Dans la forêt profonde, le chemin tourne,
Un coq chante à midi —
Je sais qu’une famille vit au-delà du ruisseau.
Un vallon rougeoyant s’agite, le printemps s’éveille,
L’enseigne du vin pend à l’ouest des fleurs d’abricotier.
Poème chinois
「村店」
刘过
林深路转午鸡啼,知有人家住隔溪。
一坞闹红春欲动,酒帘正在杏花西。
Explication du poème
Liu Guo, bien que n'ayant jamais occupé de fonction officielle, portait constamment son pays dans son cœur. Ses œuvres, souvent empreintes de préoccupations patriotiques et de descriptions paysagères, reflètent une profonde sensibilité. Ce poème, originellement intitulé Excursion printanière, capture ses réflexions sur la vie rurale lors de ses voyages. Loin des envolées lyriques grandioses, il révèle, à travers des descriptions minutieuses, une appréciation subtile de l'existence ordinaire et des émotions intimes du poète. D'une simplicité naturelle et d'une langue claire, ce poème compte parmi ses œuvres les plus pastorales.
Premier vers : « 林深路转午鸡啼,知有人家住隔溪。 »
Lín shēn lù zhuǎn wǔ jī tí, zhī yǒu rén jiā zhù gé xī.
"Forêt profonde, sentier sinueux,
Au midi, un coq chante -
Je sais qu'au-delà du ruisseau,
Une maison se cache."
Ces deux vers esquissent un paysage montagnard reculé à travers "forêt profonde" et "sentier sinueux". Le "chant du coq à midi", détail inhabituel, rompt le silence avec une note de vie quotidienne, révélant une présence humaine sans la montrer. Le poète, guidé par l'ouïe, déduit l'existence d'un foyer derrière le cours d'eau - approche indirecte et pourtant visuellement évocatrice, d'une poésie rare.
Second vers : « 一坞闹红春欲动,酒帘正在杏花西。 »
Yī wù nào hóng chūn yù dòng, jiǔ lián zhèng zài xìng huā xī.
"Dans le vallon, rougeoiement turbulent -
Le printemps s'apprête à bondir.
À l'ouest des fleurs d'abricotier,
Flotte une enseigne de tavernier."
"Vallon" désigne ici un creux montagneux, théâtre de l'éclosion printanière. "Rougeoiement turbulent" peint une floraison exubérante, tandis que "printemps s'apprête à bondir" dynamise la scène, comme si la saison elle-même jaillissait du paysage. "Enseigne de tavernier" concrétise l'allusion précédente à l'habitation, avec une vivacité particulière. La mention "à l'ouest des fleurs d'abricotier" évoque, sans imitation, l'atmosphère du Village aux fleurs d'abricotier de Du Mu, tout en cultivant une quiétude naturelle.
Lecture globale
En vingt caractères seulement, ce poème déploie une progression cinématographique : de la découverte auditive d'un hameau à la vision d'un printemps exuberant. Le premier distique, suggérant la présence humaine par un chant de coq, agit comme une révélation subtile ; le second, dépeignant fleurs et enseigne de vin, peuple le paysage avec une grâce spontanée.
L'œuvre joue sur les contrastes : forêt silencieuse contre coq chantant, ruisseau séparateur contre enseigne accueillante. Scènes et personnages s'entrelacent sans que le plaisir de l'excursion ne soit nommé, mais partout présent. Liu Guo, habituellement associé à un lyrisme véhément, révèle ici un versant paisible et délicat de son talent, attestant de l'étendue de son registre poétique.
Spécificités stylistiques
- Suspense initial, paysage par le son
Le "chant du coq" perce la solitude, guidant l'imagination visuelle - innovation magistrale. - Fluidité picturale, sens de l'espace
"Forêt profonde", "vallon florissant", "ouest des abricotiers" créent un mouvement de travelling poétique. - Allusions discrètes
L'évocation du Village aux fleurs d'abricotier de Du Mu est implicite, transformée en une scène originale. - Langage limpide, atmosphère éthérée
Une économie de moyens au service d'une esthétique du quotidien, typique de l'idéal "élégance accessible" des Song tardifs.
Éclairages
Ce poème illustre une vertu littéraire essentielle : révéler l'universel dans le particulier. Un chant de coq, une enseigne flottante, des fleurs d'abricot suffisent au poète pour évoquer un monde de sensations. Il nous rappelle que la poésie ne réside pas seulement dans les grands paysages ou les nobles causes, mais aussi dans les microcosmes ruraux.
Que Liu Guo, en pleine période troublée, ait composé une telle œuvre sereine, témoigne de sa capacité à préserver une tendresse intacte malgré les tourments. Cette dualité nous invite, à notre tour, à cultiver ces "ouest des abricotiers" intimes - ces espaces de beauté resilient au cœur des tempêtes existentielles.
À propos du poète
Liu Guo (刘过 1154 - 1206) , originaire de Taihe dans le Jiangxi, fut un poète ci de l'École Héroïque et Délibérée (haofang pai) sous la dynastie Song du Sud. Bien que demeuré roturier sa vie durant, errant entre fleuves et lacs, il fréquenta des géants littéraires comme Lu You et Xin Qiji. Ses ci débordent de passion héroïque, tandis que sa poésie affiche vigueur et force. Stylistiquement proche de Xin Qiji mais encore plus audacieux, Liu Guo devint une figure centrale parmi les disciples poétiques de Xin.