Voyage impérial de la Ying à la Huai de Yu Shinan

feng he chu ying zhi huai ying ling
Par ce beau jour, j’ai la joie de voguer à bon port ;
Détachant les amarres, j’entre sur les rives de la Huai.

Le bateau à tête de martin fend les flots glacés ;
Le vent givré gémit en une plainte mélancolique.

Sous les vagues, les poissons bondissent en secret ;
Les oiseaux d’eau plongent au-devant de l’écume.

Le canal de Han n’est désormais plus très loin ;
Je contemple, l’âme à la fois émue et réjouie, la sérénité impériale.

Poème chinois

「奉和出颍至淮应令」
良晨喜利涉,解缆入淮浔。
寒流泛鹢首,霜吹响哀吟。
潜鳞波里跃,水鸟浪前沉。
邗沟非复远,怅望悦宸襟。

虞世南

Explication du poème

Ce poème est une œuvre de circonstance (应制), composée lorsque l'empereur des Tang effectuait un déplacement et que les ministres devaient écrire en harmonie (奉和). Les rivières Ying et Huai étaient d'importantes voies de communication fluviale, empruntées par le transport des grains et les mouvements militaires entre le nord et le sud. Le poète Yu Shinan, suivant le convoi en bateau, voyagea de la rivière Ying à la rivière Huai, traversant des paysages hivernaux à la jonction de l'automne et de l'hiver. En réponse à la commande impériale, il décrit avec concision ce qu'il voit et ressent durant le voyage. Le poème mêle la description de scènes naturelles à l'expression des épreuves du voyage, pour finalement conclure sur la gratitude et la loyauté envers l'empereur.

Premier couplet : « 良晨喜利涉,解缆入淮浔。 »
Liáng chén xǐ lì shè, jiě lǎn rù huái xún.
Par une belle aube, je me réjouis de traverser aisément ;
Je détache l'amarre et pénètre les rives de la Huai.
« Belle aube » (良晨) décrit non seulement la clarté du moment, mais porte aussi une connotation propice, exprimant la joie du poète. « Traverser aisément » (利涉) vient du Livre des Mutations, évoquant un voyage sûr et sans encombre. « Détacher l'amarre » (解缆) décrit simplement et directement le moment du départ.

Deuxième couplet : « 寒流泛鹢首,霜吹响哀吟。 »
Hán liú fàn yì shǒu, shuāng chuī xiǎng āi yín.
Un courant froid bat l'étrave ornée ;
Le vent givré gémit en un chant plaintif.
Ce couplet engage à la fois la vue et l'ouïe pour peindre les difficultés de la navigation. « Ét rave ornée » (鹢首) désigne la proue du bateau, frappée par les vagues ; « vent givré » (霜吹) indique le froid saisonnier ; « chant plaintif » (哀吟) a une forte connotation émotionnelle, évoquant non seulement le bruit du vent, mais aussi la froideur du voyage et les sentiments du poète.

Troisième couplet : « 潜鳞波里跃,水鸟浪前沉。 »
Qián lín bō lǐ yuè, shuǐ niǎo làng qián chén.
Les écailles cachées bondissent dans les vagues ;
Les oiseaux d'eau plongent devant le flot.
Ce couplet décrit la vitalité de la nature ; le mouvement des poissons et des oiseaux ajoute de la vivacité au voyage. Le bond des « écailles cachées » (潜鳞) montre la vie aquatique ; la plongée des oiseaux reflète l'agitation des vagues. Ces détails animent le paysage froid et solitaire, enrichissant l'image.

Quatrième couplet : « 邗沟非复远,怅望悦宸襟。 »
Hán gōu fēi fù yuǎn, chàng wàng yuè chén jīn.
Le canal de Han n'est plus très loin ;
Je contemple, un peu mélancolique, pour réjouir le cœur impérial.
« Canal de Han » (邗沟) était une célèbre voie d'eau reliant la Huai, symbolisant la proximité de la destination. Le poète exprime à la fois la fin du voyage et, en sujet loyal, le désir de « réjouir le cœur impérial » (悦宸襟), soulignant que la sérénité de l'empereur est son ultime priorité. C'est le point culminant émotionnel du poème.

Lecture globale

Ce poème est structuré clairement : le premier couplet exprime la joie du départ, le second la rudesse de l'environnement, le troisième la vitalité naturelle, et le dernier le retour aux sentiments. Il allie une description réaliste du voyage sur la Huai et la dimension politique de l'œuvre de circonstance. Le ton est concis et dépouillé, sans développement excessif, mais d'une profondeur émotionnelle. En particulier, « le vent givré gémit en un chant plaintif » (霜吹响哀吟) fait du bruit du vent l'écho des sentiments, exprimant de manière subtile les épreuves du voyage et une mélancolie intérieure. La conclusion, « réjouir le cœur impérial » (悦宸襟), révèle le but de l'œuvre de circonstance, clôturant l'ensemble par la loyauté et le respect, conformément au style des poèmes de cour composés en harmonie.

Spécificités stylistiques

  • Alliage de scène réelle et de signification : Le paysage naturel du voyage sur la Huai et les sentiments du sujet s'entrelacent, la description contenant le lyrisme.
  • Engagement des sens : Description visuelle du « courant froid » (寒流) et des « écailles cachées » (潜鳞), et auditive du « chant plaintif » (哀吟) du vent, créant des strates distinctes.
  • Art du contraste : Le courant froid contre les écailles bondissantes, le chant plaintif contre les oiseaux d'eau, juxtaposant la froideur du voyage et la vitalité, renforçant la tension artistique.
  • Caractère de circonstance : Le poème culmine sur « réjouir le cœur impérial » (悦宸襟), clôturant sur la loyauté, remplissant la fonction politique du poème composé en harmonie.

Éclairages

Ce poème nous montre que même confronté à un courant froid et à un vent givré durant le voyage, le poète sait capter la vitalité des scènes naturelles pour y loger ses sentiments intérieurs. Il nous inspire en montrant que le voyage de la vie est souvent accompagné d'épreuves et de froideur, mais qu'en observant le paysage avec un cœur paisible, on peut découvrir une force vitale et une énergie pour avancer au sein des difficultés. Par ailleurs, le poète conclut par les sentiments du sujet, nous rappelant que, quelle que soit la situation, préserver la loyauté et le sens des responsabilités intérieurs est l'ancrage le plus solide.

À propos du poète

Yu Shinan

Yu Shinan (虞世南 558 - 638), originaire de Yuyao dans la province du Zhejiang, fut un éminent homme d’État, écrivain, calligraphe et politicien durant l’ère Zhenguan des débuts de la dynastie Tang. Il figurait parmi les « Vingt-Quatre Officiers Méritants du Pavillon Lingyan » et occupa le poste de Directeur de la Bibliothèque impériale. Sa calligraphie lui valut d’être compté parmi les « Quatre Grands Calligraphes des Débuts des Tang » aux côtés d’Ouyang Xun, de Chu Suiliang et de Xue Ji. Dans le domaine poétique, il perpétua la tradition de Xu Ling et initia un style courtois raffiné, équilibré et harmonieux. Il compila également les Extraits des Livres du Hall Nord(Beitang Shuchao), établissant un nouveau genre de littérature encyclopédique.

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