À Zhuyà, les saules verdissent déjà sous la brise printanière,
Au mont Yùling, les pruniers gardent leur neige éternelle.
Je pense à ton retour au Sud sur ton maigre cheval,
Qui, aujourd’hui, sait encore reconnaître le vrai dragon ?
Mon pays natal est un véritable sanctuaire de monts et d’eaux,
Quand viendras-tu partager ce paysage avec moi ?
Aigrettes blanches et plaines vertes ne nous refuseront rien,
Où bâtirons-nous notre hutte de chaume ?
Poème chinois
「和符君俞卜邻」
杨万里
朱崖柳色欲春风,庾岭梅花尚雪容。
念子南归骑瘦马,只今谁解好真龙。
吾乡端是山水窟,何日来同丘壑胸。
白鹭青原不妨拣,诛茅结屋看何从。
Explication du poème
Ce poème fut composé par Yang Wanli pour son ami Fu Junyu, probablement durant sa retraite à Jishui. Alors qu'il traversait des difficultés professionnelles et des problèmes de santé, le poète développa un profond désir de vie retirée dans les montagnes. Sa proximité avec Fu Junyu, partageant aspirations et goûts artistiques, inspira ces vers qui mêlent amitié, paysage et idéal de vie.
Premier distique : « 朱崖柳色欲春风,庾岭梅花尚雪容。 »
Zhū yá liǔ sè yù chūn fēng, Yǔ lǐng méi huā shàng xuě róng.
"Les saules de Zhuya already greet the spring breeze,
Les pruniers de Yuling gardent encore leur blancheur neigeuse."
Les saules printaniers du sud (Zhuya) s'opposent aux pruniers encore givrés du nord (Yuling), symbolisant les différences géographiques et les vicissitudes du destin.
Second distique : « 念子南归骑瘦马,只今谁解好真龙。 »
Niàn zǐ nán guī qí shòu mǎ, zhǐ jīn shuí jiě hǎo zhēn lóng.
"Je pense à ton retour au sud sur un cheval maigre,
Qui sait aujourd'hui reconnaître le vrai dragon ?"
Le "cheval maigre" évoque les épreuves du voyage, tandis que le "vrai dragon" (真龙) symbolise le talent méconnu de son ami, déplorant l'absence de discernement dans le monde.
Troisième distique : « 吾乡端是山水窟,何日来同丘壑胸。 »
Wú xiāng duān shì shān shuǐ kū, hé rì lái tóng qiū hè xiōng.
"Mon pays natal est un vrai sanctuaire de montagnes et d'eaux,
Quand viendras-tu partager cet amour des vallées ?"
Yang Wanli présente sa région natale comme un refuge idéal, invitant son ami à partager sa passion pour les paysages naturels et la vie retirée.
Quatrième distique : « 白鹭青原不妨拣,诛茅结屋看何从。 »
Bái lù qīng yuán bù fáng jiǎn, zhū máo jié wū kàn hé cóng.
"Aigrettes et prairies vertes nous attendent,
Où bâtir notre chaumière ? À toi de choisir."
Les images d'aigrettes blanches et de prairies vertes dessinent un paradis naturel où les amis pourraient construire leur retraite, symbolisant l'idéal d'une vie harmonieuse avec la nature.
Lecture globale
Ce poème progresse des contrastes paysagers vers une vision utopique de l'amitié et de la retraite. Yang Wanli utilise le paysage naturel pour exprimer des préoccupations humaines - les saules et pruniers symbolisent les différences de destin, le cheval maigre et le dragon révèlent les injustices sociales. La seconde moitié transforme ces lamentations en une invitation positive à créer un espace commun de beauté et de sensibilité.
Spécificités stylistiques
- Symbolisme naturel : Chaque élément paysager (saules, pruniers, aigrettes) porte une signification humaine et philosophique
- Structure dialectique : Opposition initiale (nord/sud) résolue par l'invitation à l'harmonie
- Langage allégorique : Le "vrai dragon" et le "cheval maigre" créent une tension entre valeur intrinsèque et reconnaissance sociale
- Utopisme concret : La vision de la chaumière partagée ancrée dans des images naturelles précises
Éclairages
Cette œuvre dépasse le simple poème d'amitié pour interroger la relation entre valeur personnelle et reconnaissance sociale. Le "vrai dragon" méconnu pose une question universelle : comment préserver sa valeur intrinsèque dans un monde incapable de la reconnaître ? La solution de Yang Wanli est remarquable : plutôt que de se lamenter sur l'injustice, il propose de créer des espaces alternatifs où les véritables valeurs peuvent s'épanouir hors des systèmes de reconnaissance conventionnels.
La modernité de ce texte réside dans sa proposition de "résistance par la construction" - face à un monde inadapté, bâtissons des sanctuaires où nos vérités pourront vivre. Cette invitation à Fu Junyu résonne particulièrement aujourd'hui où beaucoup cherchent à créer des espaces (physiques ou communautaires) préservant leurs valeurs contre les logiques dominantes.
À propos du poète
Yang Wanli (杨万里 1127 - 1206), originaire de Jishui dans le Jiangxi, fut un célèbre poète de la dynastie Song du Sud, considéré comme l'un des « Quatre Grands Maîtres de la Restauration » aux côtés de Lu You, Fan Chengda et You Mao. Il obtint le titre de jinshi en 1154 et accéda au poste d'Académicien du Pavillon Baomo. Se libérant des contraintes de l'École poétique du Jiangxi, il créa le style naturel et vivant du « Chengzhai », prônant l'apprentissage de la nature et l'utilisation d'un langage simple mais profond. Sa poésie, souvent inspirée par la vie quotidienne, influença profondément les écoles lyriques ultérieures, en particulier l'école Xingling (Esprit et Sensibilité).