De toute ma vie, peu d’âmes furent aussi proches que la tienne,
C’est pourquoi tu sembles défier le temps.
Mais qui comprendrait ma mélancolie actuelle ?
On dit seulement que mon cœur n’est plus celui de la jeunesse.
Le vent printanier atteint enfin les chemins du sud,
Dans le pavillon, les fleurs s’épanouissent en profondeur.
Ce n’est pas la pivoine légendaire que je cherche,
Mais cette saveur d’autrefois, trop tenace pour être oubliée.
Poème chinois
「虞美人 · 平生臭味如君少」
平生臭味如君少。自是君难老。
似侬憔悴更谁知。
只道心情不似、少年时。春风也到江南路。小槛花深处。
吕本中
对人不是忆姚黄。
实是旧时风味、老难忘。
Explication du poème
Ce poème lyrique (ci) fut composé par Lü Benzhong, poète de la dynastie Song. Ayant vécu les guerres et les déplacements du début des Song du Sud, dans un contexte politique turbulent, Lü Benzhong connut les vicissitudes de la vie au fil des années. Lorsqu'il écrivit ce poème, il avait déjà dépassé la trentaine, sa jeunesse derrière lui, ayant traversé bien des épreuves, son état d'esprit s'était peu à peu apaisé. Le poème révèle des regrets face au passage des années et à la détérioration de son apparence, mêlés à la nostalgie et à l'attachement aux sentiments d'autrefois. Le poète exprime ses émotions à travers les paysages printaniers du Jiangnan et les saveurs du passé, évoquant à la fois la nostalgie de sa jeunesse et le soupir face à l'implacabilité du temps.
Première strophe : « 平生臭味如君少。自是君难老。似侬憔悴更谁知。只道心情不似、少年时。 »
Píng shēng chòu wèi rú jūn shǎo. Zì shì jūn nán lǎo. Sì nóng qiáo cuì gèng shéi zhī. Zhī dào xīn qíng bù sì, shào nián shí.
"Dans cette vie, les amis partageant mes affinités sont rares comme vous.
Naturellement, vous semblez à l'abri du vieillissement.
Mais qui comprendrait ma mine hâve et épuisée ?
Je dis seulement que mon cœur n'est plus comme au temps de ma jeunesse."
La première strophe commence par une réflexion sur soi et ses amis, avec "les amis partageant mes affinités sont rares comme vous" exprimant la rareté des âmes sœurs, puis "vous semblez à l'abri du vieillissement" mettant en contraste la prestance de l'autre avec sa propre situation. Ensuite, "ma mine hâve et épuisée" décrit directement l'état de vieillissement et de fatigue, faisant passer l'émotion de l'apparence à l'état d'esprit, pour finalement aboutir à "mon cœur n'est plus comme au temps de ma jeunesse", pointant le cœur du regret - la disparition des sentiments juvéniles.
Seconde strophe : « 春风也到江南路。小槛花深处。对人不是忆姚黄。实是旧时风味、老难忘。 »
Chūn fēng yě dào jiāng nán lù. Xiǎo kǎn huā shēn chù. Duì rén bú shì yì yáo huáng. Shí shì jiù shí fēng wèi, lǎo nán wàng.
"Le vent printanier atteint aussi les chemins du Jiangnan.
Dans la profondeur des fleurs près de la petite balustrade.
Je ne me souviens pas des pivoines Yao Huang en voyant les gens.
En réalité, c'est la saveur des temps passés que, vieux, je ne peux oublier."
La seconde strophe passe du vent printanier du Jiangnan aux fleurs profondes de la cour, utilisant le paysage pour évoquer des émotions. Les pivoines Yao Huang, fleurs nobles, symbolisent ici la beauté et la prospérité des temps florissants. Le poète dit qu'il ne se souvient pas seulement des fleurs, mais des jours de jeunesse et des sentiments d'autrefois - une empreinte de vie que même la vieillesse ne peut effacer.
Lecture globale
Le fond émotionnel du poème est le regret et la nostalgie. Lü Benzhong utilise les paysages printaniers du Jiangnan comme prétexte pour exprimer ses sentiments, opposant la disparition de la jeunesse et de la beauté à la permanence des sentiments passés. Le poème contient à la fois l'appréciation des amis proches et l'auto-dérision face à sa propre détérioration ; à la fois des paysages printaniers lumineux et la tristesse intérieure face à l'implacabilité du temps.
La première strophe se concentre sur l'analyse des sentiments intérieurs, passant de la rareté des âmes sœurs à la vieillesse et à la fatigue, les émotions allant du superficiel au profond. La seconde strophe évoque des souvenirs à travers les paysages printaniers, mais ne se limite pas à une simple description des objets, utilisant plutôt le paysage pour remonter à la "saveur des temps passés", créant une structure entrelacée de "paysage - sentiment - signification". Cette technique donne au poème une puissance mélancolique profonde sous un langage en apparence doux, laissant une résonance infinie.
Spécificités stylistiques
- Se refléter dans l'ami pour accentuer la profondeur émotionnelle
Utiliser la jeunesse de l'autre pour refléter sa propre détérioration, le contraste émotionnel est frappant, montrant la profondeur des regrets. - Interaction bidirectionnelle entre paysage et sentiment
Le vent printanier, le Jiangnan, la petite balustrade, la profondeur des fleurs, ces paysages ne créent pas seulement une atmosphère, mais deviennent aussi des déclencheurs de mémoire et d'émotion. - Fusion des allusions et des symboles
"Yao Huang" est à la fois une fleur noble et un symbole de la prospérité et des beaux jours passés, donnant une dimension culturelle aux émotions. - Un ton calme mais des émotions profondes
Le poème évite toute exagération, utilisant plutôt un ton doux et subtil pour enfouir des sentiments profonds dans un récit paisible. - Une structure allant de l'intérieur vers l'extérieur, du sentiment au paysage
D'abord décrire sa propre situation et son état d'esprit, puis sublimer le thème à travers les paysages extérieurs, créant un effet circulaire de fusion entre paysage et sentiment.
Éclairages
Ce poème nous rappelle que ce qui est vraiment difficile à oublier, ce ne sont pas certains paysages ou certaines conversations, mais ces "saveurs des temps passés" entrelacées avec nos expériences de vie. La jeunesse passe vite, mais les empreintes émotionnelles peuvent traverser le temps et résonner longtemps dans les profondeurs de la mémoire. Il nous encourage à chérir le moment présent tout en faisant face avec sérénité aux changements de notre apparence et de notre état d'esprit, car ce qu'il y a de plus précieux dans la vie, ce sont les personnes et les choses qui vous font dire "vieux, je ne peux oublier", et non la jeunesse elle-même.
À propos du poète
Lü Benzhong (吕本中 1084 - 1145), originaire de Shouxian dans l'Anhui, fut un éminent poète et érudit néoconfucéen sous la dynastie Song du Sud. Théoricien clé de l'École poétique du Jiangxi, il formula le concept de « méthode vivante » (huofa), prônant des variations naturelles dans le cadre des règles poétiques établies. Auteur de plus de 1 270 poèmes conservés, sa Généalogie de l'École poétique du Jiangxi (Jiangxi Shishe Zongpai Tu) établit Huang Tingjian comme patriarche du mouvement, influençant profondément la théorie poétique des Song et servant de pont entre l'École Jiangxi et les Quatre Maîtres de la Renaissance Song.