La nuit presse les veilles,
La poussière boit la rosée,
Dans le quartier des courtisanes, la lune pâlit.
À travers les fenêtres et les bambous,
Je reconnais la cour de Qiuniang.
Son sourire nous unit —
Comme des arbres de jade entrelacés,
Comme des soleils jumeaux irradiant l’or.
Son regard coule, son âme est une orchidée,
Trésor unique en cette vie.
Je l’avais vue peinte,
Bercée par le vent printanier.
Qui savait qu’au palais de jade,
La tendre pluie et les nuages chauds
Seraient balayés par le vent cruel ?
Maintenant, dans une auberge glacée,
Portes closes, murs en ruine,
Les insectes d’automne gémissent.
Hélas ! Ce fil de nostalgie,
À travers monts et rivières,
Refuse de se briser.
Poème chinois
「拜星月慢 · 夜色催更」
夜色催更,清尘收露,小曲幽坊月暗。
竹槛灯窗,识秋娘庭院。
笑相遇,似觉琼枝玉树相倚,暖日明霞光烂。
水盼兰情,总平生稀见。画图中、旧识春风面。
周邦彦
谁知道、自到瑶台畔。
眷恋雨润云温,苦惊风吹散。
念荒寒、寄宿无人馆。
重门闭、败壁秋虫叹。
怎奈向、一缕相思,隔溪山不断。
Explication du poème
Ce ci est une œuvre célèbre du poète Zhou Bangyan de la dynastie des Song du Nord, composée dans sa maturité artistique. De style à la fois élégant et émouvant, il illustre parfaitement sa maîtrise poétique caractérisée par un équilibre entre raffinement et profondeur émotionnelle. Le poème évoque une romance disparue à travers un récit rétrospectif, dépeignant avec une progression subtile la rencontre, l'intimité, la séparation et la solitude qui suit. Zhou Bangyan, connu pour son talent à décrire les femmes et les sentiments, livre ici un chef-d'œuvre représentatif de son art.
Première strophe : « 夜色催更,清尘收露,小曲幽坊月暗。竹槛灯窗,识秋娘庭院。笑相遇,似觉琼枝玉树相倚,暖日明霞光烂。水盼兰情,总平生稀见。 »
Yè sè cuī gēng, qīng chén shōu lù, xiǎo qǔ yōu fāng yuè àn. Zhú kǎn dēng chuāng, shí qiū niáng tíng yuàn. Xiào xiāng yù, sì jué qióng zhī yù shù xiāng yǐ, nuǎn rì míng xiá guāng làn. Shuǐ pàn lán qíng, zǒng píng shēng xī jiàn.
"La nuit s'approfondit, poussée par les veilles,
La rosée lave les poussières,
Dans les ruelles obscures, la lune est pâle.
À travers les bambous et les fenêtres éclairées,
Je reconnais la cour de Qiuniang.
Nous nous rencontrons avec un sourire,
Comme si des branches de jade s'unissaient,
Tel un soleil chaud illuminant les nuages.
Son regard limpide comme l'eau,
Son âme pure comme une orchidée,
Une telle femme est rare en une vie."
Cette strophe peint une visite nocturne dans le cadre enchanteur où le poète rencontre Qiuniang. L'environnement, à la fois calme et mystérieux (nuit, rosée, lune pâle), met en valeur la grâce et la pureté de l'héroïne. La simplicité de "nous nous rencontrons avec un sourire" traduit la joie d'un coup de foudre, tandis que les métaphores luxueuses ("branches de jade", "soleil chaud") soulignent la beauté et la luminosité de la femme. L'expression "regard limpide comme l'eau" et "âme pure comme une orchidée" dépeignent avec finesse son charme naturel, créant une scène où émotion et paysage se fondent harmonieusement.
