En Han et Wei, maints hauts faits d'armes,
D'esprit libre, ils méprisent gloire et profit.
Tous fiers de leur cœur qui tient les promesses,
Chacun portant l'ambition de parcourir le monde.
Se lier d'amitié par une parole sacrée,
Se donner rendez-vous à mille lieues.
Arc tendu comme la lune sur corde vert sombre,
Rênes dorées guidant le cheval plus vite que les nuages.
Jouant de la flûte, ils entrent au marché de Wu,
Frappant le zither, ils errent dans les rues de Yan.
Cherchant les sources avec le Marquis de Bowang,
Ils unissent les braves au loin.
Jeunes gens, dès qu'un regard les honore,
Ils galopent au-delà des collines de Long.
Éclat flamboyant des lances pareilles au givre,
Lueur vibrante des épées telles des arcs-en-ciel.
Neige éternelle des monts Célestes, hiver comme été,
Flux alternés du fleuve Jiao, nord et sud.
Nuages assombrissant les déserts du Dragon,
Feuilles tombant, automne à la porte des Oies sauvages.
Ils risquent leur vie pour leurs amis intimes,
Non pour servir leurs propres desseins.
Poème chinois
「结客少年场行」
虞世南
韩魏多奇节,倜傥遗声利。
共矜然诺心,各负纵横志。
结交一言重,相期千里至。
绿沉明月弦,金络浮云辔。
吹箫入吴市,击筑游燕肆。
寻源博望侯,结客远相求。
少年怀一顾,长驱背陇头。
焰焰戈霜动,耿耿剑虹浮。
天山冬夏雪,交河南北流。
云起龙沙暗,木落雁门秋。
轻生殉知己,非是为身谋。
Explication du poème
"Chant du jeune héros" (结客少年场行) est un poème de Yu Shinan (558-638), l'une des "Quatre Éminences des débuts des Tang". Bien que menant une vie simple et intègre, Yu Shinan n'était pas coupé du monde ; il héritait du style des Six Dynasties tout en se nourrissant de l'esprit du début des Tang, explorant divers sujets. Ce poème reprend le thème ancien des yuefu "Chant du jeune héros", traditionnellement utilisé pour exprimer l'esprit chevaleresque et la bravoure des guerriers. Yu Shinan ne se contente pas d'imiter ses prédécesseurs, mais forge avec un langage raffiné l'image généreuse et héroïque des guerriers, précisant à la fin leur esprit de sacrifice pour la justice et leurs compagnons, donnant au poème une forte connotation morale.
Premier distique : « 韩魏多奇节,倜傥遗声利。 »
Hán Wèi duō qí jié, tì tǎng yí shēng lì.
"En Han et Wei, nombreux sont les hommes à l'honneur singulier,
Libres et élégants, ils dédaignent renom et profit."
Ce distique situe l'origine de l'esprit chevaleresque. Han et Wei, régions de l'époque des Royaumes combattants, étaient connues pour leurs guerriers. Le poète loue leur "honneur singulier" (奇节) : méprisant la vie pour la justice, indifférents aux gains matériels, établissant d'emblée le ton du poème.
Second distique : « 共矜然诺心,各负纵横志。 »
Gòng jīn rán nuò xīn, gè fù zòng héng zhì.
"Tous fiers de leur cœur fidèle à la parole donnée,
Chacun portant l'ambition de parcourir le monde."
L'esprit chevaleresque réside dans "la parole donnée" (然诺) : tenir parole, agir avec détermination ; et dans "parcourir le monde" (纵横) : ambition de chevaucher librement et accomplir de grandes choses. Portrait concis du caractère et des aspirations des guerriers.
Troisième distique : « 结交一言重,相期千里至。 »
Jié jiāo yī yán zhòng, xiāng qī qiān lǐ zhì.
"Se lier d'amitié, leur parole a poids d'or ;
Se donner rendez-vous, ils viennent de mille lieues."
Décrit le caractère fidèle des guerriers : convoqués par un ami, ils parcourent mille lieues sans hésiter, montrant leur attachement à la fraternité.
Quatrième distique : « 绿沉明月弦,金络浮云辔。 »
Lǜ chén míng yuè xián, jīn luò fú yún pèi.
"Arc vert sombre, corde de lune claire ;
Rênes d'or, bride de nuage flottant."
Apparence extérieure du guerrier : arc et cheval, éclatants et gracieux, révélant une allure héroïque et libre.
Cinquième distique : « 吹箫入吴市,击筑游燕肆。 »
Chuī xiāo rù Wú shì, jī zhú yóu Yàn sì.
"Jouant de la flûte, ils entrent au marché de Wu ;
Frappant le zhu, ils errent dans les rues de Yan."
Allusions historiques : Wu Zixu fugitif à Wu, Gao Jianli et Jing Ke jouant du zhu à Yan, montrant que les guerriers gardent leur honneur même dans l'adversité, révélant leur endurance et leur préparation.
Sixième distique : « 寻源博望侯,结客远相求。 »
Xún yuán Bówàng hóu, jié kè yuǎn xiāng qiú.
"Suivant la trace du marquis de Bowang,
Ils cherchent au loin à se lier avec des hôtes."
