Ma modeste maison est envahie par les herbes folles,
La ville solitaire commence à peine à se calmer après le chaos.
Au pied de la haie, je trouve une vieille chaussure abandonnée,
Dans le coin de la pièce, je découvre un livre endommagé.
Je regarde les oiseaux voler haut dans le ciel avec honte,
Et j’envie les grands poissons qui nagent dans les profondeurs.
Quand un ami vient me rendre visite, je n’ai rien de bon à lui offrir,
Alors je cueille des légumes sauvages pour lui.
Poème chinois
「兵乱后杂诗」
吕本中
蜗舍嗟芜没,孤城乱定初。
篱根留弊履,屋角得残书。
云路惭高鸟,渊潜羡巨鱼。
客来阙佳致,亲为摘山蔬。
Explication du poème
Ce poème fut composé peu après la rébellion d'An Lushan sous la dynastie Tang. À cette époque où les conflits armés persistaient et où le peuple vivait dans la désolation, de nombreux lettrés avaient expérimenté les bouleversements nationaux et la destruction de leurs foyers. Témoin des scènes de dévastation post-conflit, Qiwu Qian se lamentait sur les ruines là où régnait autrefois la prospérité, tout en nourrissant l'espoir d'un retour à la paix et à la reconstruction. Ce poème fut écrit durant cette période de stabilisation précaire où tout restait à rebâtir - une chronique douloureuse mais empreinte de tendresse sur la vie.
Premier distique : « 蜗舍嗟芜没,孤城乱定初。 »
Wō shè jiē wú mò, gū chéng luàn dìng chū.
"Ma modeste demeure, hélas, envahie par les herbes folles,
La ville solitaire tout juste stabilisée après le chaos."
Le poète utilise "ma modeste demeure" comme métaphore de sa propre condition, dépeignant à la fois l'état délabré de son logis et sa situation précaire. "Envahie par les herbes" illustre viscéralement la désolation post-guerre, tandis que "tout juste stabilisée" révèle le contexte encore instable, établissant le ton grave et mélancolique du poème.
Second distique : « 篱根留弊履,屋角得残书。 »
Lí gēn liú bì lǚ, wū jiǎo dé cán shū.
"Au pied de la haie traîne une vieille chaussure usée,
Dans l'angle de la pièce, je découvre quelques livres mutilés."
Ces vers regorgent de détails tangibles de la vie post-conflit. "Vieille chaussure" et "livres mutilés" sont à la fois des descriptions réalistes et des symboles de la quête spirituelle du poète dans ces ruines. Les "livres mutilés" représentent non seulement des ouvrages endommagés mais aussi la fracture culturelle, tandis que le verbe "découvrir" laisse transparaître une lueur de réconfort et de valeur préservée.
Troisième distique : « 云路惭高鸟,渊潜羡巨鱼。 »
Yún lù cán gāo niǎo, yuān qián xiàn jù yú.
"Sur les chemins nuageux, j'envie les oiseaux en altitude ;
Dans les profondeurs abyssales, j'admire les grands poissons."
Par cette comparaison aviaire et piscicole, le poète exprime son aspiration à une vie libre tout en révélant son sentiment de confinement et d'inaccomplissement. Conscient de ses propres talents et ambitions, mais limité par les circonstances, il oscille entre auto-compassion et introspection.
Quatrième distique : « 客来阙佳致,亲为摘山蔬。 »
Kè lái quē jiā zhì, qīn wèi zhāi shān shū.
"Quand un hôte se présente, sans mets délicats à offrir,
Je vais moi-même cueillir des légumes sauvages pour l'accueillir."
La conclusion bascule vers un détail émotionnel, où des gestes simples expriment une sincérité profonde. "Sans mets délicats" reflète la pauvreté matérielle, mais "moi-même" irradie de chaleur humaine. Dans l'après-guerre, la chaleur humaine persiste - le poète accueillant avec des légumes sauvages révèle une authenticité touchante, point lumineux spirituel du poème.
Lecture globale
Le poème part de l'habitation post-conflit du poète pour déployer progressivement une vision de la vie d'après-guerre, des ruines environnementales aux émotions intimes, jusqu'aux interactions sociales. On y trouve à la fois des descriptions concrètes ("envahie par les herbes", "vieille chaussure", "livres mutilés") et des explorations psychologiques ("envie les oiseaux", "admire les poissons"). La conclusion sur l'accueil avec des légumes sauvages révèle une simplicité poignante. D'une concision riche de sens, le poème mêle douleur et tendresse, désolation et espoir, illustrant la résilience, l'intégrité et la chaleur humaine du poète face à l'adversité.
Spécificités stylistiques
- Voir l'universel dans le particulier : À travers une demeure en ruine, le poète reflète les traumatismes sociétaux post-guerre. Des objets modestes mais chargés de résonance collective.
- Détails vivants et authentiques : "Vieille chaussure", "livres mutilés" - des images palpables qui renforcent l'impact émotionnel.
- Métaphores symboliques : "Oiseaux en altitude" et "grands poissons" incarnent talents et aspirations, exprimant le désir de liberté et d'accomplissement.
- Conclusion en pivot émotionnel : L'image des légumes sauvages offerts souligne la pauvreté tout en magnifiant la chaleur humaine et la noblesse du poète.
Éclairages
Plus qu'un simple reflet de la réalité post-conflit, ce poème est une confession spirituelle. Il nous enseigne qu'au cœur de l'adversité, nous devons préserver authenticité et chaleur humaine. Parmi les ruines, le poète conserve des livres et de l'hospitalité, comme des fleurs d'espoir dans la désolation. Surtout, cette posture qui préserve les valeurs spirituelles face aux épreuves établit pour les générations futures une position de vie digne et humaine.
À propos du poète
Lü Benzhong (吕本中 1084 - 1145), originaire de Shouxian dans l'Anhui, fut un éminent poète et érudit néoconfucéen sous la dynastie Song du Sud. Théoricien clé de l'École poétique du Jiangxi, il formula le concept de « méthode vivante » (huofa), prônant des variations naturelles dans le cadre des règles poétiques établies. Auteur de plus de 1 270 poèmes conservés, sa Généalogie de l'École poétique du Jiangxi (Jiangxi Shishe Zongpai Tu) établit Huang Tingjian comme patriarche du mouvement, influençant profondément la théorie poétique des Song et servant de pont entre l'École Jiangxi et les Quatre Maîtres de la Renaissance Song.