Traversant la Porte de Jing, je dis adieu de Li Bai

du jing men song bie
Au-delà de la Porte de Jing, mon bateau vogue ;
Je viens visiter l’ancien pays de Chu.
Les montagnes s’effacent devant la plaine immense ;
Le fleuve se perd dans les terres désertes.

Sous la lune, mon reflet vole comme un miroir céleste ;
Les nuages forment des mirages de châteaux marins.
Je chéris toujours ces eaux de ma terre natale,
Qui ont guidé mon bateau à dix mille lieues de chez moi.

Poème chinois

「渡荆门送别」
渡远荆门外,来从楚国游。
山随平野尽,江入大荒流。
月下飞天镜,云生结海楼。
仍怜故乡水,万里送行舟。

李白

Explication du poème

Ce poème fut composé vers 730, alors que Li Bai, « épée au côté, quittait son pays et ses proches », entamait son premier voyage vers l’est en descendant le Yangtsé après avoir quitté le Sichuan. Les monts Jingmen, frontière naturelle entre les régions de Ba-Shu et de Jing-Chu, représentaient également un seuil psychologique important pour le poète. Au-delà de ces montagnes, les pics escarpés laissaient place à la vaste plaine de Jianghan, le fleuve s’élargissant, l’horizon s’ouvrant. Ce poème capture cette double transition, géographique et intérieure, mêlant regard attendri vers la terre natale et fougue juvénile embrassant l’inconnu.

Premier couplet : « 渡远荆门外,来从楚国游。 »
Dù yuǎn jīngmén wài, lái cóng Chǔguó yóu.
Après avoir franchi l’écran des Gorges, je m’avance au pays de Chu.

Ce distique d’ouverture, narrative en apparence, recèle une riche dimension affective. « Franchir l’écran des Gorges » évoque l’éloignement géographique et psychique d’avec la terre natale. « M’avance au pays de Chu » exprime une attente active, le mot « avancer » établissant le ton ouvert et dynamique de l’ensemble, traduisant vivement la curiosité et l’exaltation du poète découvrant le monde.

Deuxième couplet : « 山随平野尽,江入大荒流。 »
Shān suí píngyě jìn, jiāng rù dàhuāng liú.
Les monts, au fil de la plaine, s’évanouissent ; Le fleuve se perd au loin dans les terres incultes.

Ces vers célèbres esquissent avec puissance le tableau grandiose du changement géographique. « Au fil de » et « s’évanouissent » donnent aux montagnes une dynamique, comme si elles reculaient à l’horizon. « Se perd » et « dans les terres incultes » dépeignent l’élan irrésistible du fleuve s’engouffrant dans l’immensité. Plus qu’une description, c’est un symbole magistral de l’état d’esprit du poète : la fin des entraves et l’avènement de la liberté, l’ouverture brutale du regard et de l’âme.

Troisième couplet : « 月下飞天镜,云生结海楼。 »
Yuè xià fēi tiān jìng, yún shēng jié hǎi lóu.
Sous la lune, un miroir céleste semble voler ; Nuées s’élevant forment un palais marin.

Le poète, changeant de perspective temporelle, dépeint avec une imagination romantique les paysages fantastiques du fleuve. Comparer le reflet lunaire à un « miroir céleste volant » capture non seulement la rondeur et la clarté de la lune, mais lui confère une dimension magique et dynamique. Évoquer les nuages comme un « palais marin » (mirage) révèle la nature vaporeuse et majestueuse des cieux de Chu. Ces vers, passant du réel à l’onirique, élèvent le paysage à un royaume fantastique, illustrant l’imagination flamboyante de Li Bai et son enchantement face au nouveau monde découvert.

Quatrième couplet : « 仍怜故乡水,万里送行舟。 »
Rěng lián gùxiāng shuǐ, wànlǐ sòng xíngzhōu.
Chéri reste ce flot natal, Qui sur mille lieues pousse mon esquif.