Allusion à Zhang Qian, envoyé aux Régions de l'Ouest, montrant que les guerriers ne se limitent pas aux rencontres urbaines, mais aspirent à servir le pays.
Septième distique : « 少年怀一顾,长驱背陇头。 »
Shào nián huái yī gù, cháng qū bèi Lǒng tóu.
"Jeunes gens, touchés par un regard,
Galopent au loin, dos aux cols de Long."
Souligne "mourir pour qui vous connaît votre valeur" : les jeunes guerriers s'élancent sans regard arrière pour ceux qui les apprécient.
Huitième distique : « 焰焰戈霜动,耿耿剑虹浮。 »
Yàn yàn gē shuāng dòng, gěng gěng jiàn hóng fú.
"Lances flamboyantes bougent comme givre ;
Épées lumineuses flottent comme arcs-en-ciel."
Mouvement et calme combinés, armes redoutables, symbolisant la détermination des guerriers à se lancer au combat.
Neuvième distique : « 天山冬夏雪,交河南北流。 »
Tiān shān dōng xià xuě, Jiāo hé nán běi liú.
"Monts Célestes, neige hiver comme été ;
Rivière Jiao, coule au nord et au sud."
Payages naturels majestueux, reflétant l'ampleur des traces des guerriers, leur souffle vaste comme ciel et terre.
Dixième distique : « 云起龙沙暗,木落雁门秋。 »
Yún qǐ lóng shā àn, mù luò Yàn mén qiū.
"Nuages s'élèvent, désert du Dragon obscur ;
Feuilles tombent, porte des Oies sauvages en automne."
Payages frontaliers désolés et austères, accentuants l'esprit des guerriers bravant les épreuves.
Onzième distique : « 轻生殉知己,非是为身谋。 »
Qīng shēng xùn zhī jǐ, fēi shì wèi shēn móu.
"Ils méprisent la vie, se sacrifient pour leurs compagnons,
Non pour leur propre intérêt."
Message central du poème. L'extraordinaire esprit des guerriers réside dans leur mépris de la vie pour la justice, leur sacrifice généreux, transcendant gains personnels.
Appréciation globale
Ce poème dépeint un groupe de guerriers, majestueux et élégant. Il commence par "Han et Wei, nombreux sont les hommes à l'honneur singulier" pour situer l'origine de l'esprit chevaleresque, puis décrit leurs aspirations, traces et allure : armes étincelantes, chevauchées libres, gardant leur honneur dans l'adversité, ou portant de grandes ambitions vers les frontières. Les allusions à Wu Zixu, Jing Ke, Gao Jianli et Zhang Qian associent l'esprit chevaleresque à la loyauté et au service du pays. Surtout, la conclusion "méprisant la vie pour leurs compagnons, non pour leur propre intérêt" précise le cœur de l'esprit chevaleresque : mourir pour qui vous connaît votre valeur, la justice plus précieuse que la vie. Le poème circule avec fluidité, alliant paysages frontaliers majestueux et élégance raffinée, montrant le grand art de Yu Shinan.
Caractéristiques stylistiques
- Idée élevée
Prend l'esprit chevaleresque pour thème, dépasse le guerrier de rue, s'élève à la reconnaissance et au service du pays. - Allusions intégrées
Allusions naturelles à Wu Zixu, Jing Ke, Gao Jianli, Zhang Qian, renforçant le poids historique. - Mouvement et calme combinés
Cordes d'arc, chevaux, lances et épées en mouvement, Monts Célestes et porte des Oies sauvages calmes, créant une tension, paysage poétique vaste. - Circulation fluide
Des guerriers de Han et Wei, aux allusions urbaines, puis aux paysages frontaliers, progression par strates, conclusion sur l'élévation spirituelle. - Langage vigoureux mais élégant
"Givre de lance", "arc-en-ciel d'épée" majestueux, "fleur de vent", "claire lune" élégant, alliant héroïsme et talent.
Éclairages
Ce poème montre l'idéal chevaleresque des lettrés du début des Tang : mépriser la vie pour la justice, se sacrifier généreusement, jamais pour le gain. Il nous enseigne que la vraie valeur n'est pas dans la renommée personnelle, mais dans l'aptitude à tenir parole, à porter la justice, à assumer pour ses compagnons et la grande cause. Même dans l'adversité, garder de hautes ambitions, pour laisser une lumière immortelle dans l'histoire et le cœur des hommes.
À propos du poète
Yu Shinan (虞世南 558 - 638), originaire de Yuyao dans la province du Zhejiang, fut un éminent homme d’État, écrivain, calligraphe et politicien durant l’ère Zhenguan des débuts de la dynastie Tang. Il figurait parmi les « Vingt-Quatre Officiers Méritants du Pavillon Lingyan » et occupa le poste de Directeur de la Bibliothèque impériale. Sa calligraphie lui valut d’être compté parmi les « Quatre Grands Calligraphes des Débuts des Tang » aux côtés d’Ouyang Xun, de Chu Suiliang et de Xue Ji. Dans le domaine poétique, il perpétua la tradition de Xu Ling et initia un style courtois raffiné, équilibré et harmonieux. Il compila également les Extraits des Livres du Hall Nord(Beitang Shuchao), établissant un nouveau genre de littérature encyclopédique.