Rêve d’une Chanson : Amertume au Pont des Oies de Lü Benzhong

ru meng ling · hai yan qiao bian chun ku
Près du pont des oies sauvages, le printemps est amer,
Combien de fois ai-je vu les fleurs tomber, les chatons voler ?

De retour à l’ouest des rangées de saules,
Je n’ai même pas la force de demander où se trouve le pavillon peint.

Je reste immobile, immobile,
Face aux dix hectares de lotus sous la pluie et le vent.

Poème chinois

「如梦令 · 海雁桥边春苦」
雁桥边春苦。几见落花飞絮。
重到柳行西,懒问画楼何处。
凝伫。凝伫。十顷荷花风雨。

吕本中

Explication du poème

Ce poème lyrique (ci) fut composé par Lü Benzhong, poète ayant vécu la chute des Song du Nord et l'exil vers le Sud, errant pendant des années loin de sa terre natale, témoin des ravages de la guerre et des vicissitudes du temps. Écrit probablement durant ses voyages dans le Sud ou dans ses dernières années de réflexion, ce poème évoque des lieux comme "le pont des Oies sauvages" et "les rangées de saules à l'ouest" - paysages réels ou souvenirs transfigurés, qui sont autant d'ancrages géographiques que de réceptacles émotionnels. Si les lettrés des Song aimaient exprimer leurs sentiments à travers les paysages printaniers, ceux de Lü Benzhong sont empreints d'une profonde "amertume printanière". Cette amertume naît à la fois de la douleur d'un pays déchiré et du sentiment d'impuissance face à la disparition des beautés passées. Ainsi, bien que bref, ce poème est d'une intensité émotionnelle rare, porteur de la mélancolie profonde des retrouvailles avec des lieux où tout a changé.

Première strophe : « 雁桥边春苦。几见落花飞絮。 »
Yàn qiáo biān chūn kǔ. Jǐ jiàn luò huā fēi xù.

"Près du pont des Oies, un printemps amer.
Combien de fois ai-je vu fleurs tombantes et chatons envolés ?"

Dès l'ouverture, "printemps amer" établit le ton émotionnel du poème, opposant la beauté saisonnière à l'amertume intérieure. "Fleurs tombantes" et "chatons envolés", motifs classiques de la poésie des Song, symbolisent ici la beauté éphémère et l'errance du poète, reflétant ses pérégrinations et ses méditations sur la vie.

« 重到柳行西,懒问画楼何处。 »
Chóng dào liǔ xíng xī, lǎn wèn huà lóu hé chù.

"De retour aux rangées de saules à l'ouest,
Je ne prends même pas la peine de demander où se trouve le pavillon peint."

"De retour" suggère une revisite chargée de souvenirs, mais l'émotion n'a plus la chaleur d'autrefois, teintée qu'elle est de distance et de mélancolie. Le "pavillon peint", symbole des splendeurs et des relations passées, ne mérite même plus qu'on s'enquière de sa localisation actuelle - indifférence qui en dit long sur le détachement mélancolique du poète.

Seconde strophe : « 凝伫。凝伫。十顷荷花风雨。 »
Níng zhù. Níng zhù. Shí qǐng hé huā fēng yǔ.

"Je reste planté là, immobile, immobile,
Face aux dix hectares de lotus balayés par le vent et la pluie."

La répétition de "immobile" intensifie le sentiment de stagnation émotionnelle, comme si le cœur du poète était paralysé, incapable de circuler librement. L'étang de lotus sous la pluie est à la fois un paysage réel et une projection mémorielle, offrant une beauté sereine tout en exhalant une solitude poignante.

Lecture globale

Bien que court, ce poème possède une densité émotionnelle remarquable. La première strophe, ouvrant sur "printemps amer", oppose la beauté saisonnière à l'amertume du cœur, tandis que "fleurs tombantes" et "pavillon peint" esquissent la mélancolie des choses changées. La seconde strophe, par la répétition et les silences, porte la solitude contemplative du poète à son paroxysme, les lotus sous la pluie étant à la fois une image visuelle saisissante et une métaphore riche de sens.

La grande subtilité de ce poème réside dans sa fusion du paysage et de l'émotion : le paysage est l'émotion extériorisée du poète, l'émotion se révélant à travers les détails du paysage. En lisant, on croit d'abord à une simple évocation printanière, mais on perçoit bientôt la profonde saveur existentielle et le sentiment d'exil qui s'y cachent. Cette écriture suggestive et résonnante est un modèle du "voir grand dans le petit" et du "loger l'émotion dans le paysage" caractéristiques de la poésie des Song.

Spécificités stylistiques

  • Structure bipartite claire : La première strophe peint le printemps et les lieux du passé, la seconde se concentre sur l'étang aux lotus.
  • Réel et irréel entrelacés : Les paysages actuels et les souvenirs s'entremêlent, enrichissant les niveaux de lecture.
  • Paysage et émotion fusionnés : Le paysage est disposé pour l'émotion, l'émotion naît du paysage.
  • Langage concis : En peu de mots se logent une profusion d'images et de mouvements psychologiques.

Éclairages

Certains lieux et moments de la vie, même revisités, ne peuvent retrouver la chaleur et la beauté d'autrefois. Les paysages changent, les gens changent, les états d'âme encore plus. Ce poème nous enseigne à accepter ces mutations et à trouver l'équilibre entre réalité et mémoire. Il nous rappelle aussi de chérir chaque tendresse et chaque joie présentes, car une fois devenus souvenirs, ils pourraient bien avoir cette saveur de "printemps amer" - belle mais poignant.

À propos du poète

Lv Benzhong

Lü Benzhong (吕本中 1084 - 1145), originaire de Shouxian dans l'Anhui, fut un éminent poète et érudit néoconfucéen sous la dynastie Song du Sud. Théoricien clé de l'École poétique du Jiangxi, il formula le concept de « méthode vivante » (huofa), prônant des variations naturelles dans le cadre des règles poétiques établies. Auteur de plus de 1 270 poèmes conservés, sa Généalogie de l'École poétique du Jiangxi (Jiangxi Shishe Zongpai Tu) établit Huang Tingjian comme patriarche du mouvement, influençant profondément la théorie poétique des Song et servant de pont entre l'École Jiangxi et les Quatre Maîtres de la Renaissance Song.

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