Lune sur le Fleuve de l’Ouest : Vent et Brume de Lü Benzhong

xi jiang yue · miao miao feng chui yue shang
Un vent ténu soulève la lune,
Une brume laiteuse enveloppe le givre qui retourne.

Cent ans de soucis pressent le vieillard,
Je me tiens au-delà du soleil couchant.

Dans mes rêves, je maudis la distance,
Sans lettres, je hais les retards.

Une coupe de vin trouble et deux poèmes,
Avec les chrysanthèmes jaunes à la balustrade, nous buvons ensemble.

Poème chinois

「西江月 · 渺渺风吹月上」
渺渺风吹月上,濛濛雾挟霜回。
百年心事老相催。人在夕阳落外。

有梦常嫌去远,无书可恨来迟。
一杯浊酒两篇诗。小槛黄花共醉。

吕本中

Explication du poème

Ce poème fut composé par Lü Benzhong alors qu'il traversait une période d'exil et d'instabilité politique, le cœur alourdi par les vicissitudes de la vie. Écrit dans ses dernières années, il utilise les paysages nocturnes automnaux - vent, lune, brume et givre - comme métaphores pour exprimer ses réflexions sur l'existence. On y trouve à la fois la nostalgie du passé, les regrets du crépuscule de la vie, et la poursuite obstinée des idéaux et des sentiments authentiques.

Première strophe : « 渺渺风吹月上,濛濛雾挟霜回。百年心事老相催。人在夕阳落外。 »
Miǎo miǎo fēng chuī yuè shàng, méng méng wù xié shuāng huí. Bǎi nián xīn shì lǎo xiāng cuī. Rén zài xī yáng luò wài.

"Un vent lointain soulève la lune,
Une brume épaisse enveloppe le givre qui tournoie.
Cent ans de soucis hâtés par la vieillesse.
Me voici au-delà du déclin du soleil couchant."

La strophe s'ouvre sur des images éthérées et froides. "Vent lointain" et "brume épaisse" peignent une nuit d'automne vaste et mystérieuse, paysage-miroir d'une âme mélancolique. La lune qui se lève et le givre qui tournoie suggèrent le cycle inexorable du temps, métaphore de la fuite de la vie. "Cent ans de soucis" résume les idéaux et ambitions d'une existence, tandis que "hâtés par la vieillesse" révèle l'impuissance face au temps qui passe. "Au-delà du déclin du soleil couchant" situe le poète dans un au-delà temporel et spirituel, exprimant l'isolement des lettrés des Song dans un monde en déclin.

Seconde strophe : « 有梦常嫌去远,无书可恨来迟。一杯浊酒两篇诗。小槛黄花共醉。 »
Yǒu mèng cháng xián qù yuǎn, wú shū kě hèn lái chí. Yī bēi zhuó jiǔ liǎng piān shī. Xiǎo kǎn huáng huā gòng zuì.

"Un rêve toujours trop lointain,
L'absence de lettres trop tardives.
Une coupe de vin trouble, deux poèmes,
À la petite balustrade, ivre avec les chrysanthèmes."

Cette strophe bascule vers l'introspection. "Rêve trop lointain" et "lettres trop tardives" opposent idéaux inaccessibles et communications rompues, condensant en douze caractères les frustrations humaines. La symétrie parfaite des vers ("有/无", "嫌/恨", "远/迟") crée une tension poignante. La conclusion offre une échappatoire : le vin, la poésie et les chrysanthèmes deviennent des compagnons de solitude. Ces chrysanthèmes, symboles de résistance hivernale et de la fête du Double Neuf, reflètent la résilience du poète vieillissant.

Lecture globale

Ce poème entrelace paysages nocturnes et méditations existentielles. La première strophe, à travers vent, lune et brume, construit une atmosphère limpide et glaciale, où "le déclin du soleil couchant" symbolise l'âge avancé et le crépuscule d'une époque. La seconde strophe explore les désillusions (rêves inaccessibles, silences pesants) avant de trouver consolation dans l'art et la nature. Le passage du paysage à l'âme, puis à la transcendance par la création, révèle l'alchimie propre à la poésie classique chinoise.

Spécificités stylistiques

  • Economie verbale maximaliste : Chaque mot porte une densité sémantique exceptionnelle ("百年心事" = tout un destin en quatre caractères).
  • Dialectique du plein et du vide : La brume (plein) et la lune (vide) créent une tension spatiale et métaphysique.
  • Archétypes culturels réinventés : Le chrysanthème, motif traditionnel, devient ici un confident existentiel.
  • Musique des opposés : Les antithèses (rêve/absence, vin/poésie) structurent une symphonie mélancolique.

Éclairages

Dans notre ère d'hyperconnectivité et d'immédiateté, ce poème rappelle la valeur des attentes frustrées et des silences féconds. Le "vin trouble" du poète pourrait symboliser nos bonheurs imparfaits, les "chrysanthèmes" ces petits bonheurs résistants dans un monde incertain. La leçon ultime ? Savoir, comme Lü Benzhong, transformer l'amertume du temps qui passe en une ivresse créatrice - écrire son propre poème avec les chrysanthèmes de son époque.

À propos du poète

Lv Benzhong

Lü Benzhong (吕本中 1084 - 1145), originaire de Shouxian dans l'Anhui, fut un éminent poète et érudit néoconfucéen sous la dynastie Song du Sud. Théoricien clé de l'École poétique du Jiangxi, il formula le concept de « méthode vivante » (huofa), prônant des variations naturelles dans le cadre des règles poétiques établies. Auteur de plus de 1 270 poèmes conservés, sa Généalogie de l'École poétique du Jiangxi (Jiangxi Shishe Zongpai Tu) établit Huang Tingjian comme patriarche du mouvement, influençant profondément la théorie poétique des Song et servant de pont entre l'École Jiangxi et les Quatre Maîtres de la Renaissance Song.

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