Le distique final opère un revirement, injectant une tendre nostalgie dans l’enthousiasme du voyage. Au lieu d’exprimer directement son mal du pays, le poète personnifie avec habileté le fleuve. « Chéri » est empreint d’affection et de précieux ; « ce flot natal » signifie que le Yangtsé provient du Sichuan, symbolisant la terre natale ; « pousse mon esquif » est une trouvaille géniale, comme si la patrie elle-même, incarnée par le fleuve, accompagnait le voyageur. Cela transforme la mélancolie du départ en une émotion profonde mais non triste, achieving une harmonie parfaite entre l’élan aventureux et le regard en arrière.

Lecture globale

Ce poème est un modèle de l’œuvre de jeunesse de Li Bai, fusionnant parfaitement l’ampleur caractéristique des Tang et le lyrisme romantique du poète. Guidé par le thème du voyage, le paysage évolue avec le bateau, l’émotion naissant du spectacle. Les six premiers vers exaltent la nouveauté et la grandeur des paysages découverts après le Sichuan, leur dynamisme et leur puissance reflétant l’ouverture d’esprit et l’exaltation du poète. Le distique final, après cet élan, opère un retour soudain sur soi, ramenant l’enthousiasme débordant à une tendre mélancolie via « ce flot natal », créant une tension artistique entre fougue et sensibilité, entre vastitude et délicatesse. Plus qu’un simple récit de voyage, c’est un hymne à la jeunesse et à l’idéal.

Spécificités stylistiques

  • Alternance de mouvement et de repos, grandeur du cadre : La disparition dynamique des « monts » s’oppose à l’écoulement continu du « fleuve » ; le reflet statique du « miroir lunaire » contraste avec les « nuages » changeants, créant un univers artistique à la fois vaste et structuré.
  • Interaction du réel et de l’imaginaire, fantaisie poétique : Le poète entremêle paysages réels (monts, fleuve, lune, nuages) et visions oniriques (miroir céleste, palais marin), transcendant la simple description pour créer un espace poétique à la fois tangible et fantasmagorique.
  • Personnification et matérialisation de l’émotion : Le distique final prête des sentiments humains au fleuve, rendant tangible l’abstraction de la nostalgie, dans une ellipse suggestive et durable.
  • Harmonie entre parallelisme rigoureux et fluidité du souffle : Les deux distiques centraux sont parfaitement parallèles, d’une facture exquise, mais le souffle poétique reste fluide, sans raideur, démontrant la maîtrise linguistique exceptionnelle du poète.

Éclairages

Ce poème aborde une question éternelle de la jeunesse : comment concilier l’appel de l’ailleurs et l’attachement aux racines. La réponse de Li Bai est que grandir véritablement ne signifie pas rompre brutalement, mais emporter avec soi l’héritage spirituel de la terre natale (comme le fleuve « poussant l’esquif ») pour embrasser courageusement un monde plus vaste. Il nous encourage à avoir l’audace de nous lancer dans l’aventure de la vie, tout en conservant la tendresse de regarder vers nos origines. Cette fusion de fougue et de nostalgie est la force précieuse qui nous permet de cheminer à la fois avec détermination et chaleur.

À propos du poète

Li Bai

Li Bai (李白), 701 - 762 apr. Li Bai a porté la poésie chinoise classique, en particulier la poésie romantique, à son apogée et a influencé des générations de lettrés exceptionnels dans le passé et le présent grâce à ses remarquables réalisations.

Total
0
Shares
Prev
Chant antique · Je traverse les bas-fonds du mont Wu de Li Bai
gu feng wo xing wu shan zhu

Chant antique · Je traverse les bas-fonds du mont Wu de Li Bai

Je traverse les bas-fonds du mont Wu,Je grappe l’antique terrasse Yangtai

Next
Je bois seul sous la lune II de Li Bai
yue xia du zhuo ii

Je bois seul sous la lune II de Li Bai

Si le Ciel n’aimait le vin,À quoi bon l’Étoile-Ivre au firmament?

You May Also Like