Deuxième strophe : « 画图中、旧识春风面。谁知道、自到瑶台畔。眷恋雨润云温,苦惊风吹散。念荒寒、寄宿无人馆。重门闭、败壁秋虫叹。怎奈向、一缕相思,隔溪山不断。 »
Huà tú zhōng, jiù shí chūn fēng miàn. Shéi zhī dào, zì dào yáo tái pàn. Juàn liàn yǔ rùn yún wēn, kǔ jīng fēng chuī sàn. Niàn huāng hán, jì sù wú rén guǎn. Chóng mén bì, bài bì qiū chóng tàn. Zěn nài xiàng, yī lǚ xiāng sī, gé xī shān bù duàn.
"Dans les peintures, je connaissais déjà son visage printanier.
Qui aurait cru qu'en atteignant son palais de jade,
Notre amour, tendre comme pluie et doux comme nuage,
Serait brutalement dispersé par le vent ?
Maintenant, je me souviens de la froideur désolée,
Logeant dans une auberge vide.
Portes closes, murs décrépis,
Les insectes d'automne gémissent.
Hélas, comment supporter
Ce fil de nostalgie qui traverse
Ruisseaux et montagnes sans se rompre ?"
Cette strophe évoque d'abord la connaissance préalable de Qiuniang à travers des portraits, puis l'émerveillement de la rencontre réelle. La douceur de leurs moments ensemble ("tendre comme pluie et doux comme nuage") est brutalement interrompue par une séparation inattendue ("dispersé par le vent"). Le poète décrit ensuite sa solitude actuelle dans une auberge délabrée, où les portes closes et les cris d'insectes d'automne renforcent son désespoir. La conclusion, avec son "fil de nostalgie" persistant malgré l'éloignement, exprime une émotion profonde et durable, à la fois retenue et intense.
Lecture globale
Ce ci se déploie à travers une structure en deux temps : souvenir et réalité. La première strophe décrit une nuit de rencontre, où l'environnement serein contraste avec la passion des personnages, capturant l'émerveillement et l'admiration mutuelle. La seconde strophe raconte la fin brutale de cette romance et la solitude qui en résulte. Zhou Bangyan maîtrise parfaitement le rythme narratif, passant des paysages aux personnages, de la rencontre à la séparation, du présent au passé, créant une immersion totale pour le lecteur. La transition du "sourire de la rencontre" à la "douleur de la séparation" guide l'émotion tout au long du poème, mélancolique sans être accablante, profonde sans être pesante.
Spécificités stylistiques
- Alternance entre réel et imaginaire, rythme précis
Des scènes réalistes créent l'atmosphère, tandis que des métaphores élégantes expriment les émotions, donnant aux personnages une présence éclatante tout en modulant subtilement les sentiments. - Métaphores raffinées, d'une élégance rare
Des expressions comme "branches de jade" ou "regard limpide comme l'eau" évitent toute banalité ; "tendre comme pluie" et "doux comme nuage" symbolisent des sentiments riches de sens. - Narration teintée de lyrisme, discrète et sincère
Sans déclarations d'amour explicites, chaque vers est empreint d'émotion, dépeignant rencontres, séparations et souvenirs avec une retenue touchante. - Conclusion puissante, résonance durable
Les derniers vers, simples et naturels, portent l'émotion à son apogée, laissant une impression durable.
Éclairages
Ce ci est bien plus qu'un souvenir d'amour ; il incarne l'art de Zhou Bangyan pour qui la beauté est un refuge et les sentiments un moyen de transcender le réel. Sous sa plume, l'amour n'est pas qu'une rencontre éphémère, mais une résonance spirituelle et un idéal poétique. L'attitude qui consiste à chérir ce qui est perdu et à maintenir une affection inaltérable malgré la distance offre une réflexion profonde et noble sur les sentiments. À notre époque frénétique, cette manière délicate et intense d'exprimer les émotions conserve toute sa puissance émouvante.
À propos du poète
Zhou Bangyan (周邦彦, 1056 - 1121), originaire de Qiantang (Hangzhou), fut le grand synthétiseur du lyrisme retenu des Song du Nord. Ses poèmes, d'une richesse ornementale et d'une perfection formelle, inventèrent des dizaines de nouveaux tons et mètres. Consacré "couronne des poètes lyriques", il influença profondément Jiang Kui et Wu Wenying, devenant le maître fondateur de l'école du mètre rigoureux.