Depuis longtemps, le Maître sauve les êtres,
Dans la grotte vide, fleurs et brumes s’épaississent.
On ne connaît que son lieu de méditation,
Sans voir son cœur libéré de tout acte.
La porte de l’ermitage fait face aux ravins,
Le sentier des fermiers est coupé par la forêt.
Il parle encore de réaliser la nature du Dharma,
Son retour à la Source vaut plus que l’or.
Poème chinois
「题招隐寺绚公房」
綦毋潜
开士度人久,空岩花雾深。
徒知燕坐处,不见有为心。
兰若门对壑,田家路隔林。
还言证法性,归去比黄金。
Explication du poème
Ce poème fut composé par Qiwu Qian lors d'une visite au temple Zhaoyin, probablement pendant la dynastie Tang, période de grand essor du bouddhisme en Chine. La "chambre du vénérable Xuan" mentionnée dans le titre désigne les quartiers d'un moine érudit résidant dans le temple. À cette époque, les lettrés entretenaient souvent des échanges avec les moines, partageant réflexions sur la vie ou cherchant l'inspiration dans les paysages montagneux. À travers la description paisible des quartiers monastiques, Qiwu Qian exprime son observation de la vie ascétique et sa profonde considération pour la voie spirituelle. Le poème allie la beauté sereine des montagnes à une admiration pour le concept bouddhique de "nature du Dharma" (法性), révélant l'aspiration du poète à transcender les affaires mondaines et sa méditation sur la pureté de la pratique spirituelle.
Premier distique : « 开士度人久,空岩花雾深。 »
Kāi shì dù rén jiǔ, kōng yán huā wù shēn.
"Longtemps le sage a guidé les êtres,
Dans les roches creuses, fleurs et brumes profondes."
Le poème s'ouvre sur une évocation du moine Xuan. "Sage" (开士) désigne un pratiquant accompli, et "longtemps guidé les êtres" témoigne du respect du poète pour sa compassion et sa pratique prolongée. La description de l'environnement naturel - roches creuses imprégnées de parfums floraux et de brumes matinales - crée une atmosphère de quiétude propice à la méditation, tout en suggérant l'harmonie entre le pratiquant et la nature.
Second distique : « 徒知燕坐处,不见有为心。 »
Tú zhī yàn zuò chù, bú jiàn yǒu wéi xīn.
"Seule sa posture méditative est visible,
Aucune trace d'un esprit tourné vers l'action."
"Posture méditative" (燕坐) décrit la pratique de l'assise silencieuse. Le poète observe l'état intérieur du moine à travers son apparence extérieure, n'y percevant aucune intention mondaine. Ce distique reflète le concept bouddhique de "non-agir" (无为) et d'"esprit sans attache" (无心), exprimant l'admiration du poète pour la concentration profonde et la sérénité du pratiquant.
Troisième distique : « 兰若门对壑,田家路隔林。 »
Lán ruò mén duì hè, tián jiā lù gé lín.
"La porte du sanctuaire fait face aux ravins,
Le sentier des fermes s'isole derrière les bois."
"Sanctuaire" (兰若) est un terme ancien désignant un temple ou un hermitage, évoquant pureté et détachement. Cette description géographique précise montre l'isolement du temple - face aux ravins et séparé des chemins agricoles par des forêts. Cette séparation spatiale symbolise la transcendance de l'état d'esprit du pratiquant, retiré du bruit du monde profane.
Quatrième distique : « 还言证法性,归去比黄金。 »
Hái yán zhèng fǎ xìng, guī qù bǐ huáng jīn.
"On dit qu'il a réalisé la nature du Dharma,
Ce retour [à la source] vaut plus que l'or."
Le poème culmine dans cette déclaration de respect. "Réaliser la nature du Dharma" signifie avoir percé l'essence des enseignements bouddhiques. La comparaison avec l'or transforme la retraite spirituelle en trésor inestimable, révélant l'approbation du poète pour cette vie qui transcende les valeurs matérielles, ainsi que ses propres aspirations esthétiques et existentielles.
Lecture globale
Ce poème progresse de la description du moine à celle de son environnement, puis à une réflexion sur la valeur de sa pratique. Qiwu Qian observe le pratiquant avec un regard à la fois admiratif et contemplatif, exprimant son respect pour une vie consacrée à la réalisation spirituelle. Sans utiliser de terminologie bouddhique complexe, le poème incarne l'idéal de simplicité et de profondeur qu'il décrit.
Spécificités stylistiques
- Élégance sobre : Un langage dépouillé mais évocateur, comme "roches creuses, fleurs et brumes".
- Contraste implicite : Entre l'action mondaine et le non-agir spirituel, entre valeurs matérielles et spirituelles.
- Symbolisme spatial : La disposition géographique du temple reflète son isolement spirituel.
- Références bouddhiques subtiles : Les termes comme "nature du Dharma" sont intégrés naturellement.
Éclairages
Plus qu'une simple peinture de paysage monastique, ce poème invite à reconsidérer nos priorités existentielles. Dans un monde souvent bruyant et matérialiste, Qiwu Qian chante la valeur d'une vie tournée vers l'intériorité et la compréhension ultime. Le "retour" à la nature essentielle des choses y est présenté comme le véritable trésor - une perspective qui résonne particulièrement dans nos sociétés modernes obsédées par la possession et l'action. À travers son admiration pour le moine Xuan, le poète nous rappelle que la richesse spirituelle surpasse toute accumulation matérielle, une leçon intemporelle sur l'art de vivre.
À propos du poète
Qiwu Qian (綦毋潜 692 - env. 755), originaire de Ganzhou (actuelle Ganzhou, Jiangxi), fut un poète éminent de l'École paysagère et pastorale durant la haute époque Tang. Il obtint le titre de jinshi en 726 (14ᵉ année de l'ère Kaiyuan) et occupa des postes officiels tels que Rectificateur des Omissions (You Shiyi) et Directeur des Archives impériales (Zhuzuo Lang) avant de se retirer dans la région du Jiangnan. Sa poésie, célèbre pour ses descriptions de la vie recluse et des paysages naturels, se caractérise par un style serein et dépouillé. Il échangea des poèmes avec des figures littéraires comme Wang Wei et Meng Haoran. Les Poèmes complets des Tang (Quan Tangshi) conservent 26 de ses poèmes, qui se distinguent dans la tradition paysagère du haut Tang et exercèrent une influence significative sur le développement ultérieur de la poésie inspirée du zen.