久,襄王安在哉!
荒淫竟沦替,樵牧徒悲哀。
Explication du poème
Ce poème fut composé par Li Bai durant les dernières années du règne de l'empereur Xuanzong des Tang. En évoquant la légende de la Déesse du mont Wu et du roi Xiang de Chu, le poète utilise le passé pour critiquer le présent, exprimant sa réprobation face à un souverain absorbé par les plaisirs et négligeant les affaires de l'État. La légende de la Déesse, issue Rhapsodie de Gaotang et Rhapsodie de la Déesse de Song Yu (époque des Royaumes combattants), raconte les rencontres oniriques entre le roi Xiang et la déesse. Ce thème devint ensuite, pour les lettrés, un symbole de la critique des souverains oublieux de leurs devoirs. En visitant la terrasse solaire (阳台) du mont Wu, Li Bai, tout en commémorant le passé, vise en réalité Xuanzong, épris de sa concubine Yang Guifei et livré aux plaisirs, affaiblissant l'État et préparant le terrain à la révolte d'An Lushan.
Premier couplet : « 我行巫山渚,寻登古阳台。 »
Wǒ xíng Wūshān zhǔ, xún dēng gǔ yángtái.
Errant sur les rives du mont Wu, je gravis l'antique terrasse solaire.
Cette ouverture narrative, bien que simple, recèle une intention profonde. « Errant » jusqu'aux rives du mont Wu est une arrivée physique ; « gravir » la terrasse solaire est une quête spirituelle délibérée. Le mont Wu et la terrasse solaire, liés à la légende de Song Yu, sont depuis longtemps des symboles culturels de romance et de désillusion. Le geste de Li Bai n'est pas une simple visite, mais un rituel de dialogue actif avec l'histoire, établissant le ton d'une méditation nostalgique et critique, ouvrant la voie à l'expression des soucis patriotiques et du sentiment de vanité.
Deuxième couplet : « 天空彩云灭,地远清风来。 »
Tiānkōng cǎiyún miè, dì yuǎn qīngfēng lái.
Au ciel, les nuages de pourpre s'éteignent ; de la terre lointaine, une brise pure arrive.
Ce couplet est une transition clé dans l'ambiance et l'émotion, créant un contraste subtil entre présent et passé. Les « nuages de pourpre » sont le cœur poétique : à la fois paysage réel et incarnation de la déesse « nuage le matin, pluie le soir », ils symbolisent toute la splendeur, les rêves et la beauté. Le mot « s'éteignent », froid et catégorique, annonce la fin de tout rêve. Survient alors la « brise pure » qui balaie le faste, apportant la lucidité du réel et un immense sentiment de vide. Le passage de « s'éteignent » à « arrive » n'est pas seulement un changement de paysage, mais aussi le reflet d'un état d'esprit passant de l'évocation historique à la froide réalité, préparant pleinement l'expression des sentiments suivante.
Troisième couplet : « 神女去已久,襄王安在哉! »
Shénnǚ qù yǐ jiǔ, Xiāng wáng ān zài zāi!
La Déesse est partie depuis longtemps ; le roi Xiang, où est-il à présent ?
L'émotion du poète éclate ici en deux questions cinglantes adressées à l'histoire. « La Déesse est partie depuis longtemps » fait suite à « les nuages de pourpre s'éteignent », confirmant la vanité du mythe ; « le roi Xiang, où est-il ? » vise directement le pouvoir réel. Le souverain jadis tout-puissant, comme le mythe splendide, a été englouti par le temps sans laisser de trace. Ces questions vont au-delà de la simple nostalgie, contenant un avertissement aux dirigeants contemporains : en quoi Xuanzong, épris des charmes de sa concubine et des plaisirs, est-il différent du roi Xiang d'antan, et quel sera son destin ?
Quatrième couplet : « 荒淫竟沦替,樵牧徒悲哀。 »
Huāngyín jìng lún tì, qiáo mù tú bēi'āi.
La débauche mène à la chute ; bûcherons et pâtres n'ont que de vains gémissements.
Le couplet final est la conclusion historique du poète, aux paroles acérées et à la portée élevée. « Débauche » et « chute » forment une relation de cause à effet claire, révélant ce que le poète perçoit comme l'essence de la rise et chute des dynasties, réponse directe à l'allusion précédente. « Bûcherons et pâtres n'ont que de vains gémissements » est riche de sens : ces gens du peuple, ultimes victimes des changements historiques, éprouvent une douleur réelle et profonde ; mais le mot « vains » exprime leur impuissance — incapables de changer le cours de l'histoire ou de réveiller les souverains plongés dans les plaisirs, leurs lamentations ne sont qu'un long soupir pour la postérité. Cela ajoute une froideur critique à la fin du poème, au-delà de la compassion.
Lecture globale
Ce poème, prenant pour prétexte l'ascension du mont Wu et l'évocation du passé, utilise la légende de la Déesse et du roi Xiang de Chu pour critiquer le présent, exprimant l'inquiétude face aux souverains qui, par leur débauche, nuisent à l'État. Le poète passe du paysage à l'émotion, décrivant d'abord ce qu'il voit et ressent sur la terrasse solaire, puis évoquant la disparition de la Déesse et du roi Xiang pour critiquer la débauche des empereurs, concluant que la douleur du peuple est vaine après la chute de la dynastie. Le poème est profondément allégorique, visant non seulement Xuanzong et Yang Guifei, mais révélant aussi le cycle historique où les souverains négligent les affaires de l'État, conduisant au déclin du pays.
Spécificités stylistiques
- Critique du présent par l'antiquité, signification profonde : Le poète utilise la légende de la Déesse pour viser le présent, comparant la débauche du roi Xiang à celle de Xuanzong, dans une satire mordante.
- Procédé interrogatif, renforcement de l'émotion : « La Déesse est partie depuis longtemps ; le roi Xiang, où est-il à présent ? » rend l'émotion plus intense et renforce les sentiments sur les vicissitudes historiques.
- Union du réel et de l'irréel, fort symbolisme : « Les nuages de pourpre s'éteignent » symbolise l'effondrement des rêves, « une brise pure arrive » symbolise la froide réalité ; le contraste approfondit la poésie.
- Langage concis, style austère : Les vers sont simples mais chargés d'une sensation de vicissitudes historiques, particulièrement « bûcherons et pâtres n'ont que de vains gémissements », qui adopte le point de vue du peuple pour refléter les changements de dynastie, ajoutant réalisme et tragique.
Éclairages
Ce poème, à travers les leçons de l'histoire, avertit que si un souverain se livre aux plaisirs et néglige le gouvernement, il conduit inévitablement au déclin du pays. Li Bai, utilisant la légende de la Déesse du mont Wu, critique Xuanzong, lançant un sérieux avertissement contre la débauche nuisible à l'État. Les rises et chutes de l'histoire ne sont pas fortuites mais suivent des lois ; le poète, utilisant le passé comme miroir, exhorte les générations suivantes à en tirer lesson. Cet avertissement s'adresse non seulement aux souverains féodaux, mais invite aussi à réfléchir : la recherche des plaisirs mène inévitablement au jugement de l'histoire, et la seule voie durable réside dans un gouvernement assidu et centré sur le peuple.
À propos du poète

Li Bai (李白), 701 - 762 apr. Li Bai a porté la poésie chinoise classique, en particulier la poésie romantique, à son apogée et a influencé des générations de lettrés exceptionnels dans le passé et le présent grâce à ses remarquables réalisations.