La Coupe d'Émeraude de He Zhu

qing yu an · ling bo bu guo heng tang lu
Je ne trouve plus ses traces au bord de l’onde
Dès son départ
Dans le brouillard.
Avec qui passe-t-elle
Ses années belles

Que la musique de la flûte inonde?
Sous la lune ou sur le pont,
Dans la cour ou parmi les fleurs,
Ou dans une belle maison
Qui abonde
En bonheur
Connu seulement
Au printemps?

Les nues survolent la campagne avec lenteur;
Ma plume écrit des vers à briser le cœur.
Sait-on à quoi ressemble mon ennui?
Au champ brumeux,
Au ciel de chatons de saule neigeux,
Ou à la pluie qui jaunit les fruits.

Poème chinois

「青玉案 · 凌波不过横塘路」
凌波不过横塘路,但目送、芳尘去。锦瑟华年谁与度?月桥花院,琐窗朱户,只有春知处。
飞云冉冉蘅皋暮,彩笔新题断肠句。试问闲情都几许?一川烟草,满城风絮,梅子黄时雨。

贺铸

Explication du poème

Ce ci fut composé par He Zhu durant ses dernières années de retraite à Suzhou. À cette époque, désillusionné par une carrière officielle décevante et vivant dans la solitude, le poète utilise le paysage du printemps déclinant comme toile de fond pour exprimer, à travers la rencontre fortuite avec une beauté et son souvenir ultérieur, une profonde nostalgie amoureuse teintée de mélancolie existentielle. En surface, le poème chante l'amour ; en réalité, il donne voix à l'amertume d'un talent méconnu et aux années gaspillées.

Première strophe : « 凌波不过横塘路,但目送、芳尘去。锦瑟华年谁与度?月桥花院,琐窗朱户,只有春知处。 »
Líng bō bù guò Héngtáng lù, dàn mù sòng, fāng chén qù. Jǐn sè huá nián shuí yǔ dù ? Yuè qiáo huā yuàn, suǒ chuāng zhū hù, zhǐ yǒu chūn zhī chù.
Ses pas légers effleurent Hengtang sans s'y arrêter,
Je ne puis que suivre des yeux sa poussière parfumée qui s'éloigne.
À qui confiera-t-elle ses années de soie et de musique ?
Le pont en croissant, la cour fleurie,
Les fenêtres ouvragées, les portes vermillon -
Le printemps seul connaît sa demeure.

Le poète dépeint la beauté à travers les métaphores des "pas légers" (líng bō, évoquant la démarche d'une déesse) et de la "poussière parfumée", créant une image d'une élégance éthérée mais empreinte de mélancolie. La question rhétorique "À qui confiera-t-elle ses années de soie et de musique ?" exprime le regret poignant de ne pouvoir partager la fleur de sa jeunesse. La phrase finale "Le printemps seul connaît sa demeure" transforme cette admiration en une quête métaphysique, rendant l'objet du désir à la fois présent et insaisissable.

Deuxième strophe : « 飞云冉冉蘅皋暮,彩笔新题断肠句。试问闲情都几许?一川烟草,满城风絮,梅子黄时雨。 »
Fēi yún rǎn rǎn héng gāo mù, cǎi bǐ xīn tí duàn cháng jù. Shì wèn xián qíng dōu jǐ xǔ ? Yī chuān yān cǎo, mǎn chéng fēng xù, méi zǐ huáng shí yǔ.
Nuages flottants sur les marais au crépuscule,
Mon pinceau coloré trace des vers à fendre l'âme.
Si tu demandes l'étendue de mon oisive mélancolie :
Une rivière d'herbe enfumée,
Une ville pleine de duvet de saule voltigeant,
La pluie qui tombe quand mûrissent les prunes jaunes.

Cette strophe opère une transition magistrale du paysage extérieur au paysage intérieur. Les "nuages flottants" et le "crépuscule" créent une atmosphère de fin de cycle, tandis que les "vers à fendre l'âme" révèlent l'intensité de la souffrance poétique. La réponse à la question sur la "mélancolie oisive" constitue un sommet de la poésie chinoise : He Zhu matérialise l'abstraction du chagrin à travers trois images naturelles superposées - l'herbe enfumée de la rivière, le duvet de saule envahissant la ville, et les pluies persistantes de la saison des prunes. Cette accumulation de métaphores crée une impression d'infini mélancolique, où le sentiment personnel se fond dans le rythme même de la nature.

Lecture globale

Ce ci dépeint une beauté extérieure tout en dissimulant des sentiments intérieurs. La première strophe exprime la mélancolie d'une rencontre printanière fortuite avec une belle femme, suivie d'une séparation sans retour, empreinte d'une nostalgie à la fois proche et lointaine. La seconde strophe, baignée de crépuscule et de pluie, révèle les « chagrins oisifs » accumulés dans la poitrine du poète. Ces chagrins ne sont pas ceux des amours contrariées, mais le reflet d'une vie de désillusions et de solitude. « Poussière parfumée », « années fastes de la cithare brodée », « nuages fugitifs sur les marais d'angélique », « une rivière d'herbe et de brume »… Chaque vers emprunte le paysage pour exprimer l'émotion, mêlant sentiments et scènes naturelles, créant une œuvre riche en images et d'une atmosphère éthérée, où la solitude intérieure est exprimée avec retenue et profondeur. Les trois derniers vers sont particulièrement évocateurs, comparant les « chagrins oisifs » à « l'herbe enfumée », « les chatons emportés par le vent » et « la pluie des saules jaunes », transformant ainsi des soucis abstraits en tableaux sensibles, à la fois visuels et poétiques, admirés depuis toujours.

Spécificités stylistiques

Ce ci privilégie l'écriture suggestive, utilisant avec talent l'imagination et les métaphores pour rendre tangibles les « chagrins oisifs », ces sentiments difficiles à définir. Le choix des mots est élégant et raffiné, avec des variations rythmiques et une sonorité puissante. La triple métaphore finale construit un monde poétique fluide, brumeux et chargé d'émotions, révélant l'exceptionnel talent artistique de He Zhu.

Éclairages

En surface, ce ci parle d'amour contrarié, mais il est en réalité une méditation sur le destin, le monologue intérieur d'un talent méconnu. Dans les bas-fonds de sa vie, le poète ne cède pas à la plainte directe, mais exprime ses sentiments à travers des images naturelles, illustrant la sagesse des lettrés anciens qui sublimaient l'art par l'émotion et exprimaient des pensées concrètes par des touches subtiles. Il nous rappelle que la littérature n'est pas seulement un outil d'expression, mais aussi une manière de transformer les tourments de l'âme en une forme de beauté artistique.

Traducteur de poésie

Xu Yuanchong(许渊冲)

À propos du poète

He Zhu (贺铸, 1052 - 1125), originaire de Huixian dans le Henan, est un poète de ci des Song du Nord. Issu de la noblesse mais confiné à des postes subalternes, son œuvre mêle le style haofang (libre et vigoureux) et wanyue (délicat et retenu), incarnant la diversité stylistique de l'âge d'or des ci des Song.

Total
0
Shares
Prev
Immortels au Pont des Pies de Qin Guan
que qiao xian · xian yun nong qiao

Immortels au Pont des Pies de Qin Guan

Les nues rivalisant d'adresse forment un pontPour unir des deux astres la

Next
Ciel de Perdrix de He Zhu
zhe gu tian · zhong guo chang men wan shi fei

Ciel de Perdrix de He Zhu

Tout change à Suzhou dont je repasse la porte: Venu avec ma femme, seul je m’en

You May Also